Le vieux AIM-9M israélien transformé en tueur de drones

AIM side winder Israel

Israël aurait adapté le missile AIM-9M Sidewinder pour intercepter les drones Shahed. Une reconversion stratégique d’armements anciens face à la menace des drones kamikazes.

En résumé

Selon un article de The War Zone s’appuyant sur un rapport du Foreign Policy Research Institute (FPRI), Israël a modifié le chercheur infrarouge de ses missiles AIM-9M Sidewinder pour les rendre plus efficaces contre les drones kamikazes de type Shahed-136. Ces engins iraniens, lents, discrets et volant à basse altitude, ont mis en difficulté les forces américaines et alliées lors de l’attaque massive d’avril 2024 contre Israël. Les pilotes ont rapidement constaté que l’AIM-9X moderne était l’arme la plus fiable contre ces cibles, alors que l’AIM-9M fonctionnait mal dans ce rôle. Israël aurait donc choisi de “recycler” ses AIM-9M en adaptant leur chercheur – probablement par des modifications logicielles et de capteurs – pour mieux distinguer des cibles faiblement rayonnantes évoluant près du sol. Cette solution exploite un stock considérable de missiles relativement peu coûteux, tout en renforçant la défense antidrone. La technologie n’est pas partagée pour l’instant, mais pourrait intéresser des utilisateurs comme Ukraine, qui emploie déjà l’AIM-9M depuis ses F-16.

La reconversion d’un missile de la Guerre froide face aux drones kamikazes

L’information vient d’un article de The War Zone qui s’appuie sur un rapport du FPRI consacré aux leçons tirées de la défense d’Israël lors du raid iranien des 13-14 avril 2024. Dans cette attaque, plus de 200 drones et missiles – dont de nombreux drones kamikazes – ont été engagés contre le territoire israélien, mobilisant un dispositif multinational de défense aérienne.

Au cœur de cette analyse, un constat des équipages américains : contre ces drones lents et évoluant très bas, le missile AIM-9X s’est révélé le meilleur outil, tandis que l’AIM-9M Sidewinder “ne fonctionnait pas bien” dans ce rôle. Le X, doté d’un chercheur infrarouge imageur de dernière génération, voit plus loin, discrimine mieux les cibles et accepte des angles de tir élevés, ce qui facilite l’engagement de drones peu visibles.

Problème : les stocks d’AIM-9X sont limités et chaque missile coûte plusieurs centaines de milliers de dollars, alors que les États disposent encore de milliers d’AIM-9M, produits depuis les années 1980, pour un coût unitaire historiquement de l’ordre de 70 000 dollars (en dollars de l’époque). Israël aurait donc fait un choix pragmatique : adapter l’ancien AIM-9M pour en faire une arme antidrone dédiée, plutôt que de consommer systématiquement les stocks d’AIM-9X.

Le rapport du FPRI indique clairement que l’armée de l’air israélienne a “modifié le chercheur de l’AIM-9M et l’a employé avec un succès considérable” contre les drones à longue portée, tout en précisant que les Israéliens n’ont pas partagé cette technologie, “pas même avec les États-Unis”. Le détail des changements reste donc secret, mais le contexte opérationnel et la physique du guidage infrarouge permettent d’en déduire les grandes logiques.

Les limites de l’AIM-9M face aux drones Shahed

L’AIM-9M Sidewinder est une évolution de l’AIM-9L, lui-même premier Sidewinder “toutes aspects”. Il conserve une architecture classique : missile de 2,89 m de long, pesant environ 86 kg, doté d’un moteur à propergol solide et d’une ogive annulaire de 9,4 kg. Son chercheur infrarouge refroidi détecte les contrastes thermiques (typiquement la tuyère d’un réacteur ou les surfaces chauffées d’un avion en vol rapide) et guide le missile jusqu’au point d’impact.

Ce profil de cible convient parfaitement à un avion de combat, dont le réacteur produit une signature thermique intense et bien distincte du fond de ciel. Il est en revanche mal adapté à un drone à hélice, motorisé par un petit moteur à pistons, volant lentement à basse altitude.

Le Shahed-136, long d’environ 3,5 m pour une envergure de 2,5 m, pèse près de 200 kg et emporte une ogive estimée à 40–50 kg. Il vole autour de 185 km/h, à des altitudes typiques de 60 à 4 000 m, avec un rayon d’action de 1 000 à 2 500 km selon les sources. Sa cellule en aile delta, son moteur à hélice en configuration “poussoir” et l’absence de surfaces fortement chauffées le rendent difficile à distinguer d’un fond terrestre chaud – surtout au-dessus d’un désert.

Le rapport du FPRI décrit très bien cette difficulté : les drones “volent à peu près à la vitesse d’un véhicule roulant vite” et, lorsqu’ils suivent les routes, ils se confondent sur radar avec la circulation. Les pilotes doivent alors s’appuyer sur des capteurs électro-optiques et infrarouges embarqués (pods type Sniper) pour faire la différence entre une voiture et un drone, dans un environnement saturé d’échos.

Pour un AIM-9M non modifié, deux problèmes majeurs se posent :

  • La signature thermique du drone est faible, dominée par un petit moteur et une hélice, donc difficile à distinguer du sol chauffé ou d’autres sources parasites.
  • Le vol à très basse altitude crée beaucoup de “brouillage” de fond : le chercheur doit trier une cible froide ou tiède au-dessus d’un fond chaud, au lieu de traquer un jet brillant dans un ciel froid.

Les équipages américains engagés dans la défense d’Israël ont donc logiquement constaté que l’AIM-9M était moins fiable que l’AIM-9X, dont le chercheur imageur traite plus finement les contrastes et les formes. Israël, qui dispose d’une grande expérience opérationnelle avec les drones et un vaste parc de missiles air-air, avait tout intérêt à corriger ces faiblesses.

Le fonctionnement des chercheurs et ce que l’on peut changer

Même si Israël garde le secret sur la nature exacte des modifications, les pistes techniques sont relativement claires.

Le chercheur de l’AIM-9M repose sur un capteur infrarouge couplé à une électronique de traitement du signal qui applique des filtres, des seuils et des algorithmes de poursuite. En jouant sur ces paramètres, on peut adapter le missile à d’autres types de cibles, sans forcément changer la mécanique du capteur.

Plusieurs axes d’amélioration sont plausibles :

  • Réglage de la sensibilité : augmenter la sensibilité du détecteur et ajuster les seuils de détection pour capter la signature thermique beaucoup plus faible d’un drone à hélice.
  • Filtres de fond “look-down” : optimiser les algorithmes pour mieux extraire une petite source chaude au-dessus d’un fond terrestre, en tenant compte de la vitesse et de la trajectoire typique d’un drone.
  • Fenêtre de poursuite élargie : adapter les lois de guidage pour des cibles lentes, avec des accélérations modestes, au lieu de profils de manœuvre d’un chasseur supersonique.
  • Fusée de proximité : s’inspirer des travaux américains sur les FIM-92 Stinger modernisés, auxquels de nouveaux capteurs radar de proximité ont été ajoutés pour optimiser l’explosion contre des drones, et non contre des avions.

Le rapport FPRI laisse d’ailleurs entendre que le terme “seeker” pourrait désigner un ensemble plus large de modifications touchant le capteur, le traitement et la fusée. Certaines pourraient être purement logicielles, téléchargées dans l’électronique de bord, ce qui permettrait de reconfigurer rapidement de grands stocks de missiles.

Sur le plan opérationnel, ces AIM-9M modifiés seraient intégrés dans un ensemble plus large : radars de bord, pods de désignation, liaisons de données, voire désignation initiale par des F-35 dotés de radars AESA, comme le décrit le FPRI pour les tactiques israéliennes. Le missile n’est alors que l’ultime maillon d’une chaîne de détection, d’identification et de tir optimisée contre les drones.

Les enjeux de coûts, de stocks et de diffusion internationale

L’un des grands intérêts de cette reconversion réside dans le rapport coût/efficacité. Un AIM-9M coûtait environ 68 600 dollars pour l’US Air Force au milieu des années 1980, là où un AIM-9X moderne dépasse aujourd’hui les 400 000 dollars pièce selon les documents budgétaires américains.

En face, un drone kamikaze Shahed est un système low-cost : certaines estimations évoquent des coûts de production de 30 000 à 80 000 dollars pour les variantes russes Geran-2. Le rapport purement économique n’est donc pas favorable si chaque drone est détruit par un missile coûtant plusieurs fois son prix. Mais dans une situation de crise, la priorité reste de protéger les infrastructures critiques, quitte à accepter un échange défavorable.

L’avantage des AIM-9M est double :

  • Ils existent déjà en grande quantité, avec plus de 11 000 unités produites pour cette seule version.
  • Ils sont largement amortis et, pour beaucoup, proches de la fin de leur vie opérationnelle. Les adapter en armes antidrone prolonge leur utilité au lieu de les mettre au rebut.

Cette approche intéresse directement des pays comme Ukraine, qui reçoit des F-16 équipés d’AIM-9M et d’AIM-120 AMRAAM et fait face à des salves répétées de drones Shahed ou dérivés. Pouvoir modifier rapidement des AIM-9M déjà livrés – ou à livrer – en configuration antidrone serait un multiplicateur de force immédiat, sans attendre le financement et la livraison de lots d’AIM-9X supplémentaires.

Le FPRI plaide d’ailleurs pour que la technologie israélienne soit partagée avec les alliés, en soulignant la vulnérabilité persistante de nombreuses forces européennes face aux drones à bas coût. C’est un enjeu industriel autant que politique : standardiser des kits de modernisation pour anciens missiles, définir des doctrines d’emploi communes et intégrer ces solutions dans des architectures de défense multicouches.

AIM side winder Israel

La place des missiles “recyclés” dans la défense antidrone

Les AIM-9M modifiés ne sont qu’un élément d’un paysage antidrone de plus en plus diversifié. Le même rapport évoque le recours grandissant à des roquettes guidées de 70 mm, comme l’APKWS II en version FALCO, adaptées au tir air-air contre des drones et des missiles de croisière subsoniques. Ces roquettes, dont le module de guidage coûte entre 15 000 et 20 000 dollars, offrent une grande profondeur de chargeur à moindre coût, au prix toutefois de contraintes tactiques fortes : la cible doit être illuminée au laser pendant tout le vol.

On voit ainsi se dessiner une architecture de défense antidrone hiérarchisée :

  • Des armes très bon marché (canons, munitions programmables, drones intercepteurs) pour les drones légers et à courte portée.
  • Des roquettes guidées ou missiles sol-air compacts pour des cibles intermédiaires.
  • Des missiles air-air reconvertis, comme l’AIM-9M modifié, pour donner aux patrouilles de F-16 et autres chasseurs une capacité robuste contre des menaces plus éloignées ou plus nombreuses.

Les modifications israéliennes sur l’AIM-9M s’inscrivent dans cette logique : exploiter un parc existant, réduire le coût marginal de l’interception et éviter de brûler des munitions stratégiques plus rares, tout en s’adaptant à une menace qui explose en volume.

La montée en puissance des drones impose d’inventer vite

En adaptant un missile conçu dans les années 1970 pour tirer sur des chasseurs à réaction, Israël montre qu’il est possible de reconfigurer des armements “anciens” pour la guerre des drones, à condition de maîtriser capteurs, logiciels et intégration système. Les drones kamikazes comme le Shahed-136 ont démontré leur capacité à saturer les défenses, à frapper loin et à peser sur la psychologie des populations, pour un coût bien inférieur à celui d’un missile de croisière.

La vraie question n’est plus de savoir si ces menaces vont se généraliser – elles le sont déjà – mais à quelle vitesse les forces aériennes et terrestres parviendront à adapter leurs arsenaux. Entre nouvelles armes dédiées et “bricolages ingénieux” sur des systèmes existants, les armées doivent arbitrer en permanence entre temps, coût et efficacité.

Les modifications israéliennes sur l’AIM-9M Sidewinder ne sont probablement qu’un avant-goût de ce que l’on verra dans les années à venir : des missiles reprogrammés, des roquettes recyclées en intercepteurs, des canons pilotés par l’IA, voire des armes à énergie dirigée intégrées aux plateformes existantes. Reste à savoir si cette capacité restera un avantage discret de quelques acteurs, ou si elle sera rapidement partagée, notamment avec les pays qui, comme Ukraine, sont aujourd’hui en première ligne face à la guerre des drones.

Sources

  • Joseph Trevithick, « Israel Modified AIM-9M Sidewinder Missile Seekers To Better Target Drones: Report », The War Zone, 15 novembre 2025.
  • Aaron Stein, « Drones and Mass Salvo Attacks: Lessons Learned from the American Defense of Israel », Foreign Policy Research Institute, novembre 2025.
  • Fiche technique « AIM-9 Sidewinder », US Air Force et documentation ouverte.
  • Analyses techniques sur le Shahed-136 et variantes, OSMP et autres sources ouvertes.
  • Données de coûts et d’industrialisation des missiles AIM-9 et AIM-9X dans la littérature spécialisée et les documents budgétaires américains.

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