Le budget du SCAF, estimé entre 80 et 100 milliards d’euros, rebat les cartes des budgets de défense français, allemands et espagnols jusqu’en 2040.
En résumé
Le programme SCAF (Système de combat aérien du futur, ou SCAF FCAS) est devenu le projet d’armement le plus cher jamais envisagé par l’Europe. Les estimations de coût vont désormais de 80 à plus de 100 milliards d’euros sur toute la durée du programme, selon les rapports parlementaires français, la presse spécialisée et plusieurs analyses internationales.
Ce montant ne concerne pas seulement l’avion de combat du futur (le NGF), mais tout un “système de systèmes” : chasseurs habités, drones d’accompagnement, combat cloud, moteurs, senseurs et armements de nouvelle génération. Le financement du SCAF repose sur un partage entre la France, l’Allemagne et l’Espagne, avec une première enveloppe d’environ 8 milliards d’euros votée pour les phases de démonstration jusqu’en 2027, répartie à parts égales.
Rapporté aux budgets de défense, ce programme représente entre 1 et 3 % de la dépense annuelle selon les pays, mais sur plus de vingt ans : il s’agit d’un engagement structurel, pas d’un simple pic de crédits. Le SCAF est stratégique pour l’autonomie industrielle européenne et la relève du Rafale, de l’Eurofighter et des F/A-18 espagnols, mais il est fragilisé par des rivalités franco-allemandes, des désaccords de gouvernance et la concurrence du programme GCAP anglo-italo-japonais. La question n’est plus seulement “combien ça coûte ?”, mais “l’Europe est-elle prête à assumer, politiquement, un programme à 100 milliards d’euros dans la durée ?”.
Un programme SCAF devenu projet à 100 milliards
Le programme SCAF n’a jamais eu de chiffrage officiel détaillé sur l’ensemble de son cycle de vie. Pendant longtemps, les responsables politiques parlaient d’un ordre de grandeur de 50 à 80 milliards d’euros, sur la base d’un rapport du Sénat français publié en 2020. Depuis 2023, la littérature spécialisée et la presse économique parlent de plus en plus ouvertement d’une fourchette entre 80 et 100 milliards d’euros, voire davantage, en intégrant la montée en série, l’infrastructure et les évolutions de milieu de vie.
Cette inflation des estimations n’a rien de surprenant. Le SCAF FCAS n’est pas seulement un avion. C’est un ensemble de “piliers” technologiques :
- un avion de combat de nouvelle génération (NGF) ;
- des “remote carriers”, drones d’accompagnement de différentes tailles ;
- un combat cloud pour relier avions, drones, effecteurs et centres C2 ;
- un nouveau moteur ;
- un package senseurs / guerre électronique / furtivité ;
- des armements adaptés, incluant potentiellement des missiles longue portée et hypersoniques.
Chaque pilier implique plusieurs milliards d’euros de R&D, de prototypage et d’industrialisation. À cela s’ajoutent les coûts “cachés” : adaptation des bases aériennes, simulateurs, stocks de pièces, formation, maintenance lourde. Les estimations à 80 milliards ne prennent souvent en compte que le développement et une première tranche de production. Les projections à plus de 100 milliards intègrent, elles, une flotte plus large et une durée de vie jusqu’aux années 2070.
Il faut aussi rappeler que le SCAF arrive dans un environnement concurrent. Le programme GCAP, porté par le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon, est lui aussi évalué autour de 80 à 100 milliards d’euros de coût global. Si l’Europe continentale veut rester dans le jeu de l’avion de combat du futur, elle n’a pas d’alternative sérieuse : un programme à deux chiffres de milliards sur plusieurs décennies est le prix d’entrée. La vraie question n’est donc pas de savoir si 80 ou 100 milliards sont “trop chers”, mais si les Européens assument de financer ce type de programme avec cohérence, plutôt que d’éparpiller leurs budgets dans une multitude de projets nationaux redondants.
Un budget du SCAF éclaté par phases et par piliers
Sur le plan budgétaire, le budget du SCAF se lit en couches successives. À court terme, les seules sommes votées et visibles concernent les phases de définition et de démonstration. Un accord intergouvernemental signé en 2021 a organisé le financement de la phase 1B (conception détaillée et R&T) et de la phase 2 (démonstrateurs), pour un montant total de l’ordre de 7 à 8 milliards d’euros jusqu’en 2027.
Dans le détail, la phase 1B est souvent citée autour de 3 à 3,6 milliards d’euros, financés à parts égales par la France, l’Allemagne et l’Espagne (soit environ 1 à 1,2 milliard chacun), tandis que la phase 2, centrée sur le démonstrateur NGF et certains drones, avoisine 4 à 4,2 milliards. Ces montants couvrent la période 2021-2027, avec un premier vol de démonstrateur visé à la fin de la décennie, même si ce calendrier est déjà fragile.
Au-delà, on entre dans le domaine des projections. Si l’on suppose une flotte cible de 200 à 300 avions NGF pour les trois pays (remplacement des Rafale, Eurofighter et F/A-18), avec un coût unitaire complet supérieur à 200 millions d’euros par appareil (avion + développement amorti + infrastructures), on atteint déjà 40 à 60 milliards d’euros uniquement pour la partie chasseur habité. Ajoutez une constellation de drones d’accompagnement, potentiellement plusieurs centaines d’unités à plusieurs millions d’euros pièce, un combat cloud robuste, un moteur nouvelle génération et des missiles adaptés : la barre des 80 milliards est très vite franchie.
Les chiffres avancés à “plus de 100 milliards d’euros” ne sont donc pas de la science-fiction comptable, mais un ordre de grandeur raisonnable sur 30 à 40 ans de vie du système, surtout dans un contexte d’inflation des coûts de main-d’œuvre et de matières premières. Les responsables politiques aiment parler de phases à 3 ou 4 milliards car ces montants restent digestes à l’échelle annuelle. Ils évitent en revanche de chiffrer clairement ce que représente vraiment le coût du SCAF sur toute sa durée de vie, car le nombre fait immédiatement réagir l’opinion.
Un financement partagé qui pèse sur les budgets nationaux
Sur le papier, la répartition des coûts du programme SCAF entre la France, l’Allemagne et l’Espagne est simple : financement à parts égales pour les phases communes, puis partage en fonction des flottes et des retours industriels. Dans les faits, le poids budgétaire n’a rien de symétrique.
La France consacre environ 50,5 milliards d’euros à sa défense en 2025, avec une trajectoire vers 64 milliards en 2027 selon les annonces de l’exécutif. L’Allemagne, elle, prévoit de dépenser près de 95 milliards d’euros pour sa défense en 2025 et plus de 160 milliards en 2029, en comptant le fonds spécial et l’objectif de 3,5 % du PIB à l’horizon 2029. L’Espagne, enfin, se contente encore d’un budget de l’ordre de 17 à 20 milliards d’euros, avec un objectif politique de 2 % du PIB atteint à marche forcée.
Si l’on retient une hypothèse de 100 milliards d’euros de budget du SCAF sur 30 ans, divisés globalement en trois tiers, chaque pays serait engagé à hauteur de 30 à 35 milliards d’euros. Cela représente, en moyenne, environ 1 à 1,2 milliard d’euros par an et par pays, sur trois décennies. Pour la France, cela équivaut à environ 2 % de son budget de défense actuel, mais cette part sera plus élevée si d’autres postes explosent (munitions, aide à l’Ukraine, espace, cyber). Pour l’Espagne, c’est structurellement plus lourd : 1 milliard par an sur un budget aujourd’hui inférieur à 20 milliards, c’est une contrainte sérieuse.
On peut bien sûr objecter que ces montants sont en partie “autofinancés” par les retombées industrielles, les exportations possibles et la consolidation de l’industrie aéronautique. C’est vrai en partie. Mais il faut arrêter de faire semblant : chaque euro mis dans le SCAF FCAS n’est pas mis dans la défense sol-air, les drones MALE, la défense antimissile ou les stocks de munitions. Les arbitrages seront rudes, surtout pour Berlin et Madrid, qui doivent simultanément reconstituer des armées de terre sous-dimensionnées et investir dans des capacités navales.
Le risque politique est clair : si le SCAF continue de patiner industriellement alors que les factures augmentent, il deviendra le “totem budgétaire” idéal pour tous ceux qui, au Parlement, chercheront une cible facile à dénoncer.

Un enjeu stratégique pour l’autonomie de défense européenne
Malgré ces contraintes, le programme SCAF reste central pour l’autonomie stratégique européenne. Sans lui, la France, l’Allemagne et l’Espagne n’auraient, à partir de 2040, que deux options : prolonger indéfiniment Rafale, Eurofighter et F/A-18 au risque d’un décrochage technologique, ou acheter massivement des F-35 américains et accepter une dépendance accrue vis-à-vis de Washington pour les briques critiques (logiciels, guerre électronique, liaison de données, maintenance lourde).
Le avion de combat du futur visé par le SCAF est censé offrir plusieurs ruptures :
- une furtivité accrue et optimisée pour les défenses sol-air modernes ;
- une intégration native avec des essaims de drones d’accompagnement ;
- un combat cloud européen, capable de fonctionner sans dépendre de réseaux américains ;
- des capacités avancées de guerre électronique et de cyber-résilience.
Politiquement, l’enjeu est double. D’un côté, montrer que l’Europe continentale est encore capable de mener un grand programme de haute technologie sans tutelle américaine. De l’autre, éviter que le continent se fragmente entre plusieurs familles de systèmes concurrents : SCAF d’un côté, GCAP de l’autre, F-35 en toile de fond. Aujourd’hui, c’est pourtant le scenario qui se dessine : le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon poussent leur propre avion de combat du futur, tandis que de nombreux pays européens achètent du F-35 pour combler leurs besoins immédiats.
On peut être franc : le SCAF est autant un projet de souveraineté militaire qu’un projet de prestige politique. Paris veut préserver sa capacité à concevoir un système apte à emporter la dissuasion nucléaire aéroportée ; Berlin veut un symbole fort de sa “Zeitenwende” et de ses investissements massifs ; Madrid cherche une place à la table des grands industriels de la défense. Cet empilement d’agendas nationaux rend le projet plus difficile, mais il explique aussi pourquoi, malgré les tensions, personne n’ose encore arrêter officiellement la machine.
Un projet SCAF fragilisé par les rivalités industrielles
Sur le terrain industriel, le SCAF FCAS est tout sauf un long fleuve tranquille. Les tensions entre Dassault Aviation et Airbus Defence & Space sur la gouvernance du NGF, la propriété intellectuelle et la répartition des tâches ont été exposées publiquement dès 2022, puis à nouveau lors du salon du Bourget 2025.
Plus récemment, plusieurs articles de presse et déclarations politiques ont mis en avant les divergences franco-allemandes :
- Dassault veut un leadership fort sur le NGF et réclame jusqu’à 80 % de la charge de travail sur ce pilier ;
- Berlin refuse de financer ce qu’il perçoit comme un “projet français avec l’argent allemand” et agite, au Bundestag, la menace d’un retrait ou de commandes supplémentaires d’Eurofighter à la place ;
- des responsables allemands évoquent même la possibilité de rejoindre le GCAP si le SCAF s’enlise.
Ces frictions ne sont pas anecdotiques par rapport au budget du SCAF. Chaque mois de retard sur un jalon majeur renchérit mécaniquement la facture : inflation salariale, renégociation de contrats, obsolescence de certains démonstrateurs. Dans un programme où la part de R&D se chiffre en dizaines de milliards, chaque glissement de deux ou trois ans peut ajouter plusieurs milliards d’euros sur le cycle complet.
Plus grave encore, ces disputes minent la crédibilité du projet auprès des opinions publiques. Lorsque des PDG expliquent dans la presse qu’ils “savent faire un avion seuls” si le programme capote, le message implicite est clair : la coopération est un choix politique, pas une nécessité technique. Dans ces conditions, il devient difficile d’expliquer à un contribuable pourquoi il faut financer un programme à 100 milliards sans garantie de cohérence industrielle.
Le risque n’est pas uniquement celui de l’échec du SCAF. C’est celui d’un compromis “au rabais” : un NGF repoussé vers 2050, des drones et un combat cloud réduits, et des États qui, entre-temps, remplissent leurs flottes avec des F-35 ou des Rafale F5 renforcés. Dans ce scenario, le programme SCAF aurait coûté très cher pour délivrer une capacité partielle et tardive, tout en fragmentant davantage le paysage européen.
Un choix budgétaire qui engage l’Europe sur trente ans
Vu de loin, un budget du SCAF à 80 ou 100 milliards peut sembler délirant. Ramené à l’échelle des décennies et à la réalité des menaces, il est moins extravagant qu’il n’y paraît. Un programme d’avion de combat du futur structurant, sur 30 ou 40 ans, finit toujours dans ces ordres de grandeur, que l’on s’appelle Europe, États-Unis ou Japon. La vraie différence se joue ailleurs : dans la clarté des objectifs, la discipline industrielle et la capacité politique à assumer les choix devant le public.
Aujourd’hui, le discours officiel reste largement édulcoré. On parle de “coût partagé”, de “retombées industrielles” et de “souveraineté”, mais on hésite à dire explicitement que le SCAF va consommer, pour la France, l’Allemagne et l’Espagne, plusieurs milliards d’euros par an de marge de manœuvre dans leurs budgets de défense, alors même qu’il faut financer en parallèle munitions, drones, systèmes sol-air, cyber, spatial et soutien à l’Ukraine. Les responsables politiques savent très bien qu’une fois lancé, un tel programme devient politiquement difficile à arrêter, même en cas de dérive.
La question de fond est donc la suivante : le SCAF est-il le meilleur usage de ces 80 à 100 milliards à l’échelle européenne ? Il y a une réponse stratégique qui plaide pour : sans programme SCAF, l’Europe se condamne à rester cliente de systèmes américains ou à prolonger indéfiniment des plateformes vieillissantes. Et il y a une réponse plus crue : si les États membres ne sont pas capables de stabiliser la gouvernance, de maîtriser les coûts et de tenir les délais, cet argent aurait sans doute été mieux utilisé dans des capacités plus immédiatement opérationnelles.
Le SCAF est devenu un test grandeur nature de la maturité stratégique de l’Europe. S’il aboutit à temps, avec un coût maîtrisé et un vrai effet structurant pour l’industrie, il justifiera son budget du SCAF à deux chiffres de milliards. S’il se perd dans les querelles internes et les renoncements progressifs, il restera comme l’exemple parfait de ce que l’Europe sait faire de pire : annoncer un avion de combat du futur, puis consacrer des dizaines de milliards à ne jamais le voir voler en nombre suffisant.
Sources :
– Rapport du Sénat français “2040, l’odyssée du SCAF – Le système de combat aérien du futur”, 2020.
– Le Monde, “L’avion de chasse du futur, symbole des divisions européennes sur la défense”, 24 juin 2025.
– Le Monde, tribune “L’avion de chasse franco-allemand, un projet ambitieux mais trop politique”, 28 octobre 2025.
– Reuters, dépêches sur le coût du FCAS (>100 milliards d’euros) et les déclarations de Friedrich Merz, août 2025.
– Euronews, “Quel avenir pour l’avion de chasse du futur ? Un projet franco-allemand phare”, 1er septembre 2025.
– La Tribune, “Berlin, Madrid et Paris mettent plus de 8 milliards d’euros pour financer le SCAF jusqu’en 2027”, août 2021.
– Omnirole-Rafale.com, dossier “SCAF – Vers une signature des phases 1B et 2”, 2022.
– Euractiv, “Défense aérienne : la France et l’Allemagne au point mort dans le programme FCAS”, août 2025.
– WarWingsDaily, “Disagreements between Dassault and Airbus over the SCAF project”, juillet 2025.
– Données récentes sur les budgets de défense France, Allemagne, Espagne (Reuters, banques centrales, gouvernements nationaux, 2024-2025).
Avion-Chasse.fr est un site d’information indépendant.