Lockheed Martin développe le véhicule de rentrée Mk21A pour le missile Sentinel, combinant guidage inertiel et céleste, nouvelle coque thermique et sous-systèmes de sécurité avancés.
En résumé
Le programme Mk21A marque une évolution majeure de la dissuasion nucléaire américaine. Lockheed Martin a reçu plus de 1,4 milliard de dollars pour développer un véhicule de rentrée de nouvelle génération destiné au futur ICBM LGM-35A Sentinel, appelé à remplacer le Minuteman III. Le Mk21A reprend la logique du Mk21 historique, mais avec une architecture entièrement modernisée : coque thermique (aeroshell) améliorée, sous-système d’armement et de mise à feu repensé, sous-système RF pour les communications et la télémesure, ainsi qu’un spin subsystem chargé de stabiliser la tête lors de la phase de rentrée. Le missile porteur conserve un guidage inertiel complété par un guidage céleste, afin de maintenir une précision élevée sur plusieurs milliers de kilomètres. Les premières mises en service sont visées entre 2027 et 2032, en parallèle du déploiement de la nouvelle ogive W87-1. Derrière ces lignes techniques, l’enjeu est stratégique : prolonger la crédibilité de la triade nucléaire américaine jusqu’au milieu du XXIᵉ siècle, tout en améliorant la sûreté, la sécurité et la résistance aux défenses adverses.
Le cadre général du programme Mk21A
Le Mk21A est défini comme un « integrated reentry vehicle » : il ne s’agit pas seulement d’une enveloppe, mais d’un ensemble cohérent qui intègre la structure, les capteurs, la logique de mise à feu et l’interface avec l’ogive W87-1. Il sera monté au sommet du nouvel ICBM LGM-35A Sentinel, destiné à remplacer l’ensemble des Minuteman III à partir de la fin des années 2020.
Un premier contrat de près d’un milliard de dollars a été attribué à Lockheed Martin en octobre 2023 pour l’ingénierie, la fabrication et le développement (EMD) du Mk21A, avec une échéance globale qui court jusqu’en 2039 pour l’ensemble du cycle. Des modifications ultérieures, dont une de plus de 450 millions de dollars annoncée en novembre 2025, portent la valeur cumulée du programme à environ 1,48 milliard de dollars pour la seule phase actuelle.
Sur le plan du calendrier, les documents de gestion de programme prévoient des premières capacités déployées sur Sentinel entre 2027 et 2032. Cette fenêtre correspond à la montée en puissance progressive du missile et de la nouvelle ogive W87-1, dont la production initiale est ciblée autour de 2030.
Le concept de véhicule de rentrée nucléaire
Un élément clé de la chaîne balistique
Dans un missile balistique intercontinental, la séquence se décompose en trois phases : propulsion, vol balistique exo-atmosphérique, puis rentrée atmosphérique. Le véhicule de rentrée est la partie qui survit à cette dernière phase, à des vitesses pouvant dépasser Mach 20, sous des flux thermiques extrêmes et de fortes contraintes mécaniques.
Il doit protéger l’ogive des températures de plusieurs milliers de degrés en surface, tout en conservant une trajectoire précise jusqu’à l’altitude de déclenchement de l’armement. Dans le cas du Mk21A, il s’agit de délivrer l’ogive W87-1 avec une précision métrique ou décamétrique suffisante pour conserver la crédibilité militaire de l’ICBM.
L’héritage du Mk21 et les besoins de modernisation
Le Mk21A s’inspire du Mk21 utilisé sur le missile Peacekeeper LGM-118A, qui emportait jusqu’à dix ogives W87 en configuration MIRV. Après le retrait du Peacekeeper, une partie de ces ogives a été rebasculée sur Minuteman III, mais dans une architecture vieillissante.
La modernisation ne répond pas seulement à un impératif de durée de vie. Elle vise aussi :
- l’intégration de nouvelles électroniques plus résistantes aux radiations ;
- l’amélioration des marges de sécurité (systèmes de mise à feu plus sûrs, meilleure protection contre les accidents) ;
- la compatibilité avec le nouveau missile Sentinel, dont la configuration mécanique et les profils de vol diffèrent de ceux du Minuteman III.

Le guidage inertiel et céleste : précision sur de très longues distances
Le missile Sentinel lui-même est un engin à trois étages à propergol solide, doté d’un guidage inertiel complété par un guidage céleste. Le premier repose sur une centrale inertielle (gyroscopes, accéléromètres) mesurant en continu les accélérations du missile et recalculant sa position et sa vitesse. Le second utilise un senseur stellaire, capable de comparer la position apparente des étoiles à un catalogue embarqué pour corriger les dérives de la navigation.
Ce couple inertiel / céleste est un classique des ICBM américains, mais il bénéficie ici de capteurs plus précis et de calculateurs modernes. Il permet au missile de rester indépendant de tout signal externe (GPS, Galileo), ce qui est crucial en environnement de guerre électronique ou en cas de destruction des constellations de navigation.
Une fois le bus post-boost séparé, l’essentiel de la navigation est achevé. Le Mk21A suit une trajectoire principalement balistique, avec éventuellement de petites corrections d’attitude via des jets de gaz ou des gouvernes aérodynamiques pour optimiser la pénétration et l’angle de rentrée. Les marges de précision viennent alors autant de la qualité du guidage en amont que de la stabilité du véhicule pendant la descente.
La coque thermique (aeroshell) : bouclier contre la rentrée
L’aeroshell du Mk21A est la première barrière contre l’environnement extrême de la rentrée. Elle doit gérer simultanément :
- les flux thermiques, qui provoquent l’échauffement et l’ablation de la surface ;
- les contraintes mécaniques, liées aux surcharges pouvant atteindre plusieurs dizaines de g ;
- les effets plasmas, susceptibles de perturber les communications et les capteurs.
Les documents techniques mentionnent une coque en plusieurs sections (nez à grande vitesse, partie avant, corps, couvercle arrière), inspirée des générations précédentes mais optimisée pour le nouveau profil de vol. Des matériaux composites et des ablatiques améliorés permettent de mieux répartir la chaleur et de réduire la masse, tout en protégeant les internes.
L’aeroshell joue aussi un rôle aérodynamique : sa forme conique et la répartition des masses conditionnent la stabilité du véhicule à très haute vitesse. De petits ajustements de profil peuvent améliorer la résistance aux tentatives d’interception par des systèmes antibalistiques, en rendant la trajectoire plus difficile à prédire avec précision.
Le sous-système d’armement et de mise à feu
Le sous-système d’armement et de mise à feu (arming and fuzing subsystem) constitue l’un des éléments les plus sensibles du Mk21A. Il doit respecter plusieurs exigences contradictoires :
- garantir la sécurité maximale en stockage, transport et maintenance ;
- empêcher toute détonation non autorisée, même en cas d’accident ;
- assurer une mise à feu fiable dans une fenêtre de temps très étroite, après une trajectoire de plusieurs milliers de kilomètres.
Les documents publics sur le programme ICBM Fuze Mod indiquent que les nouveaux fusées (fuzes) sont conçues pour une durée de vie d’au moins 30 ans et doivent rester compatibles avec différents véhicules de rentrée, dont le Mk21A. On parle de fusées multifonctions capables de gérer plusieurs modes : explosion en airburst à une altitude précise, explosion de contact ou retardée, selon la nature de la cible.
La modernisation permet aussi de renforcer la cybersécurité et la résilience aux impulsions électromagnétiques, un enjeu majeur dans un contexte de guerre électronique avancée.
Le sous-système RF et la gestion du spin
Le sous-système RF regroupe les antennes et l’électronique radiofréquence permettant d’assurer la télémesure, les communications de test et, éventuellement, des fonctions de mesure d’altitude (radar altimètre). Une partie de ces capacités est principalement utilisée en phase d’essais : elle permet de valider les performances du Mk21A lors de tirs d’essai depuis des lanceurs comme le Minotaur I, à partir de Vandenberg Space Force Base. Des tests en vol ont déjà été menés en juin 2024 avec un véhicule de rentrée inerte, confirmant la bonne tenue des technologies et des conceptions.
Le spin subsystem est chargé d’imprimer une rotation contrôlée au véhicule de rentrée. Cette rotation a plusieurs fonctions :
- améliorer la stabilité gyroscopique pendant la descente ;
- homogénéiser la distribution des flux thermiques sur l’aeroshell ;
- réduire l’impact d’éventuelles asymétries mécaniques ou thermiques.
Typiquement, un moteur de spin ou un système de jets latéraux met le véhicule en rotation à quelques tours par seconde avant la rentrée dense. La maîtrise fine de ce spin est cruciale pour garantir la précision terminale et la fiabilité du déclenchement des capteurs associés à la mise à feu.
Un jalon clé de la dissuasion nucléaire américaine
Au-delà des détails techniques, le Mk21A s’inscrit dans une modernisation plus large de la triade nucléaire américaine : nouveau missile Sentinel, nouvelle ogive W87-1, rénovation des silos, mise à niveau des systèmes de commandement et de contrôle. Les coûts cumulés de ces programmes se chiffrent en dizaines, voire en centaines de milliards de dollars sur plusieurs décennies.
Pour Washington, l’enjeu n’est pas d’augmenter la puissance brute, mais de garantir que chaque maillon – des propulseurs au véhicule de rentrée Mk21A – reste crédible face aux défenses modernes, aux menaces cyber et aux risques techniques liés au vieillissement. La combinaison du guidage inertiel et du guidage céleste, de l’aeroshell optimisée, du sous-système RF et du spin subsystem dessine une architecture pensée pour durer au moins jusqu’aux années 2050.
Dans un contexte de compétition stratégique avec la Chine et la Russie, l’existence même de ce type de programme rappelle une réalité simple : tant que les grandes puissances misent sur la dissuasion, la technologie de la rentrée atmosphérique restera l’un des domaines les plus sensibles, les plus discrets et les plus stratégiques de l’ingénierie militaire.
Sources
– Military & Aerospace Electronics, « Lockheed Martin to build reentry vehicle for nuclear missile with inertial and celestial guidance », 17 novembre 2025.
– U.S. Department of Defense, « Contracts for Oct. 30, 2023 » et « Contracts for Nov. 13, 2025 », fiches de contrat Mk21A.
– Lockheed Martin, « ICBM Reentry Vehicles » et communiqué sur le test en vol Mk21A, 18 juin 2024.
– U.S. Air Force Nuclear Weapons Center, « Test of Mk21A RV complete after launch aboard Minotaur rocket », 18 juin 2024.
– U.S. DoD, « Mk21A Reentry Vehicle Modernized Selected Acquisition Report », 31 décembre 2023.
– Lawrence Livermore National Laboratory, « W87-1: The Modification that Invigorated an Enterprise », 2022.
– DoD / NNSA, « ICBM Fuze Mod Selected Acquisition Report », décembre 2022.
Avion-Chasse.fr est un site d’information indépendant.