L’Azerbaïdjan parie sur le JF-17 sino-pakistanais

JF-17 Thunder

Bakou investit plus de 6 milliards de dollars dans le JF-17 Thunder pour moderniser sa flotte, réduire son lien avec Moscou et se rapprocher de Pékin.

En Résumé

L’Azerbaïdjan a officiellement commencé à intégrer le JF-17 Thunder dans son armée de l’air, avec une première apparition de cinq appareils lors d’une parade à Bakou début novembre. Ces avions de combat proviennent du programme sino-pakistanais FC-1/JF-17 et sont au standard Block III, la version la plus moderne. Deux contrats successifs ont été signés : un premier de 1,6 milliard de dollars, soit environ 1,5 milliard d’euros, pour 16 avions, suivi d’un accord d’environ 4,6 milliards de dollars, soit près de 4,2 milliards d’euros, pour 40 appareils supplémentaires. Il s’agit du plus gros contrat d’exportation militaire de l’histoire du Pakistan. Pour Bakou, ce choix permet de moderniser rapidement une flotte limitée composée de MiG-29 et de Su-25 tout en diversifiant ses fournisseurs, au détriment de la Russie. Mais cette modernisation a un prix politique : la dépendance technologique se déplace vers la Chine, qui contrôle une large part des briques critiques du système, de l’avionique au radar, en passant par les missiles air-air longue portée.

Un contrat aérien massif qui repositionne Bakou

Le premier élément à regarder est la taille des contrats signés par Bakou. En février 2024, l’Azerbaïdjan conclut un accord initial de 1,6 milliard de dollars, soit environ 1,5 milliard d’euros, pour un lot de JF-17 Block III, incluant les avions, la formation des équipages et une dotation en armements. Quelques mois plus tard, un second contrat pour 40 appareils supplémentaires est annoncé, pour un montant de 4,6 milliards de dollars, soit près de 4,2 milliards d’euros. On parle au total de plus de 6,2 milliards de dollars d’engagements, ce qui, pour un pays de moins de 11 millions d’habitants, est un signal très clair : Bakou ne veut plus se contenter d’une force aérienne de seconde zone.

Pour Islamabad, ce paquet représente le plus gros succès de l’industrie de défense pakistanaise. Le JF-17 n’est plus seulement un programme de substitution destiné à contourner les contraintes américaines ou européennes ; il devient un produit d’exportation crédible, capable de séduire un pays qui a déjà combattu et gagné sur le terrain, notamment durant la guerre de 2020 contre l’Arménie. On peut trouver ce choix discutable en termes de niveau technologique absolu, mais le calcul azéri n’est pas idiot : le coût unitaire complet (avion + formation + armement + soutien) reste nettement inférieur à celui d’un Rafale, d’un F-16V ou d’un Gripen, tout en introduisant des capacités modernes.

Pour l’Azerbaïdjan, ces montants restent absorbables grâce aux revenus énergétiques. Les exportations de gaz et de pétrole d’État génèrent chaque année plusieurs milliards d’euros qui alimentent directement le budget de défense. Bakou n’a jamais caché sa priorité : sécuriser militairement l’avantage acquis au Karabakh et disposer de moyens crédibles face à l’Arménie, mais aussi face à d’éventuels jeux d’influence russes ou iraniens. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : très peu de pays de cette taille se permettent aujourd’hui un plan de modernisation aérienne aussi agressif.

Un avion de chasse JF-17 Thunder qui vise le segment “bon compromis”

Le avion de chasse JF-17 n’est ni un F-35, ni un Su-57. C’est un chasseur léger de génération dite “4,5”, conçu pour offrir un rapport coût/capacité acceptable aux forces aériennes qui n’ont ni les moyens, ni l’accès politique aux plateformes occidentales les plus avancées. D’un point de vue technique, la version Block III qui intéresse Bakou intègre tout de même des briques modernes que beaucoup d’armées plus riches n’ont pas encore sur toutes leurs flottes.

Le radar KLJ-7A AESA constitue le cœur du saut capacitaire. Il s’agit d’un radar à antenne active capable de suivre simultanément plusieurs cibles aériennes à des distances dépassant 150 km, tout en offrant une meilleure résistance au brouillage que les antennes mécaniques. Combiné à un capteur électro-optique et à un système de guerre électronique modernisé, il donne au pilote une vision relativement complète de l’environnement aérien sur plusieurs centaines de kilomètres carrés.

En termes de performances, le JF-17 atteint environ Mach 1,6, soit près de 1 970 km/h en altitude, avec un plafond opérationnel d’environ 17 000 m. La charge offensive annoncée pour le Block III dépasse 3 600 kg sur sept points d’emport, même si, dans la pratique, les configurations restent souvent plus modestes pour préserver le rayon d’action, autour de 900 km sans ravitaillement, jusqu’à plus de 1 700 km avec réservoirs externes.

L’armement air-air est un point sensible. L’intégration du missile longue portée PL-15E, dont la portée est donnée autour de 145 km, change l’équation pour les adversaires régionaux équipés de missiles plus anciens de type R-27 ou R-73. Le missile courte portée PL-10E complète ce dispositif pour le combat rapproché. Sur le papier, ce couple radar/missile donne au JF-17 Block III un premier tir au-delà de la portée de nombreuses plateformes héritées de l’époque soviétique.

On peut se moquer du positionnement “low cost” du JF-17. Mais pour un pays comme l’Azerbaïdjan, qui cherche une montée rapide en puissance, un appareil moins sophistiqué qu’un Rafale mais mieux armé que des MiG-29 fatigués reste un choix rationnel.

Une aviation militaire azerbaïdjanaise qui change d’échelle

Jusqu’ici, l’aviation militaire azerbaïdjanaise reposait sur un noyau d’environ 11 MiG-29, une trentaine de Su-25 d’appui au sol et une flotte de drones turcs et israéliens largement mis en avant pendant la guerre de 2020. L’ensemble représente environ 180 avions et hélicoptères de tous types, mais le nombre de chasseurs réellement modernes était faible. Les MiG-29, d’origine multiple (Russie, Ukraine, Biélorussie), souffrent de coûts de maintenance élevés et d’une architecture avionique datée.

L’arrivée d’un premier lot de JF-17, visible lors de la parade de Bakou avec au moins quatre monoplaces et un biplace d’entraînement, marque un changement de génération. À terme, avec 16 appareils du premier contrat puis 40 de l’accord suivant, la flotte de chasse multirôle pourrait dépasser 50 JF-17, soit un volume significatif pour un pays de cette taille. En proportion, c’est l’équivalent, pour la France, de plusieurs dizaines de Rafale supplémentaires.

Sur le plan opérationnel, les JF-17 devraient être basés à Nasosnaya, ancienne grande base soviétique qui abrite déjà les MiG-29. La logique est claire : concentrer les moyens de supériorité aérienne sur un même site, pour optimiser l’infrastructure, la logistique et la formation. Les Su-25, modernisés avec l’aide de la Turquie et dotés de munitions guidées turques, resteront les outils principaux d’appui au sol.

Cette configuration crée une répartition des rôles plus claire : JF-17 en intercepteur et en frappe de précision à moyenne distance, Su-25 pour le soutien rapproché, drones Bayraktar et Harop pour les missions de harcèlement, de neutralisation de défenses aériennes ou de frappe de haute précision. Pour l’Arménie, qui peine déjà à suivre financièrement, c’est un problème concret : le différentiel de moyens aériens et de drones se creuse.

Il faut aussi le dire sans détour : avec cette flotte, l’Azerbaïdjan ne vise pas seulement la dissuasion. Il prépare des options offensives crédibles, si le rapport de forces politique et diplomatique lui paraît à nouveau favorable dans le Caucase.

Une dépendance stratégique qui se déplace vers Pékin

Officiellement, les commentateurs azéris expliquent que cette acquisition rapproche Bakou du Pakistan et réduit la dépendance vis-à-vis de Moscou. C’est vrai, mais c’est incomplet. La coopération militaire Pakistan–Azerbaïdjan reste essentiellement le volet visible d’un triangle où la Chine tient les leviers industriels et technologiques. Dans le programme JF-17, environ 42 % de la production est assurée en Chine et 58 % au Pakistan, mais les technologies critiques – radar, missiles, une partie importante de l’avionique – viennent de Pékin.

La dépendance stratégique se déplace donc clairement. Certes, l’Azerbaïdjan ne dépend plus des chaînes russes pour la maintenance de ses MiG-29. Il réduit aussi son exposition aux sanctions occidentales, puisqu’il n’achète ni F-16, ni Gripen, ni Rafale. Mais il accepte en échange de se lier durablement à un écosystème technologique dominé par la Chine, sur fond de tensions croissantes entre Pékin et les pays occidentaux.

Le moteur RD-93, produit par Klimov en Russie, est un rappel brutal de cette réalité hybride. Tant que Moscou livre ce moteur ou accepte des modernisations vers la version RD-93MA, le système tient. En cas de rupture politique grave – par exemple une crise russo-azerbaïdjanaise ouverte –, la question de la fourniture de pièces détachées et de réacteurs de remplacement deviendrait immédiatement sensible. Pékin pourrait proposer une solution alternative, mais cela ne se ferait ni rapidement, ni gratuitement.

Enfin, le choix du JF-17 ferme de facto la porte à une intégration profonde avec certains systèmes OTAN, en particulier pour tout ce qui touche aux liaisons de données sécurisées et aux réseaux de commandement occidentaux. Bakou tente de jouer sur tous les tableaux – coopération avec Israël, la Turquie, la Russie, désormais la Chine et le Pakistan – mais la cohérence technique a un prix. Il n’est pas évident que les décideurs politiques mesurent toujours les contraintes à long terme d’une telle mosaïque de fournisseurs.

JF-17 Thunder

Un équilibre régional plus instable dans le Caucase

L’arrivée du JF-17 Thunder dans le ciel du Caucase n’est pas un simple détail de flotte. Elle intervient après une guerre gagnée par Bakou, un recul stratégique de l’Arménie et une implication russe fragilisée par la guerre en Ukraine. Pour Erevan, qui peine déjà à stabiliser son propre appareil militaire, voir son voisin investir plus de 6 milliards de dollars dans des avions de combat modernes est tout sauf rassurant.

Les conséquences sont assez directes. La supériorité aérienne potentielle de l’Azerbaïdjan s’accroît, surtout si les PL-15E sont fournis en nombre et pleinement intégrés. Les options de modernisation de l’Arménie sont limitées : elle dispose de peu de marge de manœuvre financière et reste tributaire de la Russie pour la plupart de ses systèmes. On peut imaginer des coopérations avec l’Inde ou l’Iran, mais elles resteraient partielles. Ce déséquilibre rend toute crise future plus dangereuse, car l’une des parties sait qu’elle a davantage de cartes en main dans le domaine aérien.

Au-delà du duo Bakou–Erevan, cette montée en puissance intéresse directement Téhéran et Moscou. Voir le Caucase se remplir d’avions chinois et de drones turcs soutenus par des armes israéliennes n’est pas neutre pour des capitales obsédées par la sécurisation de leurs propres frontières. Pékin, de son côté, obtient une vitrine supplémentaire pour son matériel militaire exportable, à quelques centaines de kilomètres de bases russes et turques.

Il faut prendre les choses pour ce qu’elles sont : l’Azerbaïdjan utilise sa rente énergétique pour transformer son outil militaire, avec le soutien de partenaires qui y trouvent chacun un intérêt stratégique. La population azérie ne sera pas consultée sur le risque de glissement vers une posture plus offensive, pas plus que les pays voisins n’ont voix au chapitre. Le pari est clair : s’installer durablement comme puissance militaire dominante dans le Caucase, quitte à créer un environnement plus tendu. Ceux qui pensent que ces avions de combat resteront une simple force de prestige se bercent d’illusions.

Sources :
– Article “CAC/PAC JF-17 Thunder”, données techniques et production globale.
– Article “Azerbaijani Air Forces”, inventaire des MiG-29, Su-25 et JF-17.
– FlightGlobal, “Azerbaijan becomes fourth JF-17 operator with five appearing in Baku military parade”, novembre 2025.
– News.am, “Azerbaijan receives Chinese fighter jets”, novembre 2025.
– Army Recognition, “Azerbaijan confirms the delivery of five JF-17 Block III fighter jets from Pakistan”, novembre 2025.
– Defence Security Asia, “Azerbaijan inducts JF-17 Block III Thunder Fighters”, octobre 2025.
– Articles de synthèse sur les capacités du JF-17 Block III et du PL-15E (Defence Security Asia, IRIA, sources spécialisées).

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