Une patrouille de bombardiers chinois et russes près du Japon et de la Corée du Sud relance les tensions régionales et confirme la montée en puissance militaire du tandem Pékin-Moscou.
En résumé
Une nouvelle patrouille sino-russe de bombardiers stratégiques a survolé, le 9 décembre 2025, les environs du Japon et de la Corée du Sud, dans l’East China Sea et la Sea of Japan. Deux bombardiers russes Tu-95 ont rejoint deux bombardiers chinois H-6 pour un vol de longue durée, escortés par des chasseurs J-16 et soutenus par un avion radar russe A-50. Tokyo et Séoul ont fait décoller leurs chasseurs japonais et chasseurs sud-coréens, même si aucun appareil n’a violé les espaces aériens nationaux. Officiellement, Pékin et Moscou présentent cette opération comme la dixième patrouille stratégique conjointe inscrite dans un plan annuel d’exercices. Dans les faits, l’épisode intervient en plein durcissement des relations entre la Chine et le Japon, sur fond de tensions autour de Taïwan et d’un incident récent impliquant des radars de tir. Cette patrouille conjointe s’inscrit dans une stratégie plus large de coopération militaire sino-russe, qui teste la réaction des alliés américains en Asie et banalise la présence de bombardiers nucléaires près de points névralgiques comme Okinawa et le détroit de Miyako.
Le survol qui a déclenché les décollages japonais et sud-coréens
La patrouille est conduite au-dessus d’eaux internationales, mais dans des zones hautement sensibles. Selon les autorités japonaises et sud-coréennes, deux Tu-95 russes décollent depuis la Sea of Japan puis rejoignent deux H-6 chinois venus de l’East China Sea. Ensemble, ils effectuent un long transit vers le Pacifique occidental, notamment à proximité d’Okinawa et du détroit de Miyako, avant de rebrousser chemin. La mission dure environ huit heures et suit un profil de patrouille stratégique, avec des segments en formation serrée surveillés de près par les radars régionaux.
Tokyo annonce avoir détecté la formation bien avant qu’elle n’approche de l’espace aérien japonais. La Japan Air Self-Defense Force (JASDF) envoie des chasseurs, probablement des F-15J et F-2, pour identifier visuellement les bombardiers et suivre leur trajectoire. De son côté, Séoul indique que sept appareils russes et deux appareils chinois entrent à plusieurs reprises dans la Korea Air Defense Identification Zone (KADIZ) pendant environ une heure, ce qui entraîne le décollage de chasseurs sud-coréens armés, même si la frontière aérienne nationale n’est pas franchie.
Ce type de réaction est devenu quasi automatique. Dans une région où les temps d’alerte se comptent en minutes, ne pas faire décoller les chasseurs serait un signal de faiblesse. Les armées japonaise et sud-coréenne assument donc un coût important en carburant, en heures de vol et en usure de flotte pour démontrer que chaque patrouille stratégique chinoise ou russe sera surveillée de près.
Le dispositif aérien engagé par Pékin et Moscou
Le rôle des bombardiers stratégiques H-6 et Tu-95
Le cœur de la patrouille repose sur le tandem H-6 / Tu-95. Le H-6 chinois, dérivé du Tu-16 soviétique, a été modernisé à plusieurs reprises. Dans ses dernières versions, il peut emporter des missiles de croisière air-sol ou antinavires à longue portée, parfois au-delà de 1 500 km. Son rayon d’action dépasse 3 000 km, ce qui lui permet de frapper des cibles autour de la première chaîne d’îles – Japon, Taïwan, Philippines – tout en restant protégé par la bulle de défense chinoise.
Le Tu-95 russe, lui, est un bombardier turbopropulsé de l’ère soviétique, mais il reste un vecteur clé de la dissuasion nucléaire russe. Capable d’embarquer des missiles de croisière comme le Kh-101, avec une portée annoncée supérieure à 3 000 km, il peut frapper des cibles terrestres ou maritimes loin des côtes russes. Sa vitesse de croisière relativement modeste, autour de 800 km/h, est compensée par un rayon d’action de plus de 10 000 km grâce au ravitaillement en vol. Voir évoluer un Tu-95 à proximité des îles japonaises n’est donc jamais anodin : même en temps de paix, il rappelle que des plateformes nucléaires ou conventionnelles à très longue portée peuvent opérer aux portes de l’archipel.
Les chasseurs d’escorte et l’avion radar comme multiplicateurs de force
La patrouille n’aligne pas seulement des bombardiers. Les communiqués japonais et russes évoquent la présence de chasseurs J-16 chinois en escorte, ainsi que d’un avion de veille radar A-50 russe. Le J-16, dérivé du Su-30, est un chasseur multirôle moderne, équipé d’un radar à antenne active et capable d’emporter des missiles air-air longue portée. Sa présence signale que Pékin se prépare à un environnement de combat dense, où les bombardiers doivent être protégés contre d’éventuels intercepteurs adverses.
L’A-50, équivalent russe de l’AWACS, joue le rôle d’“œil” de la formation. Il coordonne les trajectoires, surveille les approches japonaises et sud-coréennes et fournit une image globalisée de l’espace aérien dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Le message est clair : la patrouille n’est pas un simple survol symbolique, mais un exercice complet de commandement et de contrôle, où les appareils chinois et russes s’entraînent à opérer comme un tout cohérent.

La patrouille sino-russe comme signal politique vers Tokyo et Séoul
Un exercice « routinisé » mais hautement politique
Officiellement, Pékin et Moscou insistent sur le caractère “routinier” de ces missions. La défense chinoise rappelle qu’il s’agit de la dixième patrouille stratégique conjointe depuis 2019, réalisée dans le cadre d’un plan annuel de coopération militaire. Les avions, soulignent les deux capitales, restent en permanence dans l’espace aérien international et respectent le droit de la mer et de l’air.
Mais le calendrier et la géographie parlent d’eux-mêmes. La patrouille intervient alors que les relations sino-japonaises sont tirées vers le bas par plusieurs dossiers sensibles. Tokyo a durci son discours sur une éventuelle crise à Taïwan, expliquant que la sécurité de l’île était intimement liée à celle du Japon. Pékin dénonce ces prises de position, les jugeant “provocatrices”. Dans le même temps, un incident très médiatisé autour de radars de tir, impliquant des avions chinois et des appareils japonais près d’Okinawa, a contribué à installer un climat de méfiance aiguë.
Dans ce contexte, faire évoluer des bombardiers stratégiques entre Okinawa et Shikoku, à quelques centaines de kilomètres seulement des bases américaines de Kadena ou d’Iwakuni, n’a rien d’innocent. La patrouille rappelle à Tokyo et à Washington que la Chine et la Russie sont capables d’agir de concert dans un espace aérien déjà saturé de forces alliées.
Un avertissement à la Corée du Sud et, au-delà, aux États-Unis
Séoul est également visé. La KADIZ couvre une large portion de l’espace aérien au large de la péninsule, et le fait que les bombardiers et chasseurs russes et chinois y pénètrent à plusieurs reprises, sans préavis, met à l’épreuve la réactivité sud-coréenne. En faisant lever des chasseurs, Moscou et Pékin forcent Séoul à dévoiler, au moins partiellement, ses procédures d’alerte, ses couloirs d’interception et certains paramètres de ses radars.
Au-delà de la Corée du Sud, c’est l’alliance militaire américaine en Asie qui est visée. Washington est lié par des traités de défense au Japon et à la Corée du Sud. En multipliant les patrouilles près de ces deux alliés, Pékin et Moscou espèrent tester la capacité des États-Unis à coordonner la surveillance aérienne, mais aussi à gérer une éventuelle crise simultanée en Europe et en Asie. La patrouille de bombardiers stratégiques fonctionne alors comme un rappel discret, mais concret, de la réalité d’un front “à deux théâtres” pour les forces américaines.
La place des patrouilles conjointes dans la stratégie sino-russe
Une coopération structurée depuis 2019
Depuis 2019, les patrouilles aériennes conjointes Chine-Russie sont devenues un rendez-vous régulier autour du Japon, de la Corée du Sud, mais aussi occasionnellement plus loin, par exemple près de l’Alaska. Leur fréquence – une à deux fois par an – et leur extension géographique traduisent une montée en gamme de la coopération. Au fil des ans, le volume de forces engagées et la complexité des itinéraires ont augmenté, passant de quelques bombardiers à des groupes comprenant plusieurs types d’appareils, chasseurs, avions de ravitaillement et appareils de renseignement.
Cette coopération ne signifie pas l’existence d’une alliance militaire formelle. Mais elle témoigne d’une convergence d’intérêts : contestation du rôle des États-Unis, volonté de fragmenter l’attention stratégique américaine, et recherche d’une légitimité accrue pour les opérations militaires chinoises et russes dans leur voisinage élargi.
Un laboratoire pour les opérations conjointes de haute intensité
Militairement, ces patrouilles sont un laboratoire grandeur nature. Elles permettent à la Chine et à la Russie de tester l’interopérabilité de leurs systèmes de communication, de leurs procédures de navigation, et de leurs doctrines d’emploi de bombardiers stratégiques. Elles offrent aussi un retour d’expérience précieux sur les réactions adverses : délai de décollage des intercepteurs, profils d’approche, utilisation des radars, etc.
Du point de vue chinois, ces missions renforcent la crédibilité des bombardiers H-6 comme vecteurs de missiles antinavires contre les groupes aéronavals américains. Du point de vue russe, elles offrent un théâtre d’entraînement alternatif à l’Europe, face à des adversaires techniquement avancés, sans pour autant franchir le seuil d’un incident direct avec l’OTAN. Dans les deux cas, la patrouille conjointe sert de démonstration de capacité et de signal politique calibré.
Les conséquences pour les doctrines japonaise et sud-coréenne de défense aérienne
Pour le Japon, la répétition de ces patrouilles pose un vrai problème de soutenabilité. Le nombre d’interceptions de bombardiers chinois et russes par la JASDF est régulièrement supérieur à 500 par an depuis plusieurs exercices, avec un record au-dessus de 1 000 décollages d’alerte à certaines périodes. Chaque sortie consomme des heures de vol sur les avions, des ressources humaines et du budget de défense.
Cette pression opérationnelle pousse Tokyo à revoir sa posture. Le Japon investit dans de nouveaux systèmes sol-air à longue portée, renforce les radars sur ses îles les plus exposées, et envisage le déploiement de batteries supplémentaires sur des îles stratégiques proches de Taïwan. L’objectif est de réduire la dépendance aux seuls intercepteurs pilotés et de disposer d’une panoplie complète de réponses, du suivi passif à l’interception active.
La Corée du Sud suit une logique similaire. Elle modernise ses radars, densifie son réseau de détection et travaille à une meilleure intégration de ses moyens avec ceux des États-Unis et du Japon, malgré des relations politiques parfois tendues avec Tokyo. Les survols répétés de la KADIZ par des avions chinois et russes sont perçus comme un “stress test” permanent de la défense aérienne sud-coréenne.
Dans les deux pays, l’effet politique est net. Les opinions publiques et les responsables politiques voient, en images, la réalité de ces patrouilles : photos de Tu-95 et de H-6 prises depuis les cockpits japonais ou sud-coréens, cartes de trajectoires publiées par les ministères de la Défense. Cela alimente le débat sur les budgets militaires, sur l’accueil de nouvelles capacités américaines et sur l’évolution des doctrines d’emploi de la force.
Une routine risquée dans un ciel saturé de forces armées
Ce qui est présenté par Pékin et Moscou comme une “simple” patrouille stratégique est désormais un élément structurant du paysage sécuritaire en Asie du Nord-Est. Chaque passage de bombardiers près du Japon ou de la Corée du Sud impose aux alliés des États-Unis une réponse coûteuse et politiquement sensible. À force de se répéter, ces patrouilles créent un risque supplémentaire : celui de l’accident, de la mauvaise interprétation ou du geste maladroit dans un ciel saturé d’appareils militaires.
À court terme, aucune des parties n’a intérêt à laisser dériver la situation vers une confrontation ouverte. Mais la normalisation de vols conjoints de bombardiers nucléaires potentiels, escortés par des chasseurs, à proximité immédiate d’États dotés de capacités avancées de défense aérienne, laisse peu de marge à l’erreur. La patrouille de décembre 2025 rappelle que la stabilité en Asie du Nord-Est repose de plus en plus sur la maîtrise des risques à très courte distance entre forces armées, bien plus que sur de grandes déclarations diplomatiques.
Sources :
– Reuters, dépêches sur les patrouilles conjointes Chine-Russie et les réactions du Japon et de la Corée du Sud, 9–10 décembre 2025.
– The War Zone, « Joint Chinese-Russian Bomber Patrol Sends Japanese, South Korean Fighters Scrambling », 9 décembre 2025.
– FlightGlobal, « Chinese H-6 and Russian Tu-95 bombers conduct joint patrol through Miyako Strait prompting JASDF scramble », 10 décembre 2025.
– Global Times et ministère chinois de la Défense, communiqués sur la 10e patrouille stratégique conjointe, décembre 2025.
– Japan Air Self-Defense Force / études de think tanks sur les patrouilles combinées sino-russes et le nombre de scrambles, 2019–2025.
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