
La Russie mène une guerre clandestine en Europe via saboteurs, agents dormants et réseaux criminels. Analyse détaillée d’une stratégie hybride structurée.
Depuis 2022, la Russie intensifie une campagne clandestine contre les États européens pour perturber l’aide militaire destinée à l’Ukraine. Cette stratégie repose sur des agents dormants, recrutés depuis les années 1990, qui activent des réseaux criminels pour réaliser des sabotages ciblés. Plusieurs incendies majeurs en Pologne, en Allemagne et au Royaume-Uni ont été attribués à ces opérations. Des drones ont survolé des camps d’entraînement ukrainiens, des colis suspects ont été envoyés à l’étranger, et des infrastructures logistiques ont été visées. Le FSB, héritier du KGB, coordonne ces actions avec l’appui du GRU, service de renseignement militaire. Ces attaques sont conçues pour affaiblir les soutiens européens à Kyiv, détourner les ressources occidentales, et renforcer la pression psychologique sur les opinions publiques.
Une campagne structurée de sabotage contre les soutiens occidentaux à l’Ukraine
Depuis début 2023, plusieurs incidents dans l’Union européenne sont désormais reliés à une campagne russe de sabotage clandestin. Des incendies volontaires ont été recensés dans plus d’un millier de commerces en Pologne, un entrepôt DHL au Royaume-Uni, ainsi que des sociétés de transport opérant vers l’Ukraine. Des enquêtes menées par l’Allemagne et la Suisse ont permis l’arrestation de trois individus ukrainiens, accusés d’avoir acheminé des colis piégés ou testés via GPS en direction de l’Ukraine.
Les opérations révèlent une logique méthodique. Des tests logistiques sont réalisés avant de passer à l’acte, afin de cartographier les flux d’approvisionnement. L’objectif est de perturber l’acheminement de matériels militaires depuis les pays de l’OTAN vers les forces ukrainiennes. La Russie cible ainsi non les champs de bataille, mais les infrastructures logistiques civiles et militaires utilisées comme relais.
Plusieurs citoyens russes établis en Allemagne ont également été arrêtés, pour avoir utilisé des drones quadricoptères au-dessus de zones d’entraînement de soldats ukrainiens. Ces vols sont strictement interdits à proximité de zones militaires. Le survol répété par des engins civils laisse supposer une volonté de reconnaissance visuelle discrète, en appui à une future action directe.
Les services européens estiment que cette stratégie s’est intensifiée à mesure que l’offensive russe s’enlisait en Ukraine. L’exploitation de réseaux criminels locaux, recrutés par intermédiaires, permet de limiter l’exposition directe des agents russes. Cette externalisation du sabotage est difficile à tracer, ce qui explique la lenteur des enquêtes judiciaires. Néanmoins, plusieurs individus arrêtés ont confirmé l’implication russe au cours de leur interrogatoire, apportant un élément de preuve non négligeable pour les services de renseignement européens.

Le retour stratégique des agents dormants en Europe
La Russie, comme l’Union soviétique avant elle, a toujours maintenu des réseaux dormants à l’étranger. Ces agents infiltrés, souvent intégrés à la société locale, mènent une vie banale jusqu’à leur activation. Depuis l’effondrement de l’URSS en 1991, une partie de ces réseaux a survécu, notamment en Allemagne, en France et en Europe de l’Est. En 2022, les échecs militaires en Ukraine ont motivé le FSB et le GRU à réactiver ces dispositifs.
L’activation de ces cellules s’effectue par vagues, avec pour consigne de ne jamais agir directement, mais de recruter des groupes criminels pour exécuter les actes de sabotage. Cette méthode limite les risques d’arrestation directe des agents russes. En cas de compromission, les agents se replient et attendent un nouveau signal. Les Européens interrogés à la suite d’actes criminels — incendies, tentatives d’explosions, intrusions — ignorent souvent l’identité réelle de leurs donneurs d’ordre.
Les services de renseignement allemands, polonais et français ont établi un lien entre ces sabotages et les techniques soviétiques de guerre asymétrique. La méthode du “plausible deniability” (négation plausible) est systématiquement recherchée. Le sabotage de lignes ferroviaires, les incendies industriels, ou les actions de cyberinterférence sont conçus pour passer pour des accidents.
Par exemple, des accidents ferroviaires en Pologne et en Lituanie, initialement classés comme incidents techniques, sont actuellement réexaminés à la lumière des nouvelles informations obtenues. Les enquêteurs recherchent des anomalies dans les systèmes de signalisation ou des altérations physiques sur les rails. La présence de brouillage GPS dans ces zones, simultanée à d’autres incidents, renforce la thèse d’une action coordonnée.
La réactivation de ces cellules dormantes a conduit à une révision des protocoles de sécurité européens, notamment dans les ports, aéroports, centres logistiques et gares ferroviaires. Les dispositifs de vidéosurveillance, les contrôles d’accès et les analyses comportementales ont été renforcés depuis 2023. Ces mesures visent à identifier les comportements suspects dans des environnements sensibles, tout en renforçant la coopération avec les services de renseignement étrangers.
Une stratégie d’ensemble combinant sabotage, déstabilisation et guerre cognitive
L’objectif global de la Russie n’est pas uniquement d’endommager des infrastructures. Il s’agit de mener une guerre hybride, combinant sabotage physique, guerre informationnelle et influence psychologique. Ces actions créent une insécurité latente, suscitent des interrogations politiques sur la fiabilité des chaînes logistiques, et visent à affaiblir la cohésion occidentale autour du soutien à l’Ukraine.
Des campagnes de désinformation, coordonnées par des cellules numériques en Russie ou dans des pays tiers, diffusent des récits hostiles aux politiques européennes de soutien militaire. En parallèle, le brouillage GPS, actif en Scandinavie, dans la Baltique et en mer Noire, perturbe les systèmes de navigation civile et militaire. Ces actes, bien que non revendiqués, font peser des risques sur le transport aérien et les vols commerciaux, comme cela a été documenté à plusieurs reprises au départ d’Helsinki ou de Varsovie.
À ce dispositif s’ajoutent les actions hors d’Europe. La Russie cherche à mobiliser ses ressources diplomatiques, paramilitaires et médiatiques en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie centrale pour détourner l’attention des opérations en Ukraine. Le rôle des sociétés militaires privées, comme Wagner ou ses successeurs, s’inscrit dans cette dynamique d’expansion des points de tension, avec l’objectif d’user les capacités diplomatiques et militaires occidentales.
Ce principe de saturation stratégique, hérité de la doctrine soviétique, se retrouve également dans la tentative de créer des désordres internes dans des pays cibles. L’exemple du coup d’État avorté au Monténégro en 2016, où des agents russes ont recruté des gangs pour empêcher l’entrée du pays dans l’OTAN, reste un précédent. Cette tentative a échoué, mais elle illustre une méthode persistante.
La Russie tente encore de relancer cette méthode, comme l’ont montré les événements de février 2022, où des agents russes ont cherché à organiser des mouvements sociaux pro-russes dans plusieurs villes ukrainiennes pour justifier une intervention armée. Cette action n’a pas abouti, car Moscou avait surestimé le soutien local.
Une capacité déclinante mais toujours dangereuse
Si la méthode russe est connue, sa mise en œuvre souffre aujourd’hui de limites structurelles. Le FSB, successeur du KGB, souffre d’une perte de savoir-faire accumulée depuis les années 1990. La génération actuelle d’agents n’a ni l’expérience ni la formation idéologique de ses prédécesseurs. Plusieurs réseaux ont été exposés, notamment à la suite de l’ouverture temporaire des archives soviétiques dans les années 1990, qui ont permis aux services occidentaux d’identifier des centaines d’agents infiltrés.
Face à l’efficacité des contre-mesures occidentales, la Russie a dû faire appel à d’anciens agents soviétiques à la retraite, pour réactiver des réseaux ou en reconstruire. Ce manque de renouvellement affaiblit la capacité opérationnelle de Moscou à coordonner des campagnes de longue durée. Toutefois, les effets ponctuels de sabotage restent préoccupants.
Les arrestations d’occidentaux pris en otage en Russie, en échange d’agents russes capturés en Europe, montrent que Moscou reste dans une logique de confrontation indirecte. L’usage d’intermédiaires criminels plutôt que d’agents officiels reflète une adaptation pragmatique, mais fragile, du système russe.
Les services de renseignement occidentaux ont depuis deux ans modifié leur grille d’analyse : tout incident d’origine inconnue, toute perturbation logistique ou informatique fait désormais l’objet d’une enquête à visée contre-sabotage. Cette vigilance accrue a réduit l’efficacité des campagnes russes, mais ne les a pas supprimées.
La guerre clandestine que mène la Russie en Europe est une variable constante du conflit global ouvert par l’invasion de l’Ukraine. Elle impose une mobilisation permanente des capacités civiles et militaires, et souligne que la dissuasion ne repose pas seulement sur la force armée visible, mais aussi sur la résistance aux opérations invisibles.
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