Kronstadt, géant des drones russes, menacé de faillite

Kronstadt

AO Kronstadt, fabricant des drones Orion et Inokhodets, subit des poursuites massives et un retrait d’investisseur, risquant la faillite imminente.

AO Kronstadt, l’un des principaux fabricants russes de drones militaires — les Orion et Inokhodets — se trouve aujourd’hui en situation critique. Depuis l’été 2025, plus de 40 poursuites cumulant 626,3 millions de roubles (environ 6,7 M €) ont été lancées contre lui. L’ancrage financier assuré par AFK Sistema a été rompu en mai 2022, entraînant une pression financière croissante. Les sanctions internationales, la hausse des coûts des composants importés, ainsi que les exigences des commandes d’État accentuent cette crise. En outre, des attaques ukrainiennes sur l’usine de Dubna ont affaibli la production. Malgré des investissements publics, la viabilité de Kronstadt est gravement compromise. La question reste : peut-on restructurer l’entreprise ou l’intégrer à un conglomérat ? Pour l’heure, beaucoup estiment sa faillite probable.

Le contexte des poursuites financières

Depuis l’été 2025, AO Kronstadt fait face à plus de 40 actions en justice, totalisant 626,3 millions de roubles (≈ 6,7 millions d’euros). Parmi elles, les plus importantes proviennent de Innovative Technologies and Materials (151,1 M roubles) et du Research Institute of Modern Telecommunications Technologies (220,6 M roubles). Ces montants s’ajoutent aux litiges précédents : en mai 2025, le total des réclamations avait déjà atteint 1 milliard de roubles. Sur six mois, certaines sources évoquent jusqu’à 1,5 milliard de roubles de dettes revendiquées.

Exemple concret : le litige avec AO Elara s’élève à 409,5 M roubles, avec d’autres créanciers majeurs comme AО GMZ Agat (130,8 M), АО EMZ (143 M), et ООО Promspecservice (142 M).

Techniquement, ces poursuites s’inscrivent dans un contexte de rupture de financement, de stress sur la trésorerie, et de désengagement des partenaires : la situation inquiète les sous-traitants, qui se précipitent pour se faire inscrire dans la file des créanciers — un processus typique en procédure de faillite.

Causes structurelles de la crise

La crise de Kronstadt s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs structurels. En premier lieu, le retrait de AFK Sistema, actionnaire clé, en mai 2022, a privé l’entreprise de son appui financier principal. Sans cet investisseur stratégique, Kronstadt a perdu l’accès à des capacités cruciales de capital, ce qui a déclenché une montée rapide de l’endettement.

Ensuite, les sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne, interrompant l’accès aux technologies et pièces essentielles, ont provoqué une hausse des coûts et des retards dans la production. Simultanément, les commandes gouvernementales massives ont augmenté les exigences de production, alors même que les chaînes logistiques étaient déjà fragilisées.

Enfin, un facteur inattendu : des attaques ukrainiennes sur l’usine de Dubna — notamment le 28 mai 2025, date où des drones ukrainiens ont frappé l’usine, touchant son toit à huit reprises — ont lourdement endommagé les capacités industrielles. Ces éléments conjugués ont forgé une crise de liquidité et de production, conduisant à la situation actuelle.

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Impacts et perspectives

La situation de Kronstadt a des conséquences multiples.

Effet sur la défense russe

Kronstadt était un pilier de la stratégie en drones de longue durée (MALE) — les Orion et Inokhodets, équivalents russes du MQ‑9 Reaper américain — utilisés massivement en Ukraine, notamment pour surveillance et frappes. Le déclin de l’entreprise fragilise cette capacité cruciale.

Sous-traitants et crédibilité

Avec des poursuites en série, les fournisseurs peuvent perdre confiance. Si Kronstadt fait faillite, ces entreprises risquent des pertes financières directes. Le comportement de masse des créanciers montre un effet domino négatif sur la filière drone.

Risque de restructuration difficile

Le gouvernement pourrait intervenir via une restructuration ou une absorption dans un conglomérat d’État. Mais la complexité technique des drones et les tensions de sanctions compliquent toute opération. Sans intervention, une liquidation semble probable selon les experts.

Enjeux plus larges pour l’industrie russe

Le cas Kronstadt illustre un malaise plus général dans l’industrie de défense russe. Malgré des volumes de commandes importants, la combinaison de sanctions, de la fragilité du financement privé, d’une logistique chancelante, et d’impacts directs du conflit entraîne des dysfonctionnements majeurs.

Même les projets stratégiques, soutenus par le ministère de la Défense, ne résistent pas à ces pressions, comme le souligne le Center for Countering Disinformation ukrainien : même les entreprises privilégiées ne sont pas à l’abri. Les retards, les pertes opérationnelles, et un environnement financier et légal hostile créent un risque systémique pour toute la filière BAVS (basée sur les systèmes aériens).

Ce déclin peut inciter le Kremlin à réduire la dépendance aux acteurs privés, en favorisant une centralisation ou en poussant vers l’imbrication secteur public‑entreprise d’État — une piste lourde en conséquences industrielles.

Réflexions franches

Soyons clairs : rien n’illustre mieux l’effondrement progressif d’un écosystème industriel que la déchéance de Kronstadt. Cette entreprise, censée incarner l’autonomie technologique russe, est aujourd’hui en panne financière, malgré son rôle stratégique. Le retrait de l’actionnaire principal devrait sonner une alerte : l’indépendance industrielle repose sur une base financière solide, inexistante ici.

Ensuite, les sanctions internationales ont un effet réel, technique, pas juste symbolique : elles ont pénalisé l’accès à la production, intensifié les coûts, fragmenté les chaînes d’approvisionnement. Ajouter à cela des frappes directes… c’est un mode de guerre économique, destructeur, sans compensation.

Enfin, cette crise révèle une contradiction : l’État commande massivement, mais laisse vaciller ceux qui exécutent. Si le système reste tel quel, la filière drone pourrait s’effondrer plus vite qu’on ne le pense. Les drones Orion et Sirius, pourtant prometteurs en théorie, peuvent devenir obsolètes avant même d’être déployés en série.

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