
La Lituanie alerte l’OTAN après deux drones russes Gerbera porteurs de 2 kg d’explosifs franchissant son espace aérien en juillet 2025.
En juillet 2025, la Lituanie a enregistré deux incursions de drones russes ou russes‑lancés dans son espace aérien, les 10 et 28 juillet. Chacun transportait jusqu’à 2 kg d’explosifs et était identifié comme un drone de type Gerbera, une variante russe du Shahed iranien. Face à cette menace, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense lituaniens ont adressé une lettre à l’OTAN pour réclamer un renforcement immédiat des capacités de défense aérienne sur le flanc Est. Ces incidents soulèvent également des préoccupations internationales concernant l’implication de composants fabriqués en Inde dans les chaînes d’approvisionnement des drones Shahed.
La nature des incidents et contexte stratégique
Le 10 juillet 2025, un drone identifié comme Gerbera est entré dans l’espace aérien lituanien depuis le Belarus. Il est tombé près du point de contrôle frontalier de Šumskas, à environ 1 km de la frontière. Le Premier ministre et le président du Parlement ont été brièvement mis à l’abri avant qu’il ne soit jugé non dangereux. Le 28 juillet, un second drone similaire a franchi la frontière depuis le Belarus, déclenchant une alerte nationale majeure. Il a fini par être retrouvé dans la zone d’entraînement militaire de Gaižiūnai, à environ 100 km de la frontière, après quatre jours de recherche. Le drone transportait 2 kg d’explosifs. Selon les autorités, il aurait initialement été dirigé vers l’Ukraine, puis détourné involontairement par les défenses ukrainiennes.
Ces deux événements sont survenus dans un contexte de tensions croissantes à la frontière orientale de l’OTAN, la guerre en Ukraine se poursuivant à un rythme soutenu. D’autres alliés comme la Roumanie et la Lettonie ont eux aussi rapporté des violations similaires de leur espace aérien, venant souvent du Belarus ou de régions frontalières avec la Russie. La Lituanie se situe donc en première ligne face à ce type de menaces hybrides.
Les caractéristiques techniques du drone Gerbera
Le Gerbera est un drone russe de type “munition sacrificielle” ou loitering munition, présenté comme une version simplifiée du Shahed‑136 iranien. Construit principalement en bois et mousse, il possède une envergure en forme de delta raccourcie et un moteur à hélice propulsive, généralement un moteur à combustion Mile Hao Xiang (60 cc) ou RCGF Stinger (70 cc), coûtant entre 430 à 550 USD.
Son coût unitaire est estimé à environ 10 000 USD, contre un Shahed‑136 dont le prix est beaucoup plus élevé. Il peut être équipé d’une charge explosive (kamikaze), d’un module de reconnaissance ou servir de leurre pour saturer les défenses adverses. Ces derniers mois, des versions Gerbera armées et autodirectrices ont été documentées en Ukraine.
Son autonomie est estimée à 300 km sans charge utile, avec certaines données ukrainiennes suggérant jusqu’à 600 km sous certaines configurations. Des modules de communication en réseau maillé (mesh network) sont montés pour permettre à plusieurs drones d’interconnecter les signaux et d’augmenter la robustesse contre les brouillages électroniques.
La présence de composants provenant d’Analog Devices, Texas Instruments, NXP, STMicroelectronics, U‑Blox et XLSEMI, ainsi que de modules fabriqués en Inde récemment identifiés dans les chaînes du Shahed, alimente les inquiétudes sur la nature globale des approvisionnements.
Implications pour l’OTAN et la défense aérienne
Face à ces incursions, la Lituanie a officiellement sollicité l’appui de l’OTAN. Dans une lettre conjointe adressée au Secrétaire général Mark Rutte, les ministres Kęstutis Budrys (AE) et Dovilė Šakalienė (Défense) ont demandé le déploiement de capacités, y compris expérimentales, pour renforcer la défense aérienne nationale et collective.
L’OTAN a répondu que le Commandement suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) est autorisé à prendre les mesures appropriées. Elle a indiqué que les États membres travaillent à renforcer leurs capacités de détection et de lutte anti‑drone, notamment via des systèmes de radar à longue portée, de drones intercepteurs, et de moyens de brouillage ou de neutralisation.
La Lituanie a également demandé l’accélération du modèle de rotation OTAN, qui prévoit le déploiement régulier de soldats, d’avions et de systèmes sol-air pour dissuader et répondre aux menaces le long du flanc Est.
Ces mesures sont critiques : les drones Gerbera coûtent peu et peuvent saturer les systèmes, obligeant à recourir à des missiles plus coûteux (jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros). Les intercepteurs type drone à drone ou lasers anti‑drone sont des solutions économiques jugées plus adaptées à ce genre d’agression hybride.

Questions liées à la chaîne d’approvisionnement internationale
La découverte récente de composants fabriqués en Inde dans des drones Shahed intensifie le débat international sur la responsabilité des fournisseurs de technologies civiles dans les usages militaires. Des composants électroniques critiques, fournis par des entreprises internationales, peuvent être détournés vers des chaînes de production de drones militaires. Cela suscite une nécessité de contrôle des exportations, une enquête sur les circuits logistiques, et une coopération accrue entre régulateurs et fabricants.
La Lituanie et ses alliés demandent désormais une traçabilité renforcée des composants électroniques intégrés dans les drones hostiles. Cela pourrait conduire à des sanctions ciblées, des embargos ou des restrictions d’exportation vers des intermédiaires en lien avec la Russie ou l’Iran.
Perspectives et recommandations techniques
Pour un spécialiste de la défense, plusieurs pistes opérationnelles s’imposent :
- Déploiement accéléré de radars multi‑capteurs à courtes et moyennes portées, couplés à des systèmes d’alerte automatique, afin de détecter les drones amateurs ou tactiques.
- Adoption de drones intercepteurs légers à bas coût (≈ 5 000 USD pièce), efficaces contre des Gerbera de 10 000 USD, pour préserver les systèmes lourds.
- Mise en place de solutions anti‑drone électroniques (brouillage GNSS, liaisons opérationnelles) avec capacité de transition rapide vers engagement.
- Intensification des inspections des chaînes logistiques internationales, audits des fournisseurs électroniques, et sanctions ciblées pour réduire les flux vers des entités liées à la production des Gerbera ou Shahed.
- Insertion régionale dans le cadre du modèle OTAN de rotation de défense aérienne, avec exercices de simulation de saturation drone.
Les deux incursions de drones Gerbera en juillet 2025 illustrent le passage à une menace plus diffuse et économique : des drones bon marché, difficiles à intercepter, capables de porter des charges explosives et de pénétrer l’espace aérien allié. Les autorités lituaniennes ont donc légitimement appelé l’OTAN à renforcer ses capacités et accélérer la mise en œuvre du dispositif de rotation. À plus long terme, la question des chaînes d’approvisionnement, notamment avec la découverte de composants indiens, impose une action concertée pour empêcher les fournisseurs civils d’alimenter des programmes de drones militaires hostiles.
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