Au Sahel, la FU-AES veut reprendre la main dans une guerre sans fin

FU-AES

Mali, Burkina Faso, Niger lancent la FU-AES. Objectif: frapper plus vite JNIM et État islamique au Sahel. Mais la vraie bataille sera logistique.

En résumé

Le 21 décembre 2025, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont officialisé la création de la FU-AES, force militaire conjointe annoncée à 5 000 hommes. Le signal politique est clair: mutualiser l’effort sécuritaire au sein de l’Alliance des États du Sahel et afficher une autonomie vis-à-vis des partenaires occidentaux. Sur le plan opérationnel, l’enjeu est de concentrer des unités dans la zone des trois frontières, là où se superposent les sanctuaires, les routes de ravitaillement et les économies clandestines. Les adversaires principaux sont le JNIM (affilié à Al-Qaida) et l’État islamique au Sahel. La force promet une meilleure manœuvre interarmées, avec un poste de commandement conjoint, une coordination aérienne et un effort de renseignement. Son efficacité dépendra moins de l’annonce que de trois variables: la qualité du commandement, la chaîne logistique et la protection des civils, aujourd’hui au cœur du rapport de force.

La décision politique et ce que recouvre la FU-AES

Le 21 décembre, les autorités des trois États ont présenté la FU-AES comme une structure désormais opérationnelle, avec un commandement désigné et une organisation de conduite installée. L’annonce s’inscrit dans la trajectoire institutionnelle de l’AES, devenue confédération, et dans la volonté affichée de reprendre la main sur une guerre qui dure depuis plus d’une décennie.

Derrière le discours, il faut lire une contrainte simple: chaque armée se bat déjà, mais séparément, avec des frontières que les groupes armés traversent en quelques heures. Une force conjointe vise donc à réduire le temps entre la détection d’une menace et l’action, et à éviter que la pression militaire dans un pays ne repousse mécaniquement les combattants vers le voisin.

Le théâtre d’opérations: la zone des trois frontières, un piège tactique

La zone dite des trois frontières concentre plusieurs facteurs qui rendent la guerre durable:

  • une géographie immense et peu contrôlée, avec des distances opérationnelles qui se comptent en centaines de kilomètres;
  • des axes de circulation informels (pistes, points d’eau, marchés) qui servent autant au commerce qu’aux réseaux armés;
  • une imbrication de communautés et de milices locales, où le renseignement humain est décisif mais fragile.

Dans cet espace, le “contrôle” n’est pas une ligne continue. C’est une mosaïque de points tenus, de couloirs plus ou moins sûrs, et de zones où l’État n’est présent que lors d’une opération.

Le coût humain comme indicateur stratégique

Le Sahel central reste l’épicentre mondial du terrorisme selon des classements internationaux récents. En 2024, le Burkina Faso a été présenté comme le pays le plus touché, avec plus de 1 500 décès attribués au terrorisme sur l’année selon des synthèses publiques. Au-delà des morts, l’onde de choc est sociale: déplacements forcés, fermeture d’écoles, économie locale sous extorsion.

En octobre 2025, le HCR estimait à environ 4 millions le nombre de personnes déplacées au Burkina Faso, au Mali, au Niger et dans les pays voisins. C’est un chiffre qui donne l’échelle du défi: une force de 5 000 hommes ne “résout” pas une crise de cette taille. Elle peut, au mieux, créer des fenêtres de sécurité dans des zones clés, si elle est utilisée avec cohérence.

Les groupes djihadistes visés et leur mode d’action

L’adversaire n’est pas un bloc unique. Deux pôles structurent l’insurrection.

Le JNIM, l’enracinement et la pression sur les capitales

Le JNIM fonctionne comme une coalition, capable de combiner guérilla rurale, harcèlement des axes, attaques complexes contre des emprises militaires, et contrôle social local. Son efficacité vient souvent de sa capacité à se fondre dans les tensions locales, à taxer, à arbitrer des conflits, et à cibler les symboles de l’État.

En 2024-2025, plusieurs analyses ont décrit une intensification des actions vers le sud du Mali et une pression accrue sur des régions et des axes économiques. Cette stratégie vise moins la “victoire militaire” classique que l’asphyxie: rendre les déplacements risqués, renchérir le transport, isoler des garnisons, puis imposer des arrangements locaux.

L’État islamique au Sahel, la brutalité et la compétition

L’État islamique au Sahel (souvent associé à l’héritage de l’EIGS) se distingue par une violence de masse plus fréquente contre des civils, et par une logique de terreur destinée à casser la cohésion des communautés et à décourager toute coopération avec l’État. Dans la zone des trois frontières, il cherche aussi à capter les routes et les ressources.

La rivalité entre ces deux pôles compte. Elle peut générer des affrontements entre groupes, mais elle peut aussi pousser à des surenchères d’atrocités, ou à des opérations spectaculaires pour démontrer une domination.

FU-AES

La promesse opérationnelle: commandement, aviation, renseignement

Une force conjointe n’est utile que si elle corrige des faiblesses structurelles. Trois chantiers sont déterminants.

Le commandement: décider vite, décider juste

L’intérêt d’un dispositif commun est de synchroniser planification et exécution. Cela suppose:

  • des règles claires de commandement (qui décide, à quel niveau, avec quels moyens);
  • une capacité à partager des informations sans rétention nationale;
  • un mécanisme de résolution des frictions politiques, inévitables quand une opération tourne mal.

Un état-major commun peut accélérer la manœuvre, mais il ne remplace pas la confiance. Or, au Sahel, la défiance circule vite: entre armées, entre unités régulières et supplétifs, et entre États et populations.

La coordination aérienne: l’avantage du temps

Dans un espace aussi vaste, l’aérien sert d’abord à gagner du temps: repérer, suivre, dissuader, appuyer. Concrètement, la coordination aérienne doit couvrir:

  • l’observation (drones, avions légers, hélicoptères si disponibles);
  • l’appui feu (selon les flottes nationales);
  • l’évacuation sanitaire, souvent sous-dimensionnée, alors qu’elle conditionne le moral et la survie des unités isolées.

L’aérien ne compense pas une absence au sol. Il compense un retard. S’il n’y a pas d’unités capables d’exploiter rapidement un repérage, l’effet est surtout psychologique et temporaire.

Le renseignement: l’outil qui manque le plus

Le renseignement utile est celui qui permet d’intervenir avant l’attaque, pas après. Cela implique:

  • un renseignement humain protégé (informateurs, chefs locaux, réseaux);
  • une exploitation rapide des données (interceptions, images, comptes rendus);
  • une capacité à distinguer un groupe armé d’une communauté, ce qui est la frontière la plus difficile.

La FU-AES est attendue sur ce point. Si elle devient une machine à produire des “opérations de réaction” sans prévention, l’insurrection gardera l’initiative.

La question centrale: comment lutter sans fabriquer plus d’ennemis

Il faut être franc: dans ce type de guerre, une armée peut perdre politiquement même si elle gagne tactiquement. La raison est simple: les civils arbitrent, par peur ou par intérêt, entre plusieurs pouvoirs. Si la population estime que l’État est plus dangereux que les djihadistes, l’insurrection gagne du terrain sans “bataille” décisive.

Deux risques sont connus:

  • les opérations lourdes avec dommages collatéraux, qui détruisent le renseignement humain et alimentent le recrutement adverse;
  • la militarisation locale sans contrôle (milices, supplétifs), qui peut multiplier les exactions et les règlements de comptes.

La FU-AES devra donc imposer une discipline interarmées. C’est difficile, mais indispensable, car la propagande djihadiste vit des bavures, des humiliations et des violences impunies.

Les limites matérielles: la logistique décide du résultat

Un effectif annoncé de 5 000 hommes peut paraître important. En réalité, ce chiffre est vite “mangé” par la réalité:

  • rotation des unités (on ne tient pas le terrain 365 jours par an avec un seul contingent);
  • protection des bases et des convois;
  • maintenance des véhicules, carburant, pièces détachées;
  • évacuation des blessés et soutien médical.

Sur un théâtre où les convois peuvent parcourir 200 à 600 km pour ravitailler une emprise, la logistique devient la cible principale. Les groupes armés l’ont compris: ils frappent les routes, les camions, les marchés, les dépôts de carburant. Une force conjointe efficace devra donc sécuriser moins de “territoire” et davantage de “flux”.

Ce que la FU-AES peut réussir, et ce qu’elle ne peut pas promettre

La FU-AES peut produire des gains concrets si elle se fixe des objectifs réalistes:

  • réduire la liberté de mouvement des groupes armés sur quelques corridors prioritaires;
  • protéger des pôles de population et des marchés stratégiques;
  • reprendre l’initiative par des opérations ciblées sur les chefs, les ateliers d’IED, et les réseaux logistiques adverses;
  • améliorer la coopération transfrontalière, aujourd’hui trop lente.

En revanche, elle ne peut pas promettre, à court terme, une “pacification” générale. La profondeur de la crise est politique et sociale autant que militaire. Les groupes armés prospèrent sur la faillite locale des services, sur les conflits fonciers, sur l’économie de prédation, et sur la défiance envers l’État.

La crédibilité de la FU-AES se jouera sur trois tests

Le premier test sera la capacité à mener une opération conjointe complexe, puis à tenir une zone sans se retirer sous pression.

Le deuxième test sera la transparence minimale sur les résultats. Annoncer des “neutralisations” sans preuve, ou masquer les pertes, finit par détruire la confiance interne et externe. Les adversaires, eux, communiquent vite et fort.

Le troisième test sera la gestion du rapport aux civils. Si la force ne protège pas, elle perdra. C’est brutal, mais c’est la règle dans cette guerre.

La FU-AES est donc moins une “nouvelle armée” qu’un pari sur une méthode: mieux décider, mieux coordonner, mieux soutenir. Si ce pari échoue, le Sahel central restera une guerre de positions invisibles, où 5 000 hommes ne font pas la différence. S’il réussit, la force peut au moins reprendre l’initiative sur les zones clés, et offrir un espace politique pour autre chose que la seule réponse militaire.

Sources

  • Africanews (21 décembre 2025) – “Mali : Goïta annonce le lancement de la force unifiée de l’AES”
  • Medi1News (décembre 2025) – “L’Alliance des États du Sahel lance sa force unifiée”
  • Africa24 TV (21 décembre 2025) – “Afrique : lancement de la Force unifiée de l’AES”
  • Le Monde (22 janvier 2025) – “Le Niger, le Burkina Faso et le Mali créent une armée de 5 000 soldats…”
  • UNHCR (10 octobre 2025) – “Le HCR appelle à un soutien international urgent…”
  • Institute for Economics & Peace (mars 2025) – Global Terrorism Index 2025 (PDF)
  • ACLED (2024-2025) – Analyses sur la violence au Sahel et l’activité de JNIM
  • Reuters (22 janvier 2025, via reprises) – Déclarations sur la force conjointe de 5 000 hommes (reprises par TV5MONDE Info)

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