
Pourquoi North American a placé l’entrée d’air du YF-107 au-dessus du cockpit ? Analyse technique du VAID, de ses défis aérodynamiques et de son héritage.
En résumé
Le North American YF-107 reste célèbre pour sa prise d’air dorsale et son système Variable-Area Inlet Duct. Ce choix répondait à une contrainte opérationnelle : loger sous le fuselage un armement nucléaire tactique type Mark 7 en semi-encastrement, sans perturber la séparation à grande vitesse. Le VAID modulait automatiquement la section d’entrée pour alimenter le Pratt & Whitney J75 sur tout le domaine supersonique jusqu’à Mach 2, tout en gérant ondes de choc, décollements et distorsion en entrée compresseur. Cette architecture posait des défis : épaisse gestion de la couche limite au dos du fuselage, sensibilité aux grands angles d’attaque et visibilité arrière dégradée, avec un impact sur l’ergonomie d’éjection. Les essais ont validé l’efficacité du concept et ont nourri les programmes A-5 Vigilante et XB-70 Valkyrie, où l’intake à géométrie variable et le contrôle de choc-dilution furent poussés plus loin. L’expérience du YF-107 éclaire encore la manière d’intégrer soute ventrale et admission supersonique.
Le contexte opérationnel et l’option dorsale
La demande tactique du milieu des années 1950 imposait un emport axial d’une bombe Mark 7 en semi-récessé sous la quille. Le YF-107 adopte donc une entrée d’air déplacée au-dessus et juste derrière le cockpit pour libérer la ligne centrale et éviter les interactions d’onde de choc et d’écoulement lors de la séparation de charge à vitesse élevée. Dimensions et capacités donnent l’échelle du projet : longueur 18,85 m (61 ft 10 in), envergure 11,15 m (36 ft 7 in), hauteur 5,89 m (19 ft 8 in), surface alaire 35 m² (376 ft²), masse au décollage maximale 18 841 kg (41 537 lb). Le moteur J75 délivrait environ 109 kN (24 500 lbf) avec post-combustion, pour une vitesse atteinte proche de 2 084 km/h (1 295 mph) et un plafond voisin de 16 200 m (53 200 ft). Ces chiffres situent un chasseur-bombardier supersonique capable d’emporter un armement volumineux sous le ventre sans compromettre le flux d’admission.

La mécanique du VAID et le pilotage des ondes
Le Variable-Area Inlet Duct constituait une admission à géométrie variable : des rampes et panneaux mobiles modifiaient automatiquement l’aire gorge et l’incidence de choc afin de fixer une Mach d’entrée compresseur quasi constante, maximiser la récupération de pression totale et limiter la distorsion radiale. En régime supersonique, l’objectif est de transformer efficacement l’énergie cinétique via une succession d’ondes obliques puis un choc terminal stabilisé, tout en évitant le « spillage drag » et l’« unstart » (expulsion brutale des chocs). Le VAID utilisait des fentes et cavités de saignée pour purger la couche limite et soulager les interactions choc-couche limite, critiques autour de Mach 1,7–2,0. L’automatisation de la loi de commande couplait géométrie d’admission et besoins massiques du J75, condition sine qua non pour voler au-delà de Mach 2 avec une marge de pompage acceptable sur l’ensemble du domaine.
Les défis d’intégration en position dorsale
Monter l’admission au dos impose de composer avec une couche limite plus épaisse qu’en position ventrale ou latérale. Cette « laine d’air » ralentie, fortement cisaillée, génère distorsion et swirl au plan d’entrée du compresseur si elle est ingérée. Le carénage dorsal du YF-107 intégrait donc un diverteur et des dispositifs de saignée longitudinaux pour « nettoyer » la veine principale. À grands angles d’attaque et en sideslip, le gradient de pression du nez et du pare-brise pouvait détourner l’écoulement vers l’admission, d’où l’importance d’un dimensionnement robuste des lèvres et des cloisons anti-couche limite. La position dorsale améliore en revanche la tenue aux FOD (débris de piste), au prix d’une visibilité arrière dégradée et d’une contrainte singulière sur l’évacuation d’urgence : le siège devait traverser la verrière et s’écarter de l’entrée pour garantir la sécurité à haute vitesse.
Les essais, les chiffres et les validations
Trois prototypes ont volé en 1956. Le premier vol intervient le 10 septembre, puis le programme atteint le domaine supersonique et valide des pointes à Mach 2 dans les mois suivants. La campagne d’essais accumule plusieurs centaines de vols et confirme la stabilité du choc terminal, l’efficacité de la saignée et la tenue du J75 face aux transitoires d’incidence et de débit. Des essais de séparation de « charge spéciale » à grande vitesse démontrent la pertinence du choix dorsal pour préserver une soute semi-encastrée sous la quille. Deux cellules sont ensuite confiées à la NACA pour des travaux de recherche haute vitesse, prolongeant l’exploitation aérodynamique de l’admission et des lois de commande sur un spectre d’incidences et de Mach pertinent pour les bombardiers et intercepteurs de nouvelle génération.
Les répercussions industrielles et l’héritage
L’expérience accumulée sur le VAID irrigue directement les programmes North American suivants. Sur l’A-5 Vigilante, on retrouve des prises à géométrie variable, un dimensionnement soigné des plans de séparation couche limite et un contrôle fin de la distorsion compresseur. Sur la XB-70 Valkyrie, le constructeur pousse plus loin les inlets mixtes (compression externe/interne), le contrôle actif des portes de déversement et la stabilité anti-unstart à très haute vitesse. L’architecture dorsale elle-même sera peu reprise sur des chasseurs en série, car les compromis d’angles d’attaque, de champ de vision et d’intégration capteurs-cockpit pèsent lourd. En revanche, la « grammaire » mise au point — rampes mobiles, saignée optimisée, lois de commande automatiques — deviendra un standard des admissions supersoniques des décennies suivantes.
La pertinence et les limites d’une prise dorsale
La position dorsale répondait ici à une contrainte d’emport axial d’une bombe Mark 7 de l’ordre de 730–760 kg (1 600–1 680 lb), longue d’environ 4,6 m (15 ft) et large d’environ 0,76 m (30 in). Elle éliminait les interférences d’onde de choc d’un menton (« chin intake ») avec la séparation en ventral, tout en évitant les pénalités d’une admission latérale accolée à une soute. Mais ce choix complexifie la gestion d’incidence et de lacet, car la dorsale « voit » un écoulement déjà perturbé par le nez, le pare-brise et le dos du fuselage. Il impose des lois plus conservatrices de découplage moteur/admission, une saignée plus généreuse et des marges anti-pompage supérieures. Dans un contexte où la doctrine privilégie alors l’attaque à grande vitesse et le BVR, les compromis ergonomiques (visibilité arrière) apparaissent tolérables, mais ils deviendront éliminatoires avec l’essor des missions multirôles.


Les enseignements techniques réutilisés
Quatre leçons se détachent. Premièrement, l’intégration « soute ventrale + admission supersonique » exige une co-conception aérodynamique, y compris la validation séparation-onde sur toute la plage de Mach et d’assiette. Deuxièmement, l’intake à géométrie variable doit être « pilotée » pour caler la Mach d’entrée compresseur, avec un budget de saignée adapté aux pires cas (incidence, pluie, turbulence). Troisièmement, la maîtrise de la distorsion (indices SAE) conditionne la durabilité moteur et la marge anti-pompage ; l’avionique d’admission doit anticiper et amortir les transitoires. Quatrièmement, les contraintes d’évacuation et d’ergonomie cockpit doivent être traitées dès l’architecture, car une admission dorsale affecte directement trajectoires d’éjection et capteurs dorsaux. Ces enseignements, formalisés sur le YF-107, se retrouvent ensuite affermis sur des appareils où les inlets mixtes, les portes by-pass et les rampes multi-états deviennent la norme.
La postérité du YF-107 dans l’ingénierie des prises d’air
Même si la compétition fut remportée par le Republic F-105, le YF-107 a servi de laboratoire d’admissions supersoniques. Les choix qui ont fait sa singularité — admission dorsale, VAID automatisé, discipline stricte de la couche limite — ont nourri une lignée technologique. Sur les plateformes ultérieures, l’industrie a préféré des positions ventrales ou latérales combinant maintenance, capteurs et furtivité, mais a conservé l’essentiel : maîtrise des chocs, des saignées et de la distorsion. C’est là que l’« héritage VAID » est le plus tangible : dans les algorithmes et la mécanique des rampes, plus que dans l’emplacement physique de la prise d’air.
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