Paris Air Show 2025 : explosion des enjeux sécuritaires

Paris Air Show 2025

Présence record de 45 % pour la défense au salon du Bourget, reflet d’une Europe face aux menaces russes et chinoises.

Le Paris Air Show 2025 consacre un point de défense sans précédent : 45 % de l’exposition est dédié à la sécurité, contre environ 30 % en 2023. Ce renforcement s’inscrit dans un contexte où l’OTAN appelle à une augmentation de 400 % des capacités de défense aérienne et à un budget de 3,5–5 % du PIB – notamment pour contrer la menace russe. Avec 2 400 exposants et 200 délégations militaires attendus, l’événement devient un hub de décisions industrielles, politiques et stratégiques. L’Europe, dont les dépenses militaires ont augmenté de 17 % en 2024, met l’accent sur les drones, la défense antimissile et la coopération industrielle, à travers des projets comme la European Sky Shield Initiative. En résumé : le Bourget devient en 2025 le rendez‑vous d’un tournant stratégique mondial.

Exposition défense : 45 % du salon, un bond massif

Le Salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget 2025 consacre 45 % de sa surface d’exposition aux secteurs de la défense et de la sécurité, contre environ 30 % en 2023. Cette progression de 15 points reflète une mutation structurelle de l’industrie aéronautique vers les enjeux militaires, dictée par l’augmentation des conflits conventionnels et asymétriques depuis 2022. L’essor de la guerre de haute intensité en Ukraine, l’évolution des doctrines OTAN sur la dissuasion, et l’instabilité persistante au Moyen-Orient ont remodelé les priorités des États et des industriels.

Données techniques

Le salon regroupe 2 400 exposants, dont 1 110 sont issus de la filière française, 450 des États-Unis, 120 d’Italie et environ 100 chacun pour le Royaume-Uni et l’Allemagne. En parallèle, 200 délégations militaires officielles sont attendues, représentant les ministères de la Défense, états-majors et directions d’armement de plusieurs continents. Ces chiffres confirment la centralité croissante du Bourget comme plateforme d’interopérabilité et de négociation contractuelle pour les programmes militaires.

Finalité stratégique

Cette montée en charge répond à une triple logique : visibilité technologique, prospection diplomatique et préparation capacitaire. Le salon sert de terrain neutre pour la présentation de nouveaux systèmes d’armes (missiles surface-air, drones MALE, radars passifs), et d’espace de discussion sur les grands programmes structurants (SCAF, ESSI, modernisation des flottes de chasse). Il devient ainsi une interface opérationnelle entre industries de défense, décideurs politiques et chefs militaires, dans un contexte d’expansion des budgets militaires européens.

Contexte géopolitique : guerre, sécurité, budgets

Le renforcement de la présence défense au Salon du Bourget 2025 s’inscrit dans un environnement stratégique dégradé. Les indicateurs macroéconomiques de l’armement confirment une dynamique de réarmement généralisée. En avril 2025, les dépenses militaires mondiales ont atteint 2 720 milliards de dollars (environ 2 530 milliards d’euros), enregistrant une hausse annuelle de 9,4 %, soit la progression la plus marquée depuis la fin du bloc soviétique. Cette trajectoire est alimentée par des conflits prolongés, des ruptures diplomatiques régionales et une prolifération de technologies duales dans des zones instables.

En Europe, le total des investissements en matière de défense pour 2024 s’élève à 693 milliards de dollars (près de 645 milliards d’euros), soit une hausse de 17 % en un an. Ce seuil dépasse désormais les niveaux de dépenses militaires atteints durant la dernière décennie de la guerre froide. Les hausses budgétaires concernent autant l’acquisition de matériel lourd (chars, systèmes sol-air, aviation de combat) que les effectifs et les infrastructures logistiques.

Tensions budgétaires et doctrine OTAN

Le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, a appelé les pays membres à quintupler leurs capacités de défense aérienne et antimissile. Il recommande une allocation budgétaire globale de 5 % du PIB, répartie entre 3,5 % pour la dissuasion militaire et 1,5 % pour les infrastructures et la résilience territoriale. Cette orientation vise à pallier les déficits capacitaires en matière de couverture radar, de stockage de munitions, et de mobilité stratégique.

Réponses nationales

Les États membres commencent à adapter leurs trajectoires financières. Le Royaume-Uni prévoit de porter son effort de défense à 2,5 % du PIB d’ici 2027, avec une cible à 3 % au début des années 2030. L’Allemagne, pour sa part, engage un effort structurel en ressources humaines avec 50 000 à 60 000 recrutements militaires supplémentaires, visant à renforcer sa Bundeswehr dans la durée. Ces réponses confirment un réalignement doctrinal de l’Europe occidentale face aux risques conventionnels.

Paris Air Show 2025

Technologies à l’honneur : systèmes antimissiles et drones

Le Salon du Bourget 2025 met en avant une génération de systèmes de défense intégrés qui matérialise la transition vers une doctrine de protection multicouche face aux menaces balistiques, hypersoniques et aériennes conventionnelles. Cette tendance se reflète dans la présence renforcée des principaux industriels spécialisés dans la défense sol-air.

Systèmes sol-air exposés

Parmi les équipements majeurs présentés :

  • Raytheon met en avant le Patriot PAC-3, système éprouvé, capable de neutraliser avions, missiles tactiques et drones jusqu’à 160 km de portée.
  • Diehl Defence présente l’IRIS-T SLM, missile à lancement vertical destiné à la défense aérienne à moyenne portée (jusqu’à 40 km), déjà opérationnel en Ukraine.
  • Le missilier MBDA expose l’Aster 30 intégré au SAMP/T, capable d’intercepter des cibles jusqu’à 120 km, y compris des missiles balistiques de théâtre.
  • Kongsberg, associé à Raytheon, promeut le système NASAMS, adaptable à des environnements mobiles et urbains.

Initiatives européennes

L’un des projets les plus structurants reste l’European Sky Shield Initiative (ESSI), portée par 24 pays européens et destinée à mutualiser les capacités de défense aérienne sur 3,7 millions de km², soit près de 70 % de la superficie de l’UE. Ce système intègre plusieurs couches : IRIS-T pour les menaces proches, Patriot pour les missiles de croisière, et Arrow 3 (Israël/Allemagne) pour la menace balistique exo-atmosphérique.

Technologies émergentes

En parallèle, les industriels exposent des drones de reconnaissance à haute autonomie, des plateformes de surveillance radar passive et des systèmes de défense automatisée pilotés par intelligence artificielle embarquée, intégrant des modes de contre-mesures électromagnétiques et de neutralisation soft-kill. Ces innovations traduisent une convergence entre la défense électronique, l’autonomisation des capteurs, et l’interopérabilité OTAN.

Dimension industrielle et stratégique

Le Paris Air Show 2025 dépasse sa fonction d’exposition pour jouer un rôle de plateforme industrielle à haute densité contractuelle, à l’intersection des politiques publiques, des stratégies commerciales et des enjeux de souveraineté technologique. Cette édition intervient à un moment où la filière aéronautique de défense en France connaît une croissance soutenue, alimentée par la demande internationale et la pression des États européens à moderniser leurs équipements.

Poids économique du secteur défense

En 2024, le secteur de la défense française a généré 20,3 milliards d’euros, soit une hausse de 13 % par rapport à l’année précédente. Cette croissance est tirée par les exportations (+19 %) et l’accélération de la production intérieure (+11 %). Si le secteur civil reste prédominant avec 57,4 milliards d’euros, la défense représente désormais près de 26 % de la valeur totale de l’industrie aéronautique nationale. Elle contribue également à l’emploi industriel hautement qualifié, avec des effets d’entraînement sur les sous-traitants, les bureaux d’études et les centres de maintenance.

Hub stratégique de négociation

Le Salon du Bourget agit comme un vecteur d’intégration des filières européennes. Il facilite la mise en relation entre acteurs publics et privés : industriels, ministères de la Défense, agences d’acquisition, délégations étrangères. Il constitue un espace propice à la signature de lettres d’intention, mémorandums de coopération et accords industriels, notamment autour des projets structurants comme le SCAF, le MALE RPAS européen ou la montée en cadence de la production d’A400M et de Rafale. Il fonctionne également comme indicateur de confiance du secteur, avec des annonces attendues sur des commandes fermes et des extensions de contrats pluriannuels.

Limites de capacité industrielle

Cette croissance rapide s’accompagne de contraintes logistiques sévères. La demande en armement, en particulier pour les munitions intelligentes, les radars, et les composants critiques, crée des goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement. Selon plusieurs cabinets d’analyse, dont Bain & Company, les capabilités industrielles européennes sont actuellement sous tension, avec des délais de production étirés et des stocks stratégiques insuffisants. Le défi pour les industriels sera donc de doubler leurs capacités d’assemblage et de livraison dans un délai court, tout en sécurisant l’approvisionnement en matériaux critiques (composites, semi-conducteurs, titane).

Conséquences pour l’Europe et la sécurité

L’orientation du Paris Air Show 2025 vers les enjeux de défense traduit des transformations profondes dans les priorités stratégiques européennes. Face à un environnement incertain, les États membres de l’UE et de l’OTAN sont engagés dans une trajectoire de réarmement accéléré, avec des implications budgétaires, industrielles et doctrinales majeures.

Réévaluation budgétaire massive

Le passage vers un effort de défense équivalent à 5 % du PIB constituerait une rupture avec les normes d’après-guerre. Dans certains pays comme la Pologne ou l’Italie, cela reviendrait à multiplier par quatre les budgets militaires actuels. Pour la France, dont l’effort de défense avoisine aujourd’hui 2 % du PIB, atteindre 3,5 % supposerait une augmentation de 33 à 75 % du budget annuel selon les hypothèses retenues (intégration ou non des pensions, du nucléaire, des infrastructures). Ces hausses imposeraient des arbitrages budgétaires lourds, affectant potentiellement d’autres secteurs régaliens.

Coopération et interopérabilité

Face à l’impossibilité pour chaque État de couvrir l’ensemble des capacités nécessaires (missiles, radars, chasseurs, défense sol-air), les initiatives de mutualisation stratégique gagnent en importance. Le projet European Sky Shield Initiative (ESSI) en est un exemple structurant : il vise à mutualiser la défense aérienne à plusieurs niveaux, en intégrant des systèmes comme Aster, IRIS-T, et Patriot, pour assurer une protection compartimentée du continent. Cette logique permet de réduire les redondances, d’optimiser les coûts et de renforcer l’autonomie stratégique européenne, sans dépendre exclusivement de l’architecture OTAN ni des capacités américaines.

Menaces persistantes et redéfinition stratégique

Les déclarations récentes de Mark Rutte, qui évoque un risque concret d’agression dans les cinq ans par la Russie, confirment la lecture pessimiste du contexte sécuritaire. Cette incertitude impose aux pays européens de reconfigurer leur aviation militaire, en tenant compte non seulement des capacités d’attaque, mais aussi des capacités de protection, de surveillance et de résilience. Dans ce cadre, l’aviation devient un pilier stratégique, non seulement pour la dissuasion, mais aussi pour la gestion de crise (ISR, supériorité aérienne, défense sol-air).

En parallèle, les États-Unis, principaux garants de la sécurité du continent via l’OTAN, exercent une pression croissante pour une répartition plus équitable des charges. Cette dynamique pourrait aboutir à un rééquilibrage transatlantique, remettant en cause certaines dépendances industrielles historiques et accélérant la consolidation des filières européennes de défense.

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