Le F-35 en difficulté : modernisation en panne et facture qui explose

F-35 USA

Le programme F‑35 Lightning II de Lockheed Martin est secoué par une envolée des coûts, des retards dans l’upgrade TR-3 et des pannes de moteur.

En résumé

Le programme F-35, cœur de la stratégie aérienne des alliés de l’OTAN, traverse une phase délicate. Les estimations de surcoût pour l’entretien sur toute la durée de vie du programme dépassent désormais 1 600 milliards USD (soit plus de 1 500 milliards €). L’élément central de la modernisation, l’upgrade dite TR-3 (ou Block 4), accuse un retard de plusieurs années et des surcoûts d’au moins 6 milliards USD. Du côté industriel, la cadence de production visée (environ 156 jets par an) reste incertaine, de même que les livraisons à temps. Enfin, plusieurs alliés – notamment le Royaume‑Uni – évoquent des dysfonctionnements à la fois logiciels et logistiques, ce qui affecte la disponibilité opérationnelle. Ces enjeux, à la fois techniques, industriels et stratégiques, posent la question de la soutenabilité du programme pour les prochaines décennies.

Le coût qui explose : quand la facture n’arrête pas de grimper

Le programme F-35 avait été initialement annoncé dans des ordres de grandeur relativement modestes, mais les estimations ont été revues à la hausse à plusieurs reprises. Selon un rapport du Government Accountability Office (GAO) publié en avril 2024, les coûts d’entretien (sustainment) pour toute la durée de vie du programme ont augmenté de 44 % depuis 2018, passant de 1 100 milliards USD à environ 1 580 milliards USD. En y ajoutant les coûts d’acquisition (environ 442 milliards USD), le total dépasse désormais les 2 000 milliards USD.
Cette baisse d’efficience se traduit par un coût annuel d’opération estimé à environ 6,6 millions USD par avion pour la variante F-35A, largement au-dessus de la cible initiale de 4,1 millions USD.
Le constat est clair : la logique d’un chasseur « unique » pour plusieurs forces armées, synonyme de réduction de coûts, est mise à mal. Le programme absorbe des ressources colossales, alors même que d’autres priorités émergent (drones, systèmes hypersoniques). L’aspect économique n’est plus une variable mineure de ce projet mais un sujet critique.

L’upgrade TR-3 (Block 4) : une modernisation en panne de vitesse

L’un des piliers de la stratégie du F-35 consiste à faire évoluer l’appareil pour répondre aux menaces de la décennie à venir : nouveaux radars, traitement de données, guerre électronique. C’est l’objet de la mise à niveau dite « Technology Refresh 3 » (TR-3) intégrée au programme de modernisation Block 4. Toutefois, cette phase accuse d’importants retards. Selon des sources spécialisées, TR-3 aurait un retard d’au moins cinq ans et des surcoûts de plus de 6 milliards USD.
Plus précisément, les tests de vol avec certains composants TR-3 ont débuté en 2023, mais des instabilités logicielles et des problèmes de qualité des composants ont contraint le Pentagon à suspendre l’acceptation des appareils.
En juillet 2025, le JPO (Joint Program Office) a annoncé que la livraison de la version « 40R02 » (logiciel) ne pourrait pas intervenir avant 2026 ou au-delà. Le périmètre de l’upgrade a été réduit pour respecter une cadence plus réaliste.
Conséquence directe : des avions sont livrés avec des capacités « bridées » et non encore pleinement opérationnelles. Cela remet en cause l’idée que le F-35 pourra rester à la pointe technologique sans à nouveau subir des rétrofits coûteux à mi-vie.

Les problèmes de moteurs et de maintenance : fiabilité sous pression

Outre les retards logiciels, la fiabilité du moteur, des systèmes de refroidissement et de gestion thermique pose problème. Un rapport indique que le système de gestion thermique actuel est surchargé, ce qui réduit la durée de vie moteur de l’appareil. Le remplacement ou la modernisation du moteur (programme EPM – engine performance modification) est donc critique mais encore instable.
Par ailleurs, un autre rapport du GAO souligne que les trois variantes du F-35 ne respectent pas les objectifs de taux de mission (mission capable rate) : la disponibilité opérationnelle progresse difficilement.
Sur le plan logistique, la chaîne de pièces détachées est très sollicitée, le recours à des opérations de maintenance lourdes est vécu comme un frein à la projection opérationnelle. Le coût de maintenance horaire (coût par heure de vol) reste élevé.
En résumé, l’aéronef peine encore à tenir ses promesses en matière de fiabilité et de coût de fonctionnement, ce qui fait peser un risque important sur sa crédibilité à long terme.

Production et livraisons : un volume encore incertain

Le programme F-35 prévaut sur des volumes très élevés : les estimations parlent d’une cadence de production de 156 avions par an dans les prochaines années. Toutefois, ceux-ci ne correspondent pas nécessairement aux livraisons effectives aux forces armées. Selon un article, ce volume est qualifié de « maximum intelligent » mais non garanti.
Par exemple, en 2023, seuls 98 appareils ont été livrés. En 2024, malgré des efforts, la moyenne de retard pour chaque livraison atteignait 238 jours.
La firme Lockheed Martin, en 2025, vise entre 170 et 190 livraisons, grâce à l’ajout d’appareils mis en réserve.
Cette distinction entre production et livraison est importante : la capacité à produire n’équivaut pas à la capacité à livrer dans les délais et avec toutes les fonctionnalités. Le maintien d’un tel volume dans un contexte de complexité accrue (modernisation, chaîne globale) constitue un défi industriel majeur.

Disponibilité des forces alliées : les signaux d’alerte se multiplient

Les alliés du programme expriment des réserves quant à leur propre flotte. Au Royaume-Uni, la chambre des communes a souligné des retards de mise à niveau, des problèmes de pièces et des taux d’opérations effectives inférieurs aux objectifs. Les rapports évoquent que la flotte britannique pourrait ne remplir qu’environ un tiers de ses missions prévues en raison de contraintes de soutien matériel et logistique.
L’Israël, premier utilisateur en conditions « réelles » du F-35, a également signalé des bugs logiciels affectant les systèmes internes et l’interopérabilité, ce qui alimente l’inquiétude chez d’autres partenaires. Bien que moins documenté publiquement, cela confirme que l’avion est encore dans une phase de maturation.
Pour les pays utilisateurs, ce contexte crée une tension : acquérir un appareil dit « de cinquième génération » implique de miser sur des capacités futures non encore toutes opérationnelles, tout en supportant des coûts de fonctionnement importants et des délais de mise à niveau.

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Impacts stratégiques et industriels : vers un réajustement du modèle

Le F-35 a été envisagé comme un palliatif long terme face à la prolifération des défenses aériennes avancées et des avions de quatrième génération améliorés. Mais plusieurs faits remettent en cause ce modèle.
D’une part, la hausse des coûts d’exploitation limite les marges bas-faites : chaque heure de vol devient plus chère. D’autre part, le retard des modernisations et la disponibilité réduite mettent en question la capacité du F-35 à maintenir l’avantage technologique. Cela pourrait pousser les États à anticiper la génération suivante d’avions de combat ou à diversifier leurs solutions (drones, missiles à longue portée, coopération internationale plus forte).
Côté industriel, le défi est double : maintenir une chaîne de production à haut volume tout en intégrant des technologies toujours plus complexes (radars AESA, guerre électronique, IA embarquée). Si l’on ajoute la pression sur les moteurs, la logistique mondiale et les exigences de maintenance, on perçoit un modèle de coût qui pourrait évoluer vers une « production allégée » ou modulable plutôt que massifiée.
Enfin, sur le plan stratégique, l’engagement des alliés autour du F-35 reste un ancrage clé. Mais le coût, les retards et la maintenance soutenue transforment cet ancrage en un enjeu de crédibilité : celui de pouvoir déployer un appareil à la hauteur des attentes à un moment où les menaces aériennes évoluent rapidement.

Vers un ajustement du programme : quelles pistes pour l’avenir ?

Trois grandes orientations apparaissent :

  • Réduction de périmètre de modernisation : le choix de livrer des avions avec des capacités « intermédiaires » (ne comprenant pas tous les éléments de TR-3) montre que le programme s’oriente vers un modèle de graduations. Cela permet d’éviter de bloquer l’ensemble des livraisons pour un seul bloc non achevé.
  • Optimisation de la logistique et de la maintenance : pour contenir les coûts, la réduction du coût par heure de vol, l’amélioration de la disponibilité des pièces, la formation et la maintenance prédictive sont au cœur de la stratégie. Le rapport GAO souligne que beaucoup des recommandations (43) ne sont pas encore mises en œuvre.
  • Diversification des approches de capacité aérienne : certains pays commencent à combiner des avions de 5e génération avec des drones ou des avions de 4+ génération modernisés. Le F-35 ne peut plus être l’unique pilier sans égard pour son coût et ses limites temporaires.

Le programme F-35 reste un atout stratégique pour ses opérateurs, mais il entre désormais dans une phase de recalibrage où les ambitions doivent se confronter à la réalité industrielle et opérationnelle. Pour les alliés, il faudra non seulement acquérir l’appareil, mais aussi s’assurer qu’il est disponible, maintenable et adaptable dans un monde où la menace aérienne et électronique ne cesse de croître. Les prochains mois seront déterminants pour évaluer si ce programme peut tenir ses promesses ou s’il doit s’engager dans une nouvelle trajectoire d’évolution.

Sources :
Government Accountability Office ; Defence Industry ; Defense News ; Bloomberg ; Congress Research Service ; Breaking Defense.

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