Le consortium Eurofighter accélère la production du Typhoon

Eurofighter Typhoon

L’Eurofighter augmente sa cadence de 14 à 20 avions/an, jusqu’à 30 selon commandes, pour répondre à la demande OTAN accrue.

Le consortium Eurofighter, acteur industriel européen majeur, a annon­cé, le 22 juin 2025, l’accroissement de sa capacité de production annuelle de l’avion de chasse Eurofighter Typhoon, passant de 14 à 20 appareils, avec une montée possible à 30 unités si les commandes progressent. Cette démarche s’inscrit dans un contexte de tension croissante et répond à une demande aiguë de l’OTAN pour renforcer ses forces aériennes. Pour la première fois depuis longtemps, l’intérêt pour les avions de combat de quatrième génération augmente nettement, tant chez les pays partenaires qu’à l’export. L’initiative stratégique du consortium vise à sécuriser les chaînes de valeur et à préserver la compétitivité industrielle européenne face à la suprématie américaine incarnée notamment par le F‑35.

Le contexte stratégique et la demande européenne

Un regain d’intérêt motivé par l’évolution géopolitique

La décision d’augmenter la production de l’Eurofighter Typhoon s’inscrit dans un contexte stratégique tendu, marqué par la guerre en Ukraine, l’hostilité croissante entre l’OTAN et la Russie, ainsi que l’instabilité au Moyen-Orient. Face à ces menaces, plusieurs États membres de l’OTAN souhaitent renforcer leur supériorité aérienne, en particulier sur le flanc Est. Les besoins exprimés portent sur environ 60 avions de chasse par an à l’échelle européenne, alors que la capacité actuelle ne dépasse pas 14 à 20 unités. Cette limitation crée un décalage entre la planification stratégique des forces aériennes et les capacités industrielles réelles.

L’augmentation progressive de la production à 20, voire 30 appareils par an, permettrait de sécuriser les renouvellements de flottes tout en répondant aux exigences opérationnelles de défense aérienne, de dissuasion et d’intervention rapide. En particulier, les forces de réaction rapide de l’OTAN (NATO Response Force) nécessitent des moyens modernes, fiables et disponibles en volume. Le Typhoon, en tant qu’avion de chasse de supériorité aérienne multirôle, reste une plateforme stratégique complémentaire aux avions de cinquième génération comme le F-35.

Renouvellement des flottes nationales

Les commandes récentes confirment cette dynamique. L’Allemagne a ajouté en 2024 un lot de 20 avions à sa commande Quadriga de 38 unités. L’Italie a acquis 24 appareils pour environ 7,5 milliards d’euros, tandis que l’Espagne, via le programme Halcón, prévoit 45 livraisons d’ici 2035. Ces engagements assurent la continuité industrielle du programme Eurofighter au moins jusqu’en 2030.

Eurofighter Typhoon

Les enjeux industriels et technologiques

Adaptation de la chaîne de production

L’augmentation du rythme de production de l’Eurofighter Typhoon, de 14 à 20 unités annuelles, impose une réorganisation technique et logistique au sein du consortium. Ce dernier regroupe Airbus Defence and Space (Allemagne, Espagne), BAE Systems (Royaume-Uni) et Leonardo (Italie). Selon Jorge Degenhardt, PDG d’Eurofighter GmbH, la montée en cadence sera atteinte d’ici trois ans. La capacité maximale visée, en cas de carnet de commandes élargi, s’élève à 30 avions de chasse par an. Cela suppose une adaptation fine des lignes d’assemblage, du réseau de sous-traitants et des ressources humaines.

Actuellement, le cycle entre la signature d’un contrat et la livraison finale d’un Typhoon avoisine 50 mois. Cette durée limite la réactivité stratégique du programme face aux crises militaires. L’objectif déclaré est de réduire ce délai, notamment en simplifiant certaines procédures industrielles et en anticipant la gestion des composants critiques. La synchronisation entre les lignes de production de Getafe, Manching, Warton et Turin devient un enjeu central. Toute hausse de cadence nécessitera également une montée en compétence rapide des effectifs techniques, particulièrement sur les chaînes de montage final.

Modernisation progressive

En parallèle de l’augmentation quantitative, le consortium poursuit une modernisation technologique du Typhoon. Le programme de mise à niveau à mi-vie (MLU) vise à renforcer la compétitivité du chasseur européen. Le Royaume-Uni finance à hauteur de 204,6 millions de livres sterling l’intégration du nouveau radar ECRS Mk2, capable d’opérer en mode de guerre électronique avancée. Cette version, attendue fin 2025, offrira au Typhoon des capacités accrues de brouillage, de suivi multibande et de détection à longue portée.

D’autres évolutions incluent la compatibilité avec des drones de type « buddy wingman » et des munitions intelligentes de dernière génération. Ces transformations visent à maintenir l’Eurofighter Typhoon dans la catégorie des chasseurs tactiques à haute valeur opérationnelle jusqu’à l’horizon 2040.

Opportunités à l’exportation et marché mondial

Perspectives de contrats à l’international

Le consortium Eurofighter mise activement sur l’exportation pour stabiliser la production au-delà de 2030. Plusieurs pays figurent parmi les cibles commerciales stratégiques : Autriche, Arabie saoudite, Turquie, Pologne, mais aussi des États d’Amérique latine et d’Asie du Sud-Est. L’objectif est clair : sécuriser un volume de 150 à 200 ventes supplémentaires d’ici fin 2025, selon des projections internes communiquées par Breaking Defense. Le cabinet PwC avance même un scénario optimiste avec 287 unités vendables, dont 213 à l’export.

Parmi les campagnes en cours, l’Arabie saoudite constitue une cible centrale. Riyad pourrait commander jusqu’à 60 Eurofighter Typhoon, en complément de sa flotte actuelle acquise lors de l’accord Al Salam. Ce contrat, politiquement sensible, se heurte néanmoins à une opposition de l’Allemagne, qui maintient un veto lié à des considérations de droits humains. De son côté, la Turquie a manifesté son intérêt pour 40 appareils, moitié d’occasion, moitié neufs (Tranche 4), dans un contexte de tensions avec les États-Unis autour de l’accès au F-35. Là encore, Berlin bloque pour des raisons géopolitiques.

D’autres négociations sont menées en Europe centrale. La Pologne, engagée dans une course à la modernisation, pourrait constituer un client futur, surtout en cas de diversification vis-à-vis du F-35. Le programme d’export du Typhoon est donc étroitement lié aux rapports de force diplomatiques intra-européens et à l’autonomie stratégique recherchée par certains États.

Un concurrent crédible face aux systèmes américains

Sur le marché mondial des avions de chasse, l’Eurofighter Typhoon se positionne comme une alternative tangible au F-35 de Lockheed Martin. Cette différenciation repose sur deux leviers : la souveraineté industrielle et l’indépendance technologique. Plusieurs pays réticents à l’intégration dans l’écosystème de surveillance américain voient dans le Typhoon un choix plus libre. À titre d’exemple, les États souhaitant éviter l’imposition du système ALIS (Autonomic Logistics Information System) du F-35 — considéré comme une forme de dépendance numérique — privilégient les avions de quatrième génération occidentaux, comme le Typhoon, le Rafale ou le Gripen E.

En cas de tensions politiques ou d’embargos, le Typhoon offre aussi une chaîne d’approvisionnement européenne entièrement maîtrisée. Cela constitue un atout stratégique pour des pays comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou même l’Indonésie, soucieux d’éviter toute interruption de soutien opérationnel.

Le Typhoon, bien que non furtif, conserve des performances élevées : une vitesse maximale proche de Mach 2, une manœuvrabilité optimisée par une cellule instable assistée numériquement, et une capacité multirôle (interception, attaque au sol, reconnaissance). Cette polyvalence, associée à des évolutions continues (radar AESA, guerre électronique, compatibilité drone), lui permet de rester compétitif sur un marché dominé par l’offre américaine.

Périls et contraintes à relever

Blocages politiques sensibles

La gouvernance du programme Eurofighter Typhoon repose sur un principe d’unanimité entre les quatre nations du consortium : Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Espagne. Ce modèle de cogestion, bien que garant d’équilibre industriel, engendre des blocages récurrents dans les exportations. Chaque pays possède un droit de veto sur les ventes à l’étranger, ce qui fragilise la capacité du consortium à conclure rapidement des contrats à l’export.

Le cas de la Turquie en est un exemple concret. En avril 2025, Berlin a officiellement opposé un veto à une vente de 40 Typhoon à Ankara, invoquant des considérations géopolitiques liées aux tensions avec la Grèce et aux atteintes aux droits fondamentaux. Ce blocage a immédiatement suspendu les négociations, malgré le soutien actif de Londres, Rome et Madrid. La règle de l’unanimité, dans ce cadre, ralentit la stratégie commerciale et expose l’Eurofighter à un désavantage compétitif par rapport aux concurrents américains, qui bénéficient d’une chaîne de décision centralisée.

La complexité bureaucratique du consortium nuit également à la réactivité commerciale face à des offres plus souples proposées par Lockheed Martin ou Dassault Aviation. Les acheteurs potentiels hésitent parfois à s’engager dans des négociations exposées à des revirements politiques internes. Une réforme de la gouvernance d’export, ou a minima une clarification des lignes rouges diplomatiques, apparaît comme une nécessité si l’Eurofighter veut sécuriser durablement ses débouchés hors Europe.

Compétences et capacité industrielle

L’objectif affiché de produire 30 avions de chasse Eurofighter par an implique un renforcement des moyens humains et techniques du consortium. L’un des nœuds critiques est l’usine de Warton, au Royaume-Uni, qui concentre une grande partie de l’assemblage final. Ce site emploie près de 6 000 salariés. En l’absence de nouvelles commandes, sa pérennité à moyen terme est menacée, tout comme le maintien du savoir-faire britannique indispensable au projet GCAP (Global Combat Air Programme).

La montée en cadence suppose non seulement de garantir des commandes, mais aussi de former en continu des techniciens, soudeurs, ingénieurs en systèmes embarqués et spécialistes en matériaux composites. Or, ces compétences sont rares et très demandées dans d’autres secteurs industriels. La fuite de profils qualifiés vers d’autres industries (spatial, civil, cybersécurité) est une réalité. Les partenaires du consortium doivent donc s’accorder sur un plan de sécurisation des compétences critiques, en renforçant la formation initiale et la transmission intergénérationnelle.

Enfin, l’élargissement du volume de production nécessite une coordination fluide entre les sites de Warton, Getafe, Manching et Turin. Chaque retard dans l’un des centres peut désynchroniser l’ensemble du processus. En cas d’absence d’anticipation sur les chaînes logistiques ou de tensions sur les approvisionnements stratégiques (titane, composants électroniques), l’objectif des 30 unités annuelles pourrait rapidement devenir irréalisable.

Eurofighter Typhoon

Scénarios prospectifs et perspectives 2030

Maintien à long terme de la production

Les commandes fermes enregistrées par le consortium Eurofighter garantissent le maintien de la chaîne de production du Typhoon jusqu’en 2030. L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont toutes contractualisé des livraisons étalées sur la seconde moitié de la décennie. Cette stabilité permet aux sites de Warton, Manching, Getafe et Turin de planifier leurs charges industrielles et de consolider l’emploi. La montée en cadence annoncée (20 à 30 avions par an) favorise la robustesse du tissu industriel européen et limite la dépendance vis-à-vis de programmes extérieurs.

Transition vers les programmes futurs

À moyen terme, l’Eurofighter Typhoon servira de passerelle industrielle et technologique vers les chasseurs de sixième génération, notamment le GCAP (mené par le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon) et le FCAS (France, Allemagne, Espagne). Ces futurs avions de combat sont attendus pour 2035–2040, avec une entrée en service opérationnelle prévue autour de 2045. D’ici là, le Typhoon continuera d’évoluer (radars, guerre électronique, interopérabilité avec drones), tout en maintenant les compétences critiques et les infrastructures. Ce rôle de plateforme transitoire est indispensable pour éviter une rupture capacitaire entre deux générations technologiques. Le Typhoon reste ainsi un pilier tactique et industriel à l’échelle européenne.

Le passage de 14 à 20 avions par an, mobilité vers 30 en cas de commandes supplémentaires, révèle une réponse consciente aux tensions globales et aux engagements de l’OTAN. Ce mouvement sécurise les intérêts industriels, renforce l’offre aérienne européenne de quatrième génération et amorce la transition technologique vers les programmes de nouvelle génération. Cependant, les défis politiques, industriels et financiers restent majeurs. Le succès dépendra de l’équilibre entre commandes opérationnelles, stabilité politique entre partenaires, et anticipation des innovations à venir.

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