Berlin accélère la Zeitenwende. Budgets records, armements massifs, effectifs en hausse. L’Allemagne peut-elle devenir la première puissance militaire conventionnelle d’Europe?
En résumé
Depuis 2025, l’Allemagne assume une ambition claire: devenir la première puissance militaire conventionnelle en Europe. Sous l’impulsion du chancelier Friedrich Merz, la Zeitenwende n’est plus un slogan mais une trajectoire budgétaire et industrielle assumée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: un budget de défense appelé à passer de 95 milliards d’euros en 2025 à environ 162 milliards d’euros en 2029, soit 3,5 % du PIB. L’objectif n’est pas de rattraper un retard, mais de changer d’échelle. Avions de combat de dernière génération, chars lourds modernisés, défense aérienne multicouche, effectifs en forte hausse: Berlin veut structurer la colonne vertébrale militaire de l’Europe. Cette montée en puissance est réelle, mais elle se heurte à des limites profondes. Absence de dissuasion nucléaire, difficultés de recrutement, lenteur bureaucratique. L’Allemagne avance vite, mais pas sans angles morts.
Le basculement stratégique assumé par Berlin
Pendant des décennies, la politique de défense allemande a reposé sur une forme de retenue stratégique. La Bundeswehr était conçue pour contribuer à l’OTAN, pas pour dominer le paysage militaire européen. Cette posture a volé en éclats après 2022, puis s’est cristallisée politiquement en 2025.
Avec l’arrivée de Friedrich Merz à la chancellerie, la Zeitenwende devient un projet structurant. Le discours change. Berlin ne parle plus seulement de crédibilité, mais de leadership militaire conventionnel. L’objectif est double. Assurer la défense nationale face à une Russie perçue comme durablement hostile. Et devenir le pilier militaire central de l’Europe, capable de compenser les fragilités de ses partenaires.
L’échelle budgétaire, cœur de la transformation
La première rupture est financière. Le budget de la défense allemand, déjà élevé en valeur absolue, entre dans une nouvelle dimension.
Une trajectoire budgétaire sans équivalent en Europe
En 2025, l’Allemagne consacre environ 95 milliards d’euros à sa défense. Cette somme inclut le budget courant et des crédits exceptionnels. D’ici 2029, Berlin vise 162 milliards d’euros, soit un effort de 3,5 % du PIB. Ce niveau dépasse largement le seuil des 2 % exigés par l’OTAN.
À ce rythme, l’Allemagne dépensera plus que la France et le Royaume-Uni réunis pour ses capacités conventionnelles. Ce n’est pas un effet d’annonce. C’est une mécanique rendue possible par la taille de l’économie allemande et par un consensus politique inédit.
Une comparaison européenne sans ambiguïté
En 2025, les budgets estimés illustrent le basculement:
- Allemagne: ~95 milliards d’euros, sans dissuasion nucléaire.
- Royaume-Uni: ~65 milliards d’euros, avec dissuasion.
- France: ~51 milliards d’euros, avec dissuasion.
- Pologne: ~40 milliards d’euros, sans dissuasion.
La singularité allemande tient à la combinaison de moyens financiers colossaux et d’un effort concentré sur le conventionnel lourd.
Les capacités aériennes, pierre angulaire du dispositif
La transformation de la Luftwaffe est emblématique de cette ambition.
Le choix du F-35 et la modernisation européenne
L’Allemagne a confirmé l’acquisition de chasseurs F-35 Lightning II pour assurer la mission nucléaire de partage OTAN et renforcer ses capacités de pénétration. Parallèlement, Berlin investit massivement dans la modernisation des Eurofighter Typhoon, qui resteront l’épine dorsale de la flotte.
Ce double choix traduit une approche pragmatique. Le F-35 apporte la supériorité technologique et l’interopérabilité avec les États-Unis. L’Eurofighter garantit une base industrielle européenne solide et des volumes opérationnels élevés.
Un impact direct sur l’équilibre européen
Avec ces flottes combinées, l’Allemagne disposera à terme de l’une des plus puissantes forces aériennes conventionnelles du continent, tant en nombre qu’en qualité. Pour la première fois, Paris et Londres ne seront plus seuls à pouvoir projeter une masse aérienne crédible à haute intensité.
La remontée en puissance terrestre, longtemps négligée
Le pilier terrestre est au cœur de la Zeitenwende, car il incarne le retour à la guerre de haute intensité.
Les chars Leopard et l’artillerie lourde
Berlin a lancé des commandes massives de Leopard 2A8, la version la plus moderne du char allemand. L’objectif est de reconstituer des brigades lourdes complètes, capables d’opérer sur le flanc est de l’OTAN.
L’artillerie n’est pas oubliée. L’Allemagne investit dans des systèmes à longue portée et dans la numérisation du champ de bataille. Le message est clair: le combat terrestre redevient central.
Une supériorité quantitative assumée
Grâce à ses volumes d’achat, l’Allemagne vise une masse critique que peu de pays européens peuvent égaler. Cette supériorité numérique, combinée à une qualité technologique élevée, change la hiérarchie conventionnelle.
La défense aérienne et antimissile, levier de souveraineté
La guerre en Ukraine a montré l’importance de la protection du ciel. Berlin l’a intégré pleinement.
L’initiative European Sky Shield
L’Allemagne pilote l’initiative European Sky Shield Initiative. L’objectif est de créer une défense aérienne multicouche européenne, autour de systèmes comme IRIS-T et Arrow-3.
Cette architecture vise à protéger non seulement le territoire allemand, mais aussi une partie de l’espace aérien européen. C’est un projet militaire, mais aussi politique. Celui qui protège le ciel devient incontournable.
Un rôle structurant pour l’Europe
En contrôlant l’architecture de défense aérienne, Berlin se positionne comme le nœud central de la sécurité européenne. C’est une forme de puissance souvent sous-estimée, mais décisive en temps de crise.

Les effectifs, le défi humain de la puissance
La montée en puissance matérielle n’a de sens que si elle s’appuie sur des femmes et des hommes en nombre suffisant.
Des objectifs ambitieux
Berlin vise 260 000 soldats d’active et 200 000 réservistes à l’horizon 2035, contre environ 180 000 militaires aujourd’hui. C’est un saut considérable.
Le mur du recrutement
C’est ici que le projet allemand se fragilise. Le recrutement stagne. Les carrières militaires peinent à séduire une jeunesse peu attirée par l’uniforme. Le débat sur un retour partiel de la conscription refait surface fin 2025, mais reste explosif politiquement.
Sans solution structurelle, les objectifs d’effectifs risquent de rester théoriques. Or, sans masse humaine, la supériorité matérielle perd de sa substance.
Le facteur industriel, avantage comparatif allemand
L’Allemagne peut s’appuyer sur une base industrielle de défense puissante.
Rheinmetall et KNDS au cœur du dispositif
Des groupes comme Rheinmetall et KNDS bénéficient directement de l’effort budgétaire. Les chaînes de production tournent à plein régime. Les délais se réduisent. Les volumes augmentent.
Cette dynamique industrielle renforce la souveraineté allemande et son poids politique. Celui qui produit l’armement structure les choix stratégiques.
Une domination progressive du marché européen
À moyen terme, l’industrie allemande pourrait devenir dominante sur le marché européen du terrestre et de la défense aérienne. C’est un levier d’influence aussi puissant que les divisions blindées.
Le calendrier de la montée en puissance
La transformation allemande suit un tempo précis.
La phase de transition
Entre 2025 et 2026, l’Allemagne stabilise son effort au-delà de 2 % du PIB. Les contrats s’accumulent. Environ 83 milliards d’euros de commandes sont attendus d’ici fin 2026.
La phase de supériorité budgétaire
Entre 2027 et 2030, Berlin exploite pleinement sa puissance économique. Les dépenses d’équipement neuf dépassent celles de ses voisins cumulés. Le centre de gravité militaire européen se déplace.
La phase de maturité opérationnelle
À l’horizon 2035, les nouveaux systèmes doivent être intégrés, les brigades complètes, la numérisation achevée. C’est à ce moment que l’Allemagne pourra prétendre au statut de première force conventionnelle d’Europe.
Les limites structurelles qui persistent
Malgré cette montée en puissance, certaines limites sont irréductibles.
L’absence de dissuasion nucléaire
Contrairement à la France et au Royaume-Uni, l’Allemagne ne dispose pas de force nucléaire. Elle dépend du partage OTAN. Sur le plan de la souveraineté ultime, Berlin reste en retrait. Cette réalité empêche toute prétention à une puissance militaire globale.
La bureaucratie et la lenteur des acquisitions
Le système d’acquisition allemand est notoirement lent. Les procédures retardent la livraison des équipements. L’argent est là, mais le temps administratif grignote l’avantage stratégique.
La dépendance politique au consensus
La transformation actuelle repose sur un consensus politique rare. Rien ne garantit qu’il survivra intact aux prochaines crises économiques ou sociales.
Une puissance centrale, mais pas hégémonique
L’Allemagne est en train de devenir la clé de voûte militaire conventionnelle européenne. Elle disposera de la masse, des budgets, de l’industrie. Mais elle ne remplacera pas la France et le Royaume-Uni sur le terrain de la dissuasion nucléaire et de la projection globale.
Le paysage européen qui se dessine est donc plus complexe. Une Allemagne dominante sur le conventionnel lourd. Une France toujours centrale sur le stratégique. Un Royaume-Uni pivot transatlantique. Cette redistribution des rôles est déjà en cours.
La Zeitenwende n’est plus une promesse. C’est un processus engagé, avec ses forces et ses angles morts. L’histoire dira si l’Allemagne saura transformer cette avalanche de milliards en une puissance militaire cohérente, durable et politiquement assumée. Ce qui est certain, c’est que l’équilibre militaire européen a déjà commencé à basculer.
Sources
- Bundesministerium der Verteidigung, documents budgétaires 2025-2029
- Rapports du Bundestag sur la Zeitenwende et la Bundeswehr
- Institut international d’études stratégiques, Military Balance
- Publications industrielles Rheinmetall et KNDS
- Analyses comparatives des budgets de défense européens
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