Dans le Nevada, un F-22 pilote un drone MQ-20 pour la première fois

F-22 Raptor drone MQ-20

Un F-22 Raptor américain a contrôlé un drone MQ-20 Avenger au-dessus du Nevada, étape clé vers les futurs Collaborative Combat Aircraft et la guerre aérienne en essaim.

En résumé

Le 18 novembre 2025, l’US Air Force a confirmé qu’un pilote de F-22 Raptor avait contrôlé en vol un MQ-20 Avenger, un drone de combat à réaction, lors d’un exercice au-dessus du Nevada. La démonstration, conduite mi-octobre sur la Nevada Test and Training Range avec General Atomics, Lockheed Martin et L3Harris, a utilisé des liaisons de données sécurisées et une interface tablette dans le cockpit pour piloter le MQ-20 comme un “loyal wingman”.
Ce test marque une étape concrète vers les Collaborative Combat Aircraft, ces drones accompagnant les chasseurs pour étendre leurs capteurs, saturer les défenses adverses et accepter des risques que l’on ne prendrait pas avec un appareil habité. Dans un contexte de compétition stratégique avec la Chine et la Russie, l’US Air Force cherche à multiplier les plateformes tout en maîtrisant les coûts et les pertes éventuelles. L’essai F-22/MQ-20 montre que la technologie fonctionne désormais en vol réel et que les questions ne portent plus sur la faisabilité, mais sur l’industrialisation, les tactiques et les limites que l’on est prêt à fixer à ces systèmes autonomes.

Le cadre stratégique des Collaborative Combat Aircraft

La démonstration F-22/MQ-20 s’inscrit dans le programme américain des Collaborative Combat Aircraft, cœur de la prochaine génération de puissance aérienne. Ces CCA doivent voler en patrouille avec les chasseurs, partager leurs capteurs, porter des armes et parfois s’exposer en première ligne. L’US Air Force évoque l’achat de 100 à 150 drones pour le seul “Increment 1”, avec des centaines d’unités supplémentaires à plus long terme, pour une mise en service opérationnelle envisagée d’ici la fin de la décennie.

Dans ce schéma, le F-22 n’est plus seulement un chasseur de supériorité aérienne, mais un “chef de meute” coordonnant plusieurs drones. L’objectif est de compenser la faiblesse numérique relative des flottes de chasseurs furtifs par la masse de plateformes autonomes moins coûteuses. Ces CCA sont pensés comme des multiplicateurs de supériorité aérienne : ils peuvent emporter des missiles air-air, des pods de guerre électronique ou des capteurs longue portée, tout en acceptant des profils de mission trop dangereux pour un appareil habité.

La démonstration au-dessus du Nevada

Le vol d’essai s’est déroulé le 21 octobre 2025 sur la Nevada Test and Training Range, vaste zone d’essais de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés, utilisée pour les scénarios de haute intensité. Le vol était financé sur fonds propres industriels, sans contrat spécifique de l’US Air Force, ce qui souligne l’enjeu concurrentiel autour des CCA.

Un F-22 évoluait en configuration de mission simulée, tandis qu’un MQ-20 Avenger jouait le rôle de “wingman” autonome. Les deux appareils étaient équipés de radios logicielles Pantera et reliés par le datalink BANSHEE fourni par L3Harris, intégrés dans une architecture radio ouverte développée par Lockheed Martin. Le F-22 embarquait un module GRACE (Government Reference Architecture Compute Environment), destiné à accueillir rapidement de nouveaux logiciels, ainsi qu’une interface de contrôle sous forme de tablette, le Pilot Vehicle Interface (PVI).

Pendant le vol, le pilote a pu envoyer des ordres au MQ-20, modifier sa trajectoire, lui assigner un profil de mission simulé et vérifier le retour d’informations, le tout depuis un cockpit monoplace déjà très chargé. L’Avenger volait avec un logiciel d’autonomie “mission” mature, capable d’exécuter des tâches complexes une fois l’intention définie.

Le rôle du F-22 Raptor comme chef de mission

Le choix du F-22 Raptor comme premier contrôleur aéroporté de CCA n’est pas anodin. L’US Air Force l’a désigné comme “platform threshold” dans un rapport au Congrès, c’est-à-dire la plateforme de référence pour les premières intégrations de drones collaboratifs.

Le F-22 reste l’un des chasseurs les plus performants au monde, avec une très faible signature radar et une capacité de vol à plus de 15 000 m (50 000 ft). Son avionique modernisée, avec des modules ouverts comme GRACE, en fait un banc d’essai idéal pour les futures architectures de manned-unmanned teaming. Sa présence dans les scénarios les plus exigeants – défense aérienne de zones contestées, pénétration profonde, interception à longue distance – correspond précisément au type de missions où l’apport de CCA serait décisif.

À terme, l’US Air Force prévoit d’étendre ce rôle à d’autres plateformes : F-35A, F-16, F-15E et F-15EX sont cités comme candidats. Mais le F-22 sert de laboratoire opérationnel : c’est sur lui que seront testées les premières tactiques, la charge de travail en cockpit, les interfaces homme-machine et les règles d’engagement d’un essaim mixte.

La plateforme MQ-20 Avenger, laboratoire volant pour la coopération

Côté drone, le MQ-20 Avenger est un UCAV à réaction, long d’environ 13 m (44 ft) avec une envergure de 20 m (66 ft). Il atteint une vitesse de l’ordre de 740 km/h (460 mph), peut grimper au-delà de 15 000 m (50 000 ft) et rester en l’air jusqu’à 20 heures, avec une autonomie d’environ 5 800 km (3 600 mi). Il emporte ses armes en soute interne, ce qui réduit sa signature radar, et peut embarquer près de 3 tonnes de charge utile (capteurs, armements, pods).

Surtout, l’Avenger est utilisé depuis des années comme banc d’essai pour des logiciels d’autonomie avancés, notamment avec l’IA Hivemind de Shield AI, ou en configuration “Avenger ER” pour des vols de plus de 23 heures. Dans le cadre CCA, il sert de “surrogate”, c’est-à-dire de plateforme représentative, en attendant l’arrivée des prototypes dédiés YFQ-42A (General Atomics) et YFQ-44A (Anduril), déjà en vols d’essai.

Ce choix est pragmatique : l’Avenger existe, vole, et peut être instrumenté rapidement. Il permet de tester les liaisons, l’autonomie et l’interface avec les chasseurs, sans attendre la maturité des futurs CCA de série.

F-22 Raptor drone MQ-20

Les défis technologiques du contrôle depuis un cockpit monoplace

La démonstration valide la chaîne technique – radios, datalink, logiciel GRACE, tablette – mais elle ouvre un débat central : jusqu’où peut-on charger un pilote déjà saturé d’informations ? Des responsables de General Atomics et de Lockheed Martin reconnaissent eux-mêmes que piloter un chasseur monoplace tout en supervisant un drone via une tablette est complexe, surtout en environnement de combat.

Dans le scénario testé, le pilote ne “télé-pilote” pas finement le MQ-20. Il définit plutôt des objectifs et des zones, l’autonomie embarquée gérant la trajectoire et les micro-décisions. Le véritable enjeu est donc le niveau d’abstraction de l’interface : donner assez de contrôle pour exploiter le potentiel du drone, sans transformer le pilote en opérateur RPA débordé.

La démonstration a aussi mis en avant l’usage de liaisons de données “gouvernement-owned”, ouvertes et non propriétaires. Cela permet à l’US Air Force d’éviter un enfermement dans les systèmes d’un industriel et de connecter, à terme, plusieurs familles de CCA, des capteurs de surface ou des plateformes alliées sur une même architecture.

Les gains opérationnels attendus en supériorité aérienne

Sur le plan tactique, cette première coopération F-22/MQ-20 ouvre de nombreuses options. Un drone de combat comme l’Avenger peut voler en avant de la patrouille, éclairer l’espace aérien avec un radar ou un capteur infrarouge, et transmettre la situation tactique au F-22. Il peut aussi jouer le rôle d’appât, obligeant l’ennemi à révéler ses défenses sol-air ou ses chasseurs.

Avec une charge utile de plusieurs milliers de kilogrammes, le MQ-20 peut emporter des missiles air-air à longue portée, des bombes guidées ou des pods de guerre électronique. Couplé à un F-22 à faible signature, il permet des combinaisons inédites : par exemple, un Avenger générant du bruit électromagnétique pour saturer des radars, pendant que le Raptor se glisse dans une fenêtre de discrétion pour engager une cible clé.

Dans un futur essaim de Collaborative Combat Aircraft, un seul F-22 pourrait coordonner plusieurs drones, chacun optimisé pour une tâche : capteurs, brouillage, frappe, relais de communications. L’effet sur la supériorité aérienne serait double : multiplier les axes d’attaque et compliquer drastiquement la défense adverse.

Les zones d’ombre et les questions à venir pour l’US Air Force

La réussite technique ne signifie pas que toutes les questions sont réglées. Les industriels restent prudents sur le niveau d’autonomie réellement utilisé lors du vol et sur les règles d’engagement envisagées pour ces systèmes. L’US Air Force devra trancher des points sensibles : jusqu’où laisser le drone décider seul, comment répartir la responsabilité entre pilote et algorithmes, et comment certifier ces comportements pour des opérations réelles.

Il reste aussi des enjeux très concrets de masse budgétaire et industrielle. Produire des dizaines, puis des centaines de CCA capables de suivre des chasseurs furtifs implique de nouveaux standards de maintenance, de logistique et de formation. Les premières décisions de production sont attendues en 2026 pour l’Increment 1, mais la trajectoire exacte – un ou plusieurs types de drones, rythme de livraison, intégration avec les alliés – demeure confidentielle.

Enfin, la démonstration F-22/MQ-20 envoit un signal clair à la Chine, à la Russie et aux puissances régionales : la prochaine étape de la guerre aérienne ne se jouera plus uniquement entre chasseurs habités, mais entre réseaux de plateformes autonomes, reliées par des architectures ouvertes et pilotées à distance par quelques équipages très qualifiés. La question n’est plus de savoir si ce modèle s’imposera, mais à quel rythme, et avec quel degré de contrôle humain sur la décision de tirer.

Sources

  • Air & Space Forces Magazine, “F-22 Pilot Controls ‘CCA Surrogate’ Drone from Cockpit”, 17 novembre 2025.
  • Breaking Defense, “In a first, F-22 pilot controls wingman drone from cockpit”, 17 novembre 2025.
  • The War Zone, “F-22 Pilot Controls MQ-20 Drone From The Cockpit In Mock Combat Mission”, 17 novembre 2025.
  • FlightGlobal, “F-22 successfully controls MQ-20 uncrewed jet in demonstration flight”, 18 novembre 2025.
  • Fiches techniques MQ-20 Avenger : Designation-systems, Missile Defense Advocacy Alliance, General Atomics.

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