Russie : le Su-75 annoncé en vol pour 2026 malgré les doutes

SU-75 Checkmate

Chasseur furtif Su-75 Checkmate, drône dérivé et export : Moscou promet un premier vol en 2026 malgré la guerre, les sanctions et un marché très concurrentiel.

En Résumé

Le Su-75 Checkmate est présenté par Moscou comme un chasseur furtif russe « abordable », destiné avant tout à l’export. Officiellement, la Russie promet désormais un premier vol début 2026, alors qu’aucun prototype réel n’a encore été montré publiquement. L’appareil, monomoteur, doit emporter jusqu’à 7,4 tonnes d’armement pour une masse maximale au décollage de 26 tonnes, avec une vitesse annoncée proche de Mach 2 et un rayon d’action d’environ 2 800 à 3 000 km.

Autour de ce projet, les industriels russes évoquent déjà une famille complète : version biplace, dérivé sans pilote, et coopération industrielle avec la Biélorussie pour réduire les coûts et rassurer les clients export potentiels. Mais ces ambitions se heurtent à une réalité simple : sanctions occidentales lourdes, difficulté à produire en série même le programme Su-57, effondrement des exportations de chasseurs russes et concurrence agressive de la Chine et des programmes occidentaux de 5e/6e génération.

Le Su-75 est donc moins un produit fini qu’un outil de communication et de prospection commerciale. Tant qu’aucun prototype ne volera réellement, le projet restera un pari industriel risqué, dans un marché des avions de combat évalué à plus de 50 milliards de dollars par an et promis à une croissance modérée d’ici 2035.

Le projet Su-75 Checkmate et son positionnement

Un chasseur monomoteur pensé pour l’export

Officiellement présenté au Dubai Airshow 2021, le Su-75 Checkmate est défini par United Aircraft Corporation comme un « Light Tactical Aircraft ». Dans les faits, les chiffres le placent plutôt dans la catégorie des chasseurs moyens. La longueur tourne autour de 17,5 m, pour une envergure proche de 11,8 m et une masse maximale au décollage de 26 000 kg. Ces dimensions le situent entre un F-35A (environ 15,7 m et 31,8 t de masse maximale) et un Su-57 (20 m et près de 34 t), ce qui confirme un positionnement intermédiaire : plus compact et moins coûteux qu’un lourd bimoteur, mais bien plus ambitieux qu’un simple chasseur léger.

Sur le papier, le Checkmate doit emporter jusqu’à 7 400 kg de charge utile, soit l’équivalent d’un mix de missiles air-air, bombes guidées et réservoirs supplémentaires. En pratique, cette charge sera répartie entre une soute interne et des points d’emport externes. Les performances annoncées évoquent une vitesse maximale comprise entre Mach 1,8 et Mach 2, soit de l’ordre de 2 200 km/h à altitude élevée, avec un rayon d’action d’environ 1 500 km sans ravitaillement en tenant compte d’un profil de mission réaliste.

Ce profil correspond exactement au besoin d’un single engine fighter pour pays disposant de budgets limités : forte polyvalence, coût d’achat théoriquement réduit et maintenance simplifiée par rapport à un bimoteur lourd. Le problème, c’est que ce créneau est déjà occupé par le F-16V, l’éventuelle version export du Tejas Mk1A indien, le J-10 chinois modernisé, et, dans une catégorie supérieure, le F-35A largement diffusé. Le Su-75 arrive donc tard, sans prototype visible, face à des avions déjà en service ou très avancés.

Une furtivité surtout frontale et une architecture classique

Sur le plan de la technologie furtive, le Su-75 adopte des solutions déjà vues sur d’autres appareils russes : entrée d’air ventrale de type DSI (diverterless supersonic inlet), formes anguleuses, alignement des panneaux pour limiter les réflexions radar. Les rendus récents montrent une évolution du dessin : bord de fuite agrandi, flaperons plus longs, pied de voilure prolongé vers l’avant, redessin du nez et de la verrière avec des bords dentelés. Tout cela vise à réduire la signature radar dans l’axe avant, là où les radars ennemis ont le plus de chances de détecter l’appareil.

Il faut toutefois rester lucide : comme le Su-57, le Su-75 ne semble pas chercher une furtivité « tous azimuts » comparable au F-35. Les photos et maquettes indiquent encore des compromis : tuyère classique, nombreux points d’emport externes prévus, train principal et compartiments qui n’atteignent pas le niveau d’intégration des programmes occidentaux les plus avancés. L’avion vise un équilibre entre discrétion suffisante, coûts maîtrisés et capacité d’emport élevée, plus qu’une furtivité extrême.

Le développement annoncé et la réalité industrielle russe

Un calendrier officiellement serré, officieusement incertain

À Dubai en 2025, Sergey Chemezov (Rostec) et le pilote d’essai en chef de Sukhoi, Sergey Bogdan, affirment que le premier prototype est en cours de finalisation, sur chaîne, et que les essais en vol pourraient débuter au « début 2026 ». Autrement dit, la Russie promet un premier vol environ cinq ans après la présentation de la maquette, ce qui, en soi, n’aurait rien d’exceptionnel… si l’on voyait le moindre cliché ou fuite montrant un appareil complet.

Or, à ce jour, il n’existe aucun élément visuel crédible au-delà des maquettes, rendus 3D et modèles exposés sur salons. C’est un contraste frappant avec le programme Su-57, ou avec le drône S-70 Okhotnik-B : dès les premières années, des prototypes réels étaient visibles, photographiés sur aérodromes ou en vol. Ici, rien de tel. Cela nourrit naturellement le doute : le projet Su-75 progresse-t-il réellement, ou sert-il surtout de vitrine commerciale pour maintenir l’illusion d’une future gamme de chasseurs russes modernes à bas coût ?

Chemezov rappelle qu’il faut « 10 à 15 ans pour concevoir un avion », ce qui est factuellement exact. Mais en creux, cela signifie aussi que même si le premier vol a lieu en 2026, une maturité réelle, avec un standard opérationnel, ne serait pas atteinte avant la décennie 2030, au mieux. Entre-temps, le F-35 aura dépassé les 1 500 exemplaires livrés, la Chine aura diffusé son J-31/J-35, et le Japon, le Royaume-Uni et l’Italie avanceront sur leurs programmes GCAP ou équivalents.

L’impact concret des sanctions et de la guerre en Ukraine

La communication russe minimise l’effet des sanctions occidentales. Pourtant, les chiffres sont clairs : Rostec reconnaît une division par deux de ses exportations de défense depuis 2022, au profit de commandes internes urgentes pour l’armée russe. La priorité est simple : produire des munitions, des drones simples, des chars, des systèmes sol-air, plus que des chasseurs expérimentaux pour l’export.

De plus, les chaînes du Su-57 ont déjà souffert de la dépendance à des composants étrangers, notamment dans le domaine radar et électronique. Des analyses OSINT indiquent que les lignes de production sont fragilisées par les restrictions sur les composants occidentaux, obligeant à trouver des substituts moins performants ou à recourir à des circuits parallèles. Quand un pays peine déjà à livrer 18 Su-57 en deux ans sur une commande de 76 appareils, promettre un chasseur furtif russe totalement nouveau pour l’export relève plus du discours politique que de la planification industrielle rigoureuse.

Enfin, la guerre en Ukraine absorbe une part considérable des ressources humaines, financières et industrielles. Chaque rouble investi dans un programme comme le Su-75 est un rouble qui ne va pas aux drones kamikazes, à l’artillerie ou aux systèmes sol-air immédiatement utiles sur le front. Dans ce contexte, il est difficile de croire que le Su-75 sera prioritaire dans les faits, même s’il reste utile comme produit d’appel sur les salons.

Le marché des avions de combat et la concurrence internationale

Un marché en croissance modérée mais déjà saturé

Le marché des avions de combat est estimé à environ 52,9 milliards de dollars en 2025, avec une projection vers 79 milliards de dollars à l’horizon 2035, soit une croissance annuelle d’environ 4 %. Traduit en euros, cela représente de l’ordre de 49 milliards à plus de 73 milliards d’euros selon les taux de change. Ce n’est pas marginal, mais ce n’est pas un eldorado illimité non plus : les budgets sont contraints, et les grands programmes structurants (F-35, Rafale, Typhoon, J-10C, J-35, KF-21, etc.) occupent déjà une grande partie de l’espace.

Dans le segment des clients export visés par le Su-75 – Moyen-Orient, Asie, Afrique, Amérique latine –, la Russie affronte plusieurs difficultés :

  • La concurrence du F-35, qui s’impose comme standard de facto là où Washington l’autorise.
  • La montée en puissance de la Chine, qui offre des solutions financières agressives et un package politique moins exposé aux sanctions américaines pour certains pays.
  • Les programmes locaux, comme le Tejas en Inde ou le JF-17 sino-pakistanais, qui répondent à des logiques de souveraineté.

À cela s’ajoute le cadre CAATSA : tout pays important un système russe avancé s’expose à des sanctions américaines secondaires, ce qui refroidit beaucoup de capitales.

Dans ce contexte, Moscou annonce des contacts avec les Émirats arabes unis, l’Iran, l’Algérie, le Vietnam, voire l’Inde. Mais aucune commande ferme n’existe à ce jour. Pour un décideur rationnel, investir plusieurs milliards d’euros dans un avion de chasse de 5e génération qui n’a pas encore volé, dont la chaîne industrielle souligne ses difficultés sur d’autres programmes, et qui implique un risque de sanction économique, reste un pari très risqué.

Une offensive commerciale avec la Biélorussie comme relais

La communication récente autour d’une production conjointe Russie-Biélorussie du Su-75 s’inscrit clairement dans une tentative de rassurer : partage des coûts, ancrage industriel élargi, possibilité de montage local futur pour certains partenaires. En réalité, la Biélorussie n’apporte ni technologie décisive, ni marché intérieur significatif. Le message est surtout politique : montrer que le projet vit, que des partenaires existent, que le programme n’est pas uniquement russe.

Pour certains pays sous sanctions ou en rupture avec l’Occident, comme l’Iran, un chasseur russe monomoteur supposé furtif peut sembler attractif, ne serait-ce que comme levier de négociation face à d’autres fournisseurs. Mais là encore, la première question sérieuse sera : y a-t-il un avion réel, un calendrier crédible, une capacité de soutien logistique sur 30 ans ? Tant que Rostec n’apportera pas de réponses concrètes, l’argument du prix « compétitif » restera théorique.

La version sans pilote et la logique de famille d’appareils

Un drône dérivé ambitieux sur le papier

Au Dubai Airshow 2025, une maquette retravaillée d’un dérivé sans pilote du Su-75 est présentée. On y voit clairement un ensemble de capteurs électro-optiques sous le fuselage, avec un EOTS sous carénage transparent, des capteurs IR/EO supplémentaires vers l’avant et une ouverture sur le dessus du nez, configuration typique d’un système à ouverture répartie (DAS) pour vision panoramique.

L’idée est logique : si l’avion piloté voit le jour, il sert de base à un drône de combat de taille comparable, destiné à opérer en coopération avec des chasseurs habités ou à agir de façon semi-autonome. Les drones de combat lourds deviennent un segment clé : États-Unis, Chine, Europe, Turquie, Inde, tous investissent. Proposer un dérivé du Checkmate permettrait à Moscou de prétendre entrer dans ce club.

Mais là encore, on reste dans le domaine du concept. Créer un drône de combat furtif fiable demande une intégration logicielle, capteurs, liaisons de données et algorithmes d’autonomie que l’industrie russe n’a pas encore démontrés à grande échelle. Le S-70 Okhotnik-B est prometteur, mais très loin d’une flotte opérationnelle robuste. Dans ces conditions, annoncer un dérivé sans pilote du Su-75 revient à empiler les promesses sur un socle qui n’existe pas encore.

Une stratégie de communication plus qu’un plan industriel solide

Parler d’une « famille » complète – monoplace, biplace, sans pilote – avant même le premier vol du modèle de base est révélateur : il s’agit de vendre un récit plus qu’un produit. C’est une manière d’occuper le terrain face à la Chine, qui exhibe déjà le J-35 et plusieurs drônes furtifs, et face aux programmes occidentaux qui basculent vers des architectures collaboratives homme-machine.

D’un point de vue strictement technique, il serait plus crédible de concentrer les moyens sur un prototype unique, mené jusqu’au standard de présérie, puis de décliner ensuite une version drône. Mais la Russie a besoin de signaux visibles pour ses partenaires politiques et pour son opinion intérieure : le Su-75 coche toutes les cases discursives – furtivité, monomoteur, export, drône dérivé – avec un coût réel encore limité tant que rien ne vole.

Les perspectives réelles du Su-75 Checkmate

Si l’on oublie un instant le discours officiel, le diagnostic est assez clair. Sur le plan technique, le concept de chasseur furtif russe monomoteur, intermédiaire entre Su-57 et chasseurs plus anciens, a du sens. Le segment des monomoteurs polyvalents reste le plus porteur dans le monde, comme le montre la domination annoncée des monomoteurs dans les prévisions de marché des avions de combat d’ici 2035.

Mais sur le plan industriel et géopolitique, tout va à contre-courant des ambitions russes :

  • Chaînes de production déjà fragilisées.
  • Sanctions occidentales durables.
  • Priorité budgétaire à la guerre en Ukraine.
  • Concurrence de la Chine, qui cible les mêmes clients.
  • Risques de sanctions pour tout acheteur qui miserait sur le Checkmate.

Être « cash » est nécessaire ici : tant que Moscou n’alignera pas au moins un prototype en vol, le Su-75 restera plus proche d’une maquette marketing que d’un jet de combat russe crédible. Les décideurs militaires étrangers le savent très bien. La prochaine étape, la seule qui comptera vraiment, sera la diffusion de preuves tangibles d’essais en vol : appareils complets, vols d’essai systématiques, campagnes de tir. Sans cela, les belles brochures de salon n’engagent que ceux qui y croient.

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