Un deal F-35 géant pour Riyad fait craindre corruption et espionnage par ricochet

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La vente envisagée de 48 F‑35 à l’Arabie saoudite (142 milliards $) ravive les craintes de corruption et d’espionnage chinois via la RSAF.

En résumé

Un dossier des plus sensibles refait surface en 2025 : l’Arabie saoudite pourrait acheter jusqu’à 48 F-35 pour environ 142 milliards de dollars. Un tel volume représenterait l’un des plus gros contrats d’armes américains jamais envisagés. Mais cette perspective soulève de fortes questions : des antécédents de corruption dans les ventes d’armes à Riyad, des lois américaines d’exportation d’équipements militaires renforcées après l’assassinat de Jamal Khashoggi en 2018, et l’alerte selon laquelle le risque d’espionnage via la force aérienne saoudienne (RSAF) pourrait ouvrir une voie d’accès indirecte pour la Chine dans le Golfe. Au-delà de l’aspect technique, c’est aussi la question de l’équilibre stratégique au Moyen-Orient, du rôle des États-Unis et de la sureté des alliés qui est en jeu.

Le contexte et les contours de l’accord proposé

La proposition d’une vente de 48 F-35 à l’Arabie saoudite est évoquée dans plusieurs sources comme étant examinée sous la présidence de Donald Trump. Selon Reuters du 4 novembre 2025, l’Pentagon aurait franchi un jalon majeur dans la revue d’une demande saoudienne de 48 chasseurs F-35. Le montant de “142 milliards dollars” (≈ 130 milliards euros) est cité dans des analyses critiques comme un “pack armement global” incluant mais non limité aux F-35.

On parle d’un montant aussi élevé car il engloberait non seulement les 48 appareils, mais aussi le soutien logistique, les munitions, les équipements associés, la maintenance sur plusieurs années, la formation et probablement des systèmes d’arme connexes. Le chiffre de 142 milliards de dollars est mentionné comme “le plus important accord de défense dans l’histoire” selon les partisans.

Mais pour l’heure, aucun contrat final n’a été rendu public. L’Arabie doit répondre à la procédure d’exportation américaine (FMS : Foreign Military Sales) et l’accord doit passer par le Département d’État, le Pentagon, la Maison-Blanche et le Congrès.

L’importance stratégique pour l’Arabie saoudite

Pour Riyad, acquérir le F-35 représenterait un saut qualitatif majeur. Le F-35 est un avion furtif multirôle de 5ᵉ génération, capable de missions air-air, air-sol, et de collecte/partage de données en réseau. Cela renforcerait la force aérienne saoudienne (RSAF) non seulement vis-à-vis de l’Iran mais aussi dans son ambition de devenir “acteur global” de défense dans le Golfe.

Posséder une flotte de F-35 crédibiliserait la posture saoudienne de “pivot” entre l’Amérique et les pays arabes, et permettrait d’accéder à des technologies sensibles (capteurs, furtivité, liaison de données). Cet effet prestige est aussi important pour le prince héritier Mohammed bin Salman (MBS) qui entend diversifier les alliances et affirmer la puissance du royaume.

Outre le prestige, cela donnerait un avantage tactique et stratégique durable. Dans une région où les flottes aériennes sont modernisées (Émirats, Turquie, Israël, etc.), le F-35 mettrait l’Arabie au niveau des meilleurs. Cela pourrait aussi ouvrir des possibilités d’exportation saoudiennes ou de coopération avec d’autres États arabes ou africains.

Les craintes de corruption et les antécédents saoudiens

Un tel montant massif soulève aussitôt la question de la corruption. La vente d’armes est un secteur à haut risque de corruption : selon Transparency International, l’industrie de la défense est “une des plus corrompues au monde”.

L’Arabie saoudite, dans son propre rapport de l’ONG Human Rights Watch, est présentée comme ayant des problèmes sérieux de corruption de longue durée. On parle de plus de 100 milliards de dollars détournés ou mal utilisés sur plusieurs décennies.

On peut aussi rappeler des affaires historiques comme le contrat « Al-Yamamah » entre le Royaume-Uni et l’Arabie dans les années 1980-2000, entaché d’accusations de pots-de-vin importantes.

Dans le cas de l’accord F-35, plusieurs risques sont identifiés : les commissions occultes via des intermédiaires, les “offsets” (contreparties industrielles) peu transparentes, l’influence politique et lobbying actif, voire le financement indirect de réseaux. Une note indique : « Le secteur de la défense s’appuie sur un réseau complexe entre gouvernements, industries, et lobbying dans les pays du Golfe. »

En clair, lorsqu’un pays signe un contrat d’armes de ce type, il nécessite une vigilance extrême : audit indépendant, transparence, suivi des “offsets”, mesures anticorruption. Dans l’UE et ailleurs, certains États imposent désormais des règles strictes sur ces ventes.

Les lois américaines d’exportation et l’impact de l’affaire Khashoggi

Depuis l’assassinat de Jamal Khashoggi en octobre 2018 à l’ambassade d’Arabie saoudite à Istanbul, le Congrès américain a renforcé sa surveillance des ventes d’armes au royaume. Les lois importantes sont :

  • L’Arms Export Control Act (AECA) de 1976, qui donne au président américain l’autorité sur les exportations d’armes et exige la notification au Congrès.
  • Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) qui sanctionne essentiellement les entreprises américaines et les intermédiaires, mais pas toujours les fonctionnaires étrangers.

Suite à l’affaire Khashoggi, des résolutions du Sénat ont tenté de bloquer certaines ventes d’armes à l’Arabie saoudite. En juillet 2019, le Sénat a échoué à passer outre le veto de Trump qui avait permis à l’administration de vendre plus de 8 milliards de dollars d’armes à Riyad.

Même si un accord F-35 à 142 milliards fait l’objet d’un intérêt, il devra passer par la notification du Congrès, l’examen des implications stratégiques, des droits de l’homme, des risques de transfert technologique ou d’espionnage. Le traitement de ces dossiers montre que la vente d’armes à l’Arabie reste fragile, dépendante d’un équilibre délicat entre priorité stratégique et contraintes éthiques.

Le risque d’espionnage chinois via la RSAF et les liens Chine-Arabie

Un des aspects les moins évoqués publiquement mais clairement soulignés par des sources du Pentagon concerne le risque accru d’espionnage indirect via une force aérienne saoudienne équipée de F-35. L’argument est le suivant : si l’Arabie saoudite reçoit des F-35 et les exploite en réseau avec d’autres systèmes (capteurs, drones, satellites), cela crée un “nœud” technologique potentiellement vulnérable au cyber-intrusion, à la rétro-ingénierie, ou aux transferts de données sensibles.

La Chine a renforcé ses liens stratégiques avec l’Arabie saoudite ces dernières années : coopération énergétique, investissements, technologies. Le rapport « Military and Security Developments Involving the People’s Republic of China 2024 » du DoD mentionne que la Chine utilise la corruption, les prêts et la coopération policière pour accroître son influence.

En pratique, deux scénarios préoccupent :

  • Un acteur chinois pourrait accéder à des données ou au réseau de maintenance/entraînement du F-35 via des contrats saoudiens ou des partenariats industriels.
  • Le déploiement d’une flotte F-35 pourrait nécessiter des infrastructures IT et un écosystème de partenaires (logiciels, capteurs, pièces). Si ces partenaires ont des liens chinois ou sont soumis à pression d’espionnage, le risque est réel.

L’Arabie saoudite offre aussi à la Chine un marché stratégique pour ses investissements et technologies, ce qui crée un canal indirect : Riyad pourrait accepter des coproductions, ou des transferts de savoir-faire, ouvrant un vecteur potentiel à la Chine. Le risque d’un “rebond” technologique vers la Chine via l’Arabie doit donc être pris en compte.

Les précédents de ventes controversées et les leçons à tirer

L’histoire regorge de précédents d’armements majeurs qui ont suscité corruption ou transfert technologique non désiré. L’accord Al-Yamamah (Royaume-Uni-Arabie saoudite) est souvent cité : des accusations de pots-de-vin, de fonds occultes, de pression sur les services d’enquête britannique.

De même, une étude de Transparency International évoque que les États du Golfe sont “à très haut risque” en matière de corruption dans le secteur de la défense.

Ce passé suggère que tout accord de grande ampleur avec l’Arabie nécessite des mécanismes robustes de contrôle : audits, transparence, responsabilité, restrictions sur les intermédiaires, strict respect des lois d’exportation américaines. Malheureusement, les “offsets” (contreparties industrielles) sont souvent un terrain propice aux détournements.

Ainsi, l’éventualité d’une vente de 48 F-35 pour 142 milliards doit être examinée à l’aune de ces précédents : les montants massifs, la complexité des systèmes, les enjeux stratégiques élevés, tout crée un environnement à haut risque.

Les enjeux pour les États-Unis, Israël et la stabilité régionale

Pour les États-Unis, un tel accord représente un choix stratégique et politique. D’un côté, il répond à la demande d’un allié majeur au Moyen-Orient et génère des revenus pour l’industrie américaine (Lockheed Martin est le constructeur du F-35). De l’autre, cela pose des dilemmes : maintenir la « qualitative military edge » d’Israël, éviter que la région ne s’embrase, contrôler les transferts technologiques sensibles.

La presse note que l’accord testerait la définition américaine du maintien de la supériorité israélienne dans la région.

Pour Israël, voir l’Arabie saoudite dotée de F-35 brouille les équilibres stratégiques et numériques (le F-35 partage des réseaux, des données de capteurs, etc.). Cela oblige Jérusalem à renforcer ses propres défenses, voire à accélérer des programmes alternatifs.

Pour la stabilité régionale, l’arrivée de F-35 en Arabie pourrait modifier l’équilibre des forces dans le Golfe, inciter l’Iran et ses alliés à renforcer leur posture, et provoquer une « cascade de modernisation aérienne ». Cela peut aussi créer des tensions avec les autres États du Golfe qui veulent aussi accéder à des appareils de 5ᵉ génération.

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Le statut légal et procédural de l’exportation F-35 vers l’Arabie

Un contrat de ce type doit respecter plusieurs étapes légales et procédurales. Le processus FMS prévoit une notification au Congrès via l’Arms Export Control Act (AECA) et les réglementations ITAR (International Traffic in Arms Regulations).

Les États-Unis doivent évaluer l’impact d’une vente majeure sur la sécurité nationale, les droits de l’homme, l’équilibre régional, ainsi que l’usage final des équipements. L’administration doit également vérifier que l’État destinataire ne transfèrera pas l’équipement, ne l’utilisera pas pour des violations ou ne fera pas de transfert technologique non autorisé.

La vente de 48 F-35 pour 142 milliards serait soumise à ces examens : le Congrès pourrait demander des garanties supplémentaires, des clauses de contrôle, des audits, des restrictions de réexportation, ou conditionner l’accord à des réformes en Arabie saoudite.

Perspectives et voies de prudence

Si ce contrat se matérialise, il ouvrira un nouveau chapitre dans l’exportation américaine d’armes et dans la dynamique du moyen-orient. Toutefois, pour limiter les risques, plusieurs pistes doivent être envisagées :

  • Imposer des mécanismes de transparence sur les commissions, les offset, les intermédiaires saoudiens.
  • Conditionner l’accord à des mesures de suivi des transferts technologiques et de cybersécurité.
  • Prévoir un contrôle d’accès aux données sensibles du F-35 et des réseaux associés pour éviter l’espionnage ou l’accès chinois.
  • Maintenir une coordination étroite avec Israël et l’ensemble des alliés de la région pour surveiller l’équilibre militaire.
  • Intégrer dans l’accord des modalités de révision périodique, de sanctions en cas de non-respect, et de retour d’équipements en cas d’usage incompatible ou de crise.

La question reste : cet accord, s’il est signé, sera-t-il un catalyseur de modernisation ou un point de bascule vers des risques d’espionnage et d’instabilité ? Le pari est élevé.

La vente envisagée de 48 F-35 pour 142 milliards de dollars à l’Arabie saoudite représente bien plus qu’un simple contrat aérien. Elle incarne un choix stratégique pour les États-Unis, une quête de prestige et de puissance pour Riyad, mais aussi un terreau à risques : corruption potentielle, transferts technologiques, espionnage indirect via la Chine. Le vrai défi sera d’exploiter ce potentiel sans perdre de vue les garde-fous indispensables.

Sources
– Reuters, « Saudi Arabia’s request to buy F-35 jets clears key Pentagon hurdle », 4 novembre 2025.
– NakedCapitalism, « Trump smoke and mirrors on claimed “142 billion $” Saudi arms deal », 15 mai 2025.
– ArmyRecognition, « Saudi Arabia may buy up to 48 F-35 fighter jets after new U.S. defense talks », novembre 2025.
– Transparency International / documents “The cases of Saudi Arabia & UAE” (2019).
– Wikipedia, Arms Export Control Act; International Traffic in Arms Regulations.
– HRW, « The Man Who Bought the World », 20 novembre 2024.

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