
Chaque division doit recevoir environ 1 000 drones d’ici fin 2026, inversant la dépendance aux avions habités pour privilégier les systèmes non‑habités.
L’armée américaine opère une transformation majeure : passer d’environ 90 % d’appareils habités à un objectif de 1 000 drones par division d’ici fin 2026. Cette réorganisation s’inscrit dans l’Army Transformation Initiative, pilotée par le secrétaire Daniel Driscoll et validée par le secrétaire à la défense Pete Hegseth. Cette stratégie s’appuie sur les leçons du conflit ukrainien, où les drones à bas coût ont modifié les dynamiques du champ de bataille. L’objectif est d’intégrer une flotte non‑habitées dense pour les missions de surveillance, d’attaque, de logistique et de guerre électronique.
La transformation doctrinale et structurelle
La directive Hegseth ordonne que chaque division active soit dotée d’environ 1 000 drones, répartis selon des fonctions bien définies : surveillance ISR, attaque avec munitions de type loitering, transport de matériels légers, guerre électronique ou appui tactique. Trois brigades test ont déjà mis en œuvre ces capacités, avec pour objectif généralisation d’ici deux ans.
Parallèlement, l’armée prévoit de réduire les formations d’hélicoptères d’attaque habités, comme les AH‑64D Apache, dont le coût estimé est de 10 000 USD/h. Cette décision s’accompagne d’un désengagement de systèmes jugés inefficaces ou obsolètes (Humvee, MLTV, M10 light tank). Le cadre administratif est allégé, certaines unités de commandement fusionnées, avec une réorientation des ressources vers les systèmes dronisés.
Le modèle évolue vers des divisions modulaires “plug‑and‑play”, capables d’intégrer à chaque mission brigades armées classiques et lots de drones tactiques, formant un continuum mixte piloté par doctrine rénovée. Ces drones non‑habités seront désormais traités plus comme des munitions que des aéronefs classiques : autorisation d’emploi descendue jusqu’aux niveaux subordonnés pour garantir réactivité tactique. Cette approche libère les unités au front des délais administratifs et optimise les effets de masse disponibles sur le terrain.
Les capacités techniques et les systèmes visés
La transformation s’appuie sur des systèmes “attritable” à coût unitaire réduit. L’initiative Replicator vise à livrer des milliers de systèmes autonomes (aériens, maritimes et contre-UAS) d’ici août 2025. Le financement alloué inclut notamment 1 milliard de dollars pour les drones d’attaque suicide, 1,1 milliard pour les petits UAS tactiques et 500 millions pour les systèmes anti‑drone.
Le focus est mis sur les drones tactiques de types Skydio X2D/RQ‑28 ou Red Cat Black Widow, conçus pour être portables, rapides à déployer, et capables d’emporter des charges légères ou des grenades via dispositifs automatisés (test récent en Allemagne). Ces systèmes correspondent au Group 1 à Group 3 de la classification américaine : du micro-UAV (< 9 kg) jusqu’à des appareils de quelques centaines de kilogrammes. L’allocation budgétaire est massive et les chaînes de production intègrent l’impression 3D poussée pouvant atteindre 10 000 drones par mois, avec passage à l’injection moulée envisagé.
L’autonomie opérationnelle est renforcée par l’utilisation de l’intelligence artificielle embarquée, intégrant des algorithmes de détection, ciblage, auto-routage et auto‑décision, alimentés par des réseaux tactiques multi‑domaines. Ces drones peuvent fonctionner en essaim coordonné pour saturer les défenses ennemies, exercer des frappes précises ou agir comme capteurs relais en zones complexes. Ils sont conçus pour être bon marché, facilement remplaçables, donc interchangeables en situation de perte.

Les enjeux opérationnels, logistiques et financiers
Le plan de transformation est estimé à environ 36 milliards d’euros sur cinq ans, financés sans budget extérieur, en réaffectant des ressources libérées par la suppression de certains programmes. Les économies logistiques sont substantielles : plus besoin de ravitaillements aériens fréquents, moins de maintenance complexe, réduction des équipages embarqués.
La capacité à maintenir une présence continue dans des zones éloignées permet de renforcer la dissuasion en Indo-Pacifique ou en Europe orientale sans recourir à des déploiements lourds. Par exemple, un escadron de petites plateformes pourrait assurer surveillance 24/7, collecte de renseignement, reconnaissance de terrains et appui aux forces terrestres ou navales sur des échelles de plusieurs milliers de km².
Cependant ces transformations imposent de repenser les états-majors divisionnaires : créer des cellules UAS dédiées, intégrer les données issues d’essaims multiples, permettre une prise de décision rapide. Sans adaptation de la doctrine et des systèmes de commandement, la masse d’informations générée par les drones pourrait surcharger les structures actuelles.
Les défis logistiques incluent la production de masse de composants (hors Chine), la maintenance modulaire des drones, la formation des opérateurs et la cybersécurité des liaisons. L’armée américaine doit aussi accroître sa capacité à produire en urgence via l’impression 3D et l’injection moulée afin d’assurer un flux parallèle à l’usure en combat.
Les limites et risques de cette transition
Cette orientation stratégique n’est pas sans risques. L’usage massif de drones bon marché repose sur une logistique fluide : si un maillon — production, pièce, logiciel — vient à manquer, l’effet de saturation disparaît. Le modèle inspiré de l’Ukraine ne garantit pas le succès dans un modèle américain plus rigide, bureaucratique et structuré. Les coûts sont moindres unitaire, mais la masse requise impose une chaine d’approvisionnement robuste.
L’armée américaine ne dispose pas encore d’une culture UAS à tous les niveaux du commandement. Le personnel doit s’approprier cette transformation doctrine et techno. Des programmes comme COLDSTAR ou les tests en Europe rurale en 2025 ont révélé des problèmes de performance des batteries froides, de refroidissement, et de liaison radio. Sans retour d’expérience réel sur zone de conflit, l’anticipation reste partielle.
Enfin, sur le plan stratégique, l’élévation du nombre de drones modifie l’équilibre avec les capacités adverses : la Chine concentre ses efforts sur les essaims autonomes, avec l’objectif d’un “enfer non‑habité” dans le Détroit de Taiwan. Ce qui signifie que l’armée américaine doit non seulement produire, mais aussi interconnecter ses systèmes avec ses capitaux commandement, AI, et cyber‑guerre électronique.
Le risque principal est que cette mutation devienne un symbole plus qu’une réalité opérationnelle. Si l’intégration tactique, logistique et doctrinale n’est pas maîtrisée, l’investissement massif pourrait sembler disproportionné par rapport à l’efficacité.
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