La résilience russe : maintenir ses avions malgré les sanctions

La résilience russe : maintenir ses avions malgré les sanctions

Voici un état des lieux précis de la tactique russe pour garder ses avions de chasse en vol face aux sanctions, via des circuits détournés, cannibalisation et production locale.

Le système détourné d’importation de pièces aéronautiques

La Russie parvient à maintenir ses avions en vol malgré des sanctions internationales sévères. Dès mars 2022, Airbus et Boeing ont suspendu toute fourniture de pièces détachées et de maintenance aéronautique. En parallèle, la Chine a bloqué l’exportation de composants critiques, notamment des pièces pour moteurs Safran/Saturn SaM146 du Sukhoi Superjet 100.

Face à cela, les compagnies russes ont mis en place un réseau complexe de circuits détournés. Entre juin 2022 et juin 2023, elles ont importé près de 1,2 milliard USD de pièces détachées via des tiers non sanctionnés, comme les Émirats arabes unis, la Turquie ou la Chine. La Finlande mentionne quelques 4 000 envois de pièces Boeing et Airbus acheminées clandestinement.

Les transactions passent par des sociétés écrans, des ports de transbordement, et des documents falsifiés. Ces méthodes permettent à 98 % des composants d’entrer en Russie par des pays tiers, sans que les fabricants originels ne les détectent. Ces importations sauvages ont assuré un court délai de survie de la flotte civile et militaire.

Cette stratégie illustre une chaîne logistique parallèle et opaque, destinée à contourner les sanctions tout en maintenant une activité aéronautique opérationnelle.

Le réemploi forcé des avions : cannibalisation et bricolage industriel

Dès l’été 2022, le gouvernement russe a conseillé aux compagnies d’utiliser certains avions comme source de pièces, afin de prolonger la vie d’autres appareils. Cette pratique de cannibalisation a permis de maintenir la flotte en vol malgré l’absence de pièces neuves.

Des appareils comme les Airbus A320, A350, Boeing 737 ou Sukhoi Superjet ont été dépouillés pour fournir des composants à d’autres avions. Ces méthodes ont abouti à des dysfonctionnements majeurs, comme des freins désactivés : dans certains cas, les pilotes ont dû se reposer exclusivement sur les inverseurs de poussée pour ralentir.

Par ailleurs, la réglementation interne a été assouplie pour prolonger la durée de validité de pièces critiques, au risque de compromettre la sécurité. Ces pratiques ont entraîné une hausse notable des incidents techniques et renforcent les questions sur la fiabilité des appareils en vol.

La résilience russe : maintenir ses avions malgré les sanctions

La réquisition des avions sous location : une expropriation déguisée

Avant les sanctions, environ 515 avions commerciaux, loués auprès de sociétés étrangères, étaient utilisés par des compagnies russes, pour une valeur estimée à 10 milliards USD. En mars 2022, la Russie a adopté une loi autorisant la reconversion forcée de ces avions : ils ont été re‑immatriculés sous juridiction russe.

La plupart des appareils sont restés en service en Russie, parfois hors certification internationale, ce qui a permis de continuer à exploiter la flotte malgré l’embargo.

L’appui discret de pays alliés pour la maintenance

Des pays comme l’Iran ont apporté un soutien clé. Dès avril 2023, Aeroflot a commencé à envoyer ses appareils en Iran pour maintenance, profitant de l’expertise iranienne acquise par les sanctions.

Une enquête révèle que la Russie a également mis sur pied des flux financiers opaques via les Émirats arabes unis et d’autres intermédiaires, à l’instar de son partenariat avec l’Iran dans le secteur des drones. Ces réseaux facilitent les échanges de pièces et les réparations, malgré les contrôles.

Le virage vers la production locale : “russification” aéronautique

Confrontée à la rupture des chaînes d’approvisionnement, la Russie a lancé une stratégie de substitution locale. En mars 2025, un prototype du Yakovlev Superjet‑100, équipé du moteur PD‑8 100 % russe, a effectué un vol de 40 minutes. L’objectif est d’obtenir la certification d’ici fin 2025 et de produire 89 appareils d’ici 2030.

Le programme de l’MC‑21, initialement équipé de moteurs américains, est retardé de deux ans, la production de la version russifiée (MC‑21‑310) devant débuter en 2026. Reuters souligne qu’à début 2025, seulement 1 avion sur 15 prévu a été livré, en raison des difficultés industrielles.

L’entreprise UZGA (Ural Works of Civil Aviation), filiale de Rostec, joue un rôle central dans cette reconversion, en fabriquant des composants et entraînant des projets comme les LMS‑901 “Baïkal” et TVRS‑44 “Ladoga”.

Ainsi, la souveraineté aéronautique devient un impératif stratégique.

Les limites et risques d’un modèle improvisé

Ces stratégies garantissent un maintien partiel des capacités aériennes russes, mais reposent sur des solutions coûteuses, risquées et non durables.

Le recours aux circuits détournés et à la cannibalisation augmente les coûts logistiques, affaiblit la sécurité aéronautique, et fragilise l’économie du secteur.

Le recours aux avions expropriés limite l’accès au marché international. Le retard de programmes comme le MC‑21 illustre les faiblesses structurelles et les goulets d’étranglement industriels.

À long terme, seule une véritable montée en compétences industrielles et un réseau de production national consolidé peuvent stabiliser le secteur. Mais cela exige du temps, une forte coordination étatique et des investissements massifs dans un contexte économique déjà sous pression.

Un horizon fragile à surveiller

La Russie déploie un arsenal de tactiques ingénieuses — importations clandestines, cannibalisation, alliés techniques et relocalisation — pour garder ses avions en vol.

Ces mesures fonctionnent comme des palliatifs. À court terme, elles sauvent des capacités aériennes essentielles. Mais elles portent en germe des risques croissants pour la sécurité, l’autonomie réelle et la viabilité industrielle.

À l’avenir, l’enjeu sera de voir si ces efforts de “russification” peuvent être pérennes, ou s’ils restent des réponses tactiques à une crise stratégique majeure.

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