
La RAF achète 12 F‑35A pour reprendre la mission nucléaire de l’OTAN avec les bombes B61‑12, renforçant la dissuasion aérienne en Europe.
Le Royaume‑Uni s’engage dans le réarmement nucléaire aérien : 12 F‑35A seront achetés pour emporter la bombe américaine B61‑12, au sein de la mission NATO dite Dual‑Capable Aircraft (DCA). Ces jets, basés à RAF Marham, relanceront un rôle disparu depuis 1998, complétant le volet sous‑marin du nucléaire britannique. L’opération s’inscrit dans le cadre d’un plan de défense élargi, avec une hausse à 5 % du PIB consacrée à la défense d’ici 2035.
L’achat de 12 F‑35A : un choix stratégique et économique
Le gouvernement britannique a validé l’acquisition de 12 chasseurs F‑35A à décollage conventionnel pour un montant total estimé à 960 millions de dollars (environ 900 millions d’euros), soit environ 80 millions de dollars par appareil. Ce modèle présente un avantage budgétaire clair : il coûte 25 % de moins à l’achat et à l’exploitation que le F‑35B, conçu pour les porte-avions à décollage court et atterrissage vertical.
Les appareils seront affectés à la 207e escadrille de conversion opérationnelle, stationnée à RAF Marham, dans le Norfolk. Cette unité a pour mission la formation avancée des pilotes de la Royal Air Force sur F‑35. Le F‑35A, avec ses 8,3 tonnes de carburant interne, dispose d’une autonomie supérieure de 1 000 km à celle du F‑35B, ce qui permet des missions d’entraînement plus longues. Il nécessite également 30 % de maintenance en moins, ce qui réduit les immobilisations techniques et augmente la disponibilité aérienne.
Même si ces appareils sont principalement destinés à l’instruction, ils seront préparés pour la mission nucléaire de l’OTAN avec la bombe B61‑12, conférant à l’acquisition une valeur stratégique au-delà du simple rôle de formation.

Le rôle nuclear-partage : comment ça fonctionne
Le F‑35A est certifié pour emporter la B61‑12, une bombe nucléaire tactique à gravité de fabrication américaine. Cette munition pèse environ 340 kilogrammes et permet un rendement ajustable allant de 0,3 à 50 kilotonnes grâce à un système de sélection de puissance intégré. Elle bénéficie également d’un système de guidage inertiel et GPS, lui conférant une précision de l’ordre de 30 mètres au point d’impact, ce qui en fait une arme nucléaire à faible rayon de destruction non ciblée, utilisée dans des contextes d’emploi limité ou dissuasif.
Les B61‑12 déployées au Royaume‑Uni resteront en toutes circonstances la propriété exclusive des États‑Unis. Elles seront stockées dans des coffres blindés enterrés appelés WS3 (Weapons Storage and Security System), intégrés dans les abris durcis pour aéronefs. Ces installations pourraient être réactivées à RAF Marham, mais leur état actuel reste incertain. Une alternative probable reste RAF Lakenheath, déjà modernisée par les Américains pour accueillir les B61‑12 et leurs propres F‑35A.
Leur emploi nécessite une double validation politique : celle du président des États‑Unis et du Premier ministre britannique, dans le cadre de l’organisation NATO Nuclear Planning Group, selon un principe de commandement conjoint.
Les implications stratégiques et géopolitiques
L’intégration du F‑35A à capacité nucléaire dans la Royal Air Force modifie l’équilibre stratégique du Royaume‑Uni en lui permettant de reconstituer une capacité de frappe nucléaire aéroportée, absente depuis le retrait des bombes WE.177 en 1998. Cela complète une posture de dissuasion dite “triade”, combinant la force sous-marine (sous-marins Trident), les vecteurs aériens (F-35A), et un lien politique dans le cadre de l’OTAN.
Le recours aux F‑35A permet une projection nucléaire souple, non stationnaire et plus difficile à anticiper qu’un SNLE, notamment en période de crise. Ce type de vecteur est aussi plus adapté à un signalement stratégique sans escalade immédiate, en s’inscrivant dans une doctrine de dissuasion graduée.
Cette décision intervient dans un contexte d’accroissement des tensions avec la Russie, marqué par la guerre en Ukraine et les exercices militaires russes simulant des frappes nucléaires sur les pays baltes et la Pologne. Le sommet de l’OTAN de 2025 a confirmé une augmentation des budgets défense à hauteur de 5 % du PIB d’ici 2035 au Royaume-Uni, contre environ 2,3 % actuellement. Ce renforcement vise à reconstituer une capacité autonome d’action stratégique tout en renforçant l’interopérabilité avec les alliés américains.
Le Royaume‑Uni devient le deuxième État européen à déployer des F‑35A dans une mission nucléaire après les Pays‑Bas (2024). D’autres pays engagés dans cette mission de partage nucléaire de l’OTAN incluent l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et la Pologne. Cette expansion du programme Dual-Capable Aircraft (DCA) consolide une posture collective de dissuasion nucléaire sur le continent européen, en réponse aux menaces stratégiques émergentes.
Les limites et défis techniques
L’introduction du F‑35A dans l’arsenal britannique soulève plusieurs contraintes opérationnelles. Ce modèle utilise un système de ravitaillement en vol par perche rigide (flying boom), alors que la flotte actuelle de ravitailleurs britanniques Airbus Voyager KC2/KC3 est exclusivement équipée du système probe‑and‑drogue, compatible avec les F‑35B, les Typhoon et les avions de la Royal Navy. En l’état, les F‑35A ne peuvent donc pas être ravitaillés en vol par les moyens britanniques.
Pour garantir une autonomie stratégique complète, le Royaume-Uni devra soit recourir à des ravitailleurs alliés, comme ceux de l’US Air Force stationnés en Europe, soit envisager des adaptations. La première solution, bien que opérationnelle à court terme, implique une dépendance capacitaire incompatible avec certaines missions de souveraineté. La seconde nécessiterait soit l’ajout de perches rigides aux Voyager, soit une participation à la flotte multinationale MRTT (Multinational Multi-Role Tanker Transport Fleet), déjà utilisée par plusieurs pays de l’OTAN. Dans les deux cas, les coûts et les délais seraient significatifs.
Sur le plan de la flotte, le Royaume-Uni ne dispose actuellement que de 48 F‑35B commandés, auxquels s’ajouteront 15 unités supplémentaires, et seulement 12 F‑35A pour la décennie à venir. Cela crée un éclatement logistique entre deux variantes techniquement distinctes, imposant des chaînes de maintenance, des stocks et des formations spécifiques. De plus, avec seulement 12 F‑35A, la masse critique pour assurer une disponibilité permanente en cas de montée en puissance n’est pas atteinte.
Cette fragmentation introduit une complexité supplémentaire, sans offrir pour l’instant une capacité nucléaire aérienne pleinement autonome.

Les conséquences concrètes pour la RAF et l’industrie
Pour la Royal Air Force
L’intégration du F‑35A apporte des effets directs sur la disponibilité opérationnelle et la gestion des ressources. Grâce à une capacité interne en carburant supérieure (8 278 litres contre 6 124 litres pour le F‑35B), le F‑35A permet des missions de formation plus longues, réduisant le nombre de sorties nécessaires pour atteindre un niveau de qualification équivalent. En parallèle, son besoin en maintenance est inférieur d’environ 30 %, ce qui augmente la disponibilité moyenne par appareil.
Ces F‑35A, affectés à la 207e escadrille, joueront un rôle central dans la conversion opérationnelle des pilotes. Cette montée en compétence facilitera la formation croisée sur F‑35B, bien que les deux variantes ne soient pas identiques sur le plan du pilotage. Le F‑35A dispose d’une charge utile interne supérieure, d’un rayon d’action plus large, et peut supporter jusqu’à 9G contre 7,5G pour le F‑35B.
Sur le plan stratégique, la restauration d’une capacité nucléaire aéroportée via les B61‑12 renforce la crédibilité de la posture britannique au sein de l’OTAN, offrant une capacité complémentaire à la dissuasion maritime.
Pour l’industrie britannique
Le programme F‑35 génère un impact industriel significatif. Plus de 100 entreprises britanniques participent à la production et à la maintenance du chasseur, notamment BAE Systems, Rolls-Royce et Martin-Baker. Selon les estimations du ministère de la Défense, le contrat F‑35 soutient directement ou indirectement près de 20 000 emplois au Royaume‑Uni.
La production locale de sous‑ensembles structurels, de sièges éjectables ou encore de composants électroniques renforce la souveraineté industrielle, même dans le cadre d’un programme dirigé par les États‑Unis. Le savoir-faire acquis pourrait également servir de base technologique pour le développement du futur chasseur de 6e génération Tempest, prévu dans le cadre du Global Combat Air Programme (GCAP) en coopération avec l’Italie et le Japon. Le F‑35A pourrait ainsi agir comme capteur technologique et doctrine d’emploi, servant de transition opérationnelle vers ce futur système de combat.
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