
Un leak divulgue des rapports russes sur les échecs du radar Zhuk-ME des MiG-29K de la Marine indienne : fiabilité très en dessous des attentes contractuelles.
En résumé
Des documents internes exposés par le groupe de hackers Black Mirror révèlent les difficultés persistantes du radar Zhuk-ME installé sur les MiG-29K / KUB de la Marine indienne. Le rapport – – extrait des archives de Rostec – détaille que le radar ne respecte pas les niveaux de fiabilité stipulés dans le contrat de 2004 avec RAC MiG : le MTBF devait atteindre 150 heures de vol, le MTBD 120 heures. En réalité, les données de 2016-2018 montrent des performances bien plus faibles : dès 2016, on note un MTBD de seulement 20 heures et un MTBF de 97 heures. En 2017, le MTBF avait chuté à 60 heures. Les fuites révèlent aussi que certaines heures de vol utilisées dans les calculs provenaient de modules simulés, gonflant artificiellement les chiffres. Face aux pressions de l’Inde, les ingénieurs russes ont tenté des révisions et remplacements mais la charge du financement restait en suspens. En 2019, la Marine indienne aurait déclassé le Zhuk-ME de son certificat de fournisseur d’origine, témoignant du point de rupture de la relation technique entre New Delhi et Moscou.
Le contexte du programme MiG-29K / KUB indien
La genèse et les ambitions
La Marine indienne avait acquis des MiG-29K / KUB pour doter ses porte-avions d’un chasseur embarqué moderne. Le modèle était censé assurer la supériorité aérienne navale, la défense de groupe de bataille et des missions multirôles depuis l’INS Vikramaditya. Le radar installé, le Zhuk-ME, version export du radar russe Zhuk, était choisi pour ses capacités promises de détection aérienne et maritime.
Dans le contrat signé en 2004 avec la firme russe RAC MiG, des garanties techniques strictes figuraient : le radar devait atteindre un MTBF (Mean Time Between Failures) d’au moins 150 heures, et un MTBD (Mean Time Between Defects) de 120 heures. Ces paramètres assistent à mesurer la robustesse et la continuité de fonctionnement en conditions opérationnelles.
Les MiG-29K dans la flotte indienne
Les MiG-29K sont basés à l’INS Hansa, la base aérienne navale de Goa. Ils opèrent également depuis le pont d’envol de l’INS Vikramaditya. La navalisation du chasseur implique des contraintes accrues : corrosion saline, appontage rude, vibrations structurelles fortes, et besoin de redondance dans les systèmes critiques comme le radar. Ces contraintes renforcent l’enjeu de fiabilité pour les équipements embarqués.
Le contenu du leak : chiffres et défaillances
La fuite et ses origines
Le document divulgué, appelé “Report on the Reliability and Performance of the Zhuk-ME Radar in MiG-29K/KUB Aircraft of the Indian Navy”, provient de sources proches de Rostec, le conglomérat russe de défense. Il émane vraisemblablement d’un piratage ciblé et expose des échanges entre les autorités russes, les ingénieurs de Rac MiG et les responsables indiens.
Selon le leak, les discussions internes ont été continues sur plusieurs années pour évoquer des échecs récurrents, des retards de réparation et des obligations contractuelles non remplies. Le document accuse notamment que certaines heures de vol enregistrées pour fiabilité correspondaient à des vols avec des modules factices, destinés à masquer la faiblesse réelle du système.
Les performances réelles observées
Les données compilées entre 2016 et 2018 dans les conférences russo-indiennes à INS Hansa montrent un écart criant par rapport au contrat :
- En début 2016, le MTBD mentionné était de 20 heures, et le MTBF de 97 heures.
- À mi-2017, le MTBF était tombé à 60 heures.
- Les ingénieurs russes avaient tenté des remises à niveau et des remplacements de blocs, mais sans restaurer de façon durable la fiabilité.
- Les sources internes indiquent que le vrai indicateur de performance (hors modules factices) divergeait nettement des chiffres officiels.
Les mémos indiens remontés dans le dossier parlent de fonctionnement insatisfaisant, de pannes répétées du radar et de temps de réparation démesurés.
Le déclassement du radar
Un point marquant : en mai 2019, la Marine indienne a officiellement retiré le Zhuk-ME de son Original Manufacturer Certificate (certificat du fournisseur d’origine). Ce geste administratif traduit le rejet formel du radar comme composant certifié pour les MiG-29K / KUB. Autrement dit, le radar, en dépit de son installation, n’était plus considéré comme fiable ou acceptable selon les normes navales.
Les implications techniques, opérationnelles et contractuelles
Un point critique pour la capacité de combat
Le radar est le cœur du système de mission aérienne : il guide les engagements air-air, la détection maritime, la navigation et la fusion de données. Si le radar subit des pannes fréquentes, l’avion perd son autonomie tactique, sa capacité à conduire des missions de défense aérienne embarquée devient limitée.
Pour la Marine indienne, cela affaiblit la posture de dissuasion navale dans l’océan Indien, notamment dans un contexte de rivalité régionale avec la Chine. Certains MiG-29K peuvent être immobilisés plus souvent qu’utiles du fait des indisponibilités radar.
La relation Russie-Inde mise en tension
Le document révèle une pression importante de l’Inde sur la Russie pour exiger des réparations ou des refontes à la charge russe. Toutefois, le leak indique que Rostec / Rac MiG exigeait que l’Inde prenne en charge certaines mises à niveau ou modifications, une négociation considérée comme inacceptable par les Indiens.
Ces tensions s’inscrivent dans un contexte plus large : l’Inde envisage depuis plusieurs années de diversifier ses fournisseurs de défense et de renforcer sa souveraineté nationale. Ce genre de litige technique fragilise l’image de la coopération russo-indienne.
Le coût de la non-fiabilité
Des pannes fréquentes engendrent des coûts élevés en maintenance, pièces de rechange, logistique et immobilisation d’aéronefs. Elles réduisent le taux de serviceabilité de la flotte MiG-29K. Dans des audits antérieurs, le CAG (Comptroller and Auditor General) indien avait déjà critiqué le faible taux de disponibilité des MiG-29K, certains rapports indiquant une disponibilité autour de 37 à 70 %.
Ainsi, des radars défaillants aggravent une fragilité existante. Le retard ou le défaut de remplacement du radar impacte directement l’efficacité opérationnelle de la flotte navale.

Les dimensions techniques du Zhuk-ME et ses limites
Le Zhuk-ME : caractéristiques et attentes
Le radar Zhuk-ME est conçu comme version maritime / export du radar Zhuk-M, avec des fonctions de cartographie, de détection navale et un suivi multi-cibles. Il pèse environ 220 kg selon les sources, et il est annoncé pour détecter des cibles aériennes à quelque 120 km pour une surface équivalente radar de 5 m². Il devait, dans la version d’origine, suivre jusqu’à dix cibles et en engager quatre simultanément.
Pour les missions navales, il doit également assurer une détection de navires, de petits objectifs maritimes ou des cibles côtières. Le radar est doté d’un balayage en azimut de ±85° et en élévation +56° / –40°, selon les documents techniques du MiG-29K.
Les défis navals exacerbés
Opérer depuis un porte-avions soumet le radar à des vibrations extrêmes, des contraintes mécaniques, des conditions salines, des cycles thermiques fréquents et des modifications structurelles. Ces contraintes exigent une robustesse accrue du radar, ainsi qu’une maintenance rigoureuse.
Les pannes peuvent survenir dans les modules TWT (travelling wave tubes), les alimentations HV, le système électronique de commande, les composants de refroidissement ou les éléments mécaniques de rotation. Une seule panne sur ces sous-ensembles rend le radar inutilisable.
La fréquence des pannes suggérée par le leak (MTBF très faible) indique que les modules n’avaient pas une durée de vie suffisante ou une redondance matérielle limitée.
Réactions, crédibilité du leak et pistes de remédiation
Validité des documents et réactions officieuses
Le leak émane du groupe Black Mirror, déjà auteur de plusieurs intrusions dans des sociétés russes de défense. Le fait que les documents portent des signatures internes et citent des mémos indiens crédibilise le contenu, mais la Russie ou Rac MiG peuvent contester la version ou la contextualisation des extraits.
Aucune confirmation publique majeure n’est encore parvenue des autorités russes au moment de cette rédaction. On peut s’attendre à des démentis ou à des versions atténuées. Toutefois, le volume de détails techniques et la cohérence des chiffres (MTBF, MTBD) renforcent la thèse d’un compte rendu authentique.
Les voies de redressement envisageables
Pour redresser la situation, plusieurs pistes sont ouvertes :
- Ré-ingénierie du radar par Phazotron / KRET : réparations de modules, redesigns HV, changement de tubes TWT ou passage à des modules modernisés. Le document indique que certaines modifications ont déjà été entreprises.
- Renforcement contractuel Indien : exiger des garanties de performance, des clauses de pénalité ou des refontes à la charge russe.
- Remplacement par un radar alternatif : si le Zhuk-ME demeure instable, l’Inde pourrait envisager de développer ou d’adopter un radar tiers (AESA indien ou occidental) pour ses MiG-29K.
- Intensification du contrôle qualité et de l’entretien prédictif : usage de diagnostics embarqués, rotation des modules, remontée rapide des pannes et remplacement préventif.
Ce leak jette une lumière crue sur les failles d’un système critique censé garantir la performance d’un chasseur embarqué stratégique. L’écart entre promesse contractuelle et réalité opérationnelle est abyssal. Si la Marine indienne continue d’exploiter des MiG-29K dont les radars sont peu fiables, la menace stratégique se trouve amoindrie.
La crédibilité de la défense russe comme fournisseur de systèmes clés est également mise à l’épreuve. L’Inde pourrait accélérer sa diversification technologique, s’éloigner des dépendances russes et investir dans une filière nationale radar.
Si ces révélations poussent New Delhi à imposer une refonte radicale du soutien technique, ou à requalifier ses MiG-29K, elles pourraient marquer un tournant dans la coopération russo-indienne en matière de défense.
Avion-Chasse.fr est un site d’information indépendant.