Le Gripen E équipé d’une IA autonome pour le combat BVR

SAAB Gripen intelligence artificielle

Le Gripen E de Saab intègre l’IA Centaur pour mener des combats au-delà de la portée visuelle, une avancée testée face à un avion piloté.

Saab a testé en vol, entre le 28 mai et le 3 juin 2025, une version du Gripen E équipée de l’agent d’intelligence artificielle Centaur, développé par Helsing. Cette IA a été intégrée sans modification lourde, grâce à l’architecture ouverte de l’avion. Elle a permis des engagements autonomes au-delà de la portée visuelle (BVR) contre un Gripen D piloté. Centaur a exécuté des manœuvres complexes, proposé des instructions de tir et démontré un taux d’apprentissage rapide simulé équivalant à plusieurs décennies de vol humain. Ce test s’inscrit dans le programme suédois Project Beyond, qui prépare les futurs avions de combat, notamment dans le cadre de menaces potentielles en Europe du Nord.

Le contexte technologique du programme Centaur

Le programme Centaur a été développé en Suède dans un cadre gouvernemental clair. Il est financé par la Defense Materiel Administration (FMV), équivalent suédois de la DGA française, dans le cadre du projet Project Beyond. Ce programme vise à expérimenter l’usage de l’intelligence artificielle embarquée dans des scénarios de combat aérien, en premier lieu les engagements BVR (Beyond Visual Range), qui représentent plus de 70 % des échanges de tirs recensés dans les conflits modernes.

L’intégration a été rendue possible par l’architecture électronique ouverte du Gripen E, qui permet l’insertion rapide de modules logiciels sans refonte lourde du système d’arme. Cette approche logicielle permet d’échapper à des années de certification, contrairement aux avions américains comme le F-16 modifié en X-62A VISTA, qui exige un environnement de test rigide et limité aux bases militaires expérimentales.

Les tests se sont déroulés en Suède et ont opposé un Gripen E autonome à un Gripen D piloté, avec le soutien d’un avion de surveillance AEW\&C. Trois missions ont été réalisées, à distances, vitesses et angles variés. Le système Centaur a exécuté les manœuvres de combat, identifié les moments propices au tir, et assisté le pilote de manière autonome dans la gestion de la charge cognitive.

Cette technologie s’inscrit dans la doctrine suédoise de supériorité technologique asymétrique, essentielle pour une armée de l’air de taille réduite qui doit compenser numériquement les masses adverses, notamment dans l’hypothèse d’un conflit régional avec la Russie.

SAAB Gripen intelligence artificielle

Les performances techniques de l’agent Centaur

L’intelligence artificielle Centaur fonctionne selon une logique d’apprentissage renforcé simulé. En phase de pré-test, elle a absorbé plusieurs milliers d’heures de vol simulées, basées sur les données issues du simulateur de Gripen E. Selon Helsing, une seule séquence de test aurait permis à l’IA d’acquérir l’équivalent de 50 années de vol humain en quelques heures, grâce à des batailles virtuelles massivement parallélisées.

En combat réel, Centaur a utilisé les capteurs du Gripen E (radar AESA, fusion de données, liaisons tactiques) pour acquérir des cibles, prévoir leurs trajectoires, et déterminer les fenêtres de tir optimales. Il a ensuite transmis au pilote des indications de tir, tout en exécutant les manœuvres de positionnement. L’IA a été testée dans des configurations avec et sans liaison de commandement, afin de valider son autonomie en situation dégradée.

Ce type de combat BVR est extrêmement complexe, comparé par Saab à une partie d’échecs jouée à Mach 1,5, avec des missiles comme le Meteor, capables d’intercepter une cible à plus de 150 km. Les décisions doivent être prises en quelques secondes, sur la base de dizaines de paramètres dynamiques.

La capacité de l’IA à réagir à des variations soudaines (rupture de trajectoire adverse, brouillage, silence radio) est donc un atout opérationnel majeur. Elle libère le pilote des tâches les plus chronophages et répétitives, permettant de concentrer l’attention humaine sur les décisions stratégiques à plus large spectre.

Les implications opérationnelles pour les forces aériennes

L’adoption d’une IA autonome comme Centaur pourrait modifier profondément la manière dont les armées gèrent les engagements aériens. Pour des pays disposant de flottes limitées, comme la Suède ou la Finlande, la valeur ajoutée d’un copilote numérique fiable, capable de traiter l’information à haute fréquence, permettrait de multiplier l’efficacité opérationnelle d’un même nombre d’appareils.

Par ailleurs, l’implémentation de Centaur dans le Gripen E ouvre la voie à son usage dans les plateformes futures, y compris non habitées, comme le démonstrateur Flygsystem 2025 ou les drones de combat autonomes à venir. Le modèle suédois mise sur l’adaptabilité : un même système logiciel pourrait être utilisé dans plusieurs types d’aéronefs, réduisant les coûts d’intégration et de formation.

Sur le plan tactique, l’IA permettrait à un groupe réduit de chasseurs équipés de missiles BVR comme le Meteor ou l’IRIS-T d’intercepter simultanément plusieurs cibles à grande distance, sans saturation cognitive du pilote. Ce modèle, basé sur des essaims partiellement autonomes, rappelle les concepts développés dans les programmes américains comme VENOM ou CCA (Collaborative Combat Aircraft), mais avec un niveau de maturité opérationnelle plus direct.

SAAB Gripen intelligence artificielle

Conséquences stratégiques et industrielles à moyen terme

Les résultats du programme Centaur dépassent les aspects technologiques : ils redessinent les équilibres industriels et stratégiques dans le domaine du combat aérien de 6e génération. Saab met en avant la capacité d’intégration rapide du logiciel, effectuée en moins de six mois depuis le début de la collaboration avec Helsing. Cette réactivité contraste avec les lourdeurs des projets de type NGAD (Next Generation Air Dominance) aux États-Unis, dont les coûts dépassent les 10 milliards d’euros par prototype.

Le Gripen E pourrait devenir un vecteur export stratégique, notamment pour les clients de Saab comme le Brésil, qui développe une version biplace (Gripen F) pour sa propre doctrine. L’exportabilité d’un module IA aussi léger en termes d’intégration, non soumis à des réglementations ITAR (International Traffic in Arms Regulations), peut aussi séduire d’autres partenaires régionaux.

La Suède, en parallèle, prépare son futur système de combat aérien pour 2031. Les données recueillies via Centaur, même si le système n’est pas directement intégré dans les unités de première ligne, serviront à entraîner les futurs algorithmes et à affiner les doctrines. Saab pourrait ainsi proposer une solution intermédiaire compétitive face aux plateformes franco-allemandes comme FCAS, qui restent encore au stade conceptuel.

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