Le NGAD en sursis : l’US Air Force va-t-elle l’abandonner ?

NGAD USA

Entre coûts colossaux, essaims de drones sacrifiables et tensions budgétaires, le super-chasseur NGAD est contesté. L’US Air Force peut-elle encore le justifier ?

En résumé

Le programme NGAD américain devait incarner le super-chasseur de sixième génération chargé d’assurer le remplacement des F-22 par le NGAD et de maintenir l’avantage aérien face à la Chine. Sur le papier, ce futur chasseur de l’US Air Force promet des performances extrêmes, une furtivité avancée et un fonctionnement en réseau avec des drones d’accompagnement. Dans la réalité, son coût estimé autour de 300 millions de dollars l’unité (environ 280 millions d’euros) et une enveloppe de recherche se chiffrant déjà en dizaines de milliards font naître un doute sérieux sur la viabilité du NGAD pour l’aviation américaine.
Parallèlement, l’US Air Force investit massivement dans des drones de type Collaborative Combat Aircraft et dans des plateformes “loyal wingman” sacrifiables. Des démonstrateurs comme le YFQ-44A d’Anduril ou le YFQ-42A de General Atomics montrent que des essaims de drones semi-autonomes peuvent prendre en charge une partie des missions les plus risquées, pour un coût nettement inférieur à celui d’un F-47 habité issu du NGAD.
Le débat est désormais frontal : faut-il continuer à financer un avion piloté ultra-sophistiqué que l’on hésitera à engager dans un combat vraiment contesté, ou basculer plus vite vers une flotte mixte, où quelques appareils habités très haut de gamme pilotent une masse de drones consommables ? Le NGAD n’est probablement pas “mort-né”, mais il est déjà rattrapé par une rupture doctrinale et budgétaire qui pourrait réduire drastiquement son ambition initiale.

Le programme NGAD américain au cœur d’un changement d’époque

À l’origine, le programme NGAD américain (Next Generation Air Dominance) est pensé comme un “système de systèmes” : un avion de combat habité très avancé, accompagné de plateformes non habitées et de capteurs distribués, afin de garantir la supériorité aérienne dans les environnements les plus contestés.

Ce futur chasseur de l’US Air Force, désormais désigné F-47 dans la communication politique américaine, a été attribué à Boeing, avec un contrat de développement évalué à environ 20 milliards de dollars jusqu’en 2029. L’objectif est clair : produire l’avenir du super-chasseur américain, capable de dominer le ciel au-dessus du Pacifique face aux forces aériennes chinoises, tout en redonnant à Boeing une place centrale dans l’aéronautique de défense.

Officiellement, l’US Air Force continue de présenter le NGAD comme le futur chasseur de l’US Air Force et l’ossature de la stratégie aérienne américaine future. Des documents remis au Congrès en 2025 confirment une demande de 2,75 milliards de dollars pour la R&D NGAD, contre 557 millions pour les drones CCA. La ligne politique reste donc : on finance bien un avion habité de nouvelle génération, mais en le pensant dès le départ comme le centre d’un écosystème de drones.

Dans le même temps, l’US Air Force a reconnu que le plan initial de remplacement clair et linéaire des F-22 par le NGAD n’existe plus vraiment. La mise sur pause du volet “combat jet” du programme, puis les hésitations sur le calendrier, ont montré qu’il n’y a plus de trajectoire simple “après F-22, NGAD”.

Le coût du programme NGAD face à des finances sous tension

Le débat prend une tournure polémique dès qu’on regarde le coût du programme NGAD. Plusieurs sources convergent vers une estimation d’environ 300 millions de dollars par avion, soit près du double d’un F-35 et plusieurs fois le prix d’un chasseur de génération précédente.

À cela s’ajoute une enveloppe globale potentielle qui se compte en centaines de milliards de dollars si l’on inclut le développement, la production de l’ordre de 200 appareils, le soutien et le système de drones associés. Des analyses évoquent déjà un total “sur plusieurs décennies” qui pourrait dépasser 2 000 milliards de dollars si l’on cumule NGAD, CCA, B-21, F-35 et missiles stratégiques.

Dans un contexte où le F-35 reste cher à l’heure de vol et où le B-21 Raider absorbe une part croissante du budget, la viabilité du NGAD pour l’aviation américaine est interrogée. Le Pentagone doit arbitrer entre :

  • financer le super-chasseur de sixième génération ;
  • maintenir des flottes existantes (F-22, F-35, F-15EX) ;
  • investir massivement dans les drones intelligents et la défense anti-missiles.

Une revue interne de l’US Air Force publiée fin 2024 a bien confirmé l’intérêt d’un chasseur habité de sixième génération, mais en soulignant la nécessité de calibrer strictement ses coûts et d’envisager des architectures plus distribuées. Autrement dit : le NGAD reste souhaité, mais pas à n’importe quel prix ni dans n’importe quel format.

Le dilemme de fond : un super-chasseur habité ou des essaims de drones ?

Derrière la question “Le NGAD est-il mort-né ?”, il y a une interrogation doctrinale beaucoup plus profonde. Les États-Unis ont longtemps misé sur des avions de supériorité aérienne très coûteux, comme le F-15 puis le F-22, en acceptant d’en acheter peu, mais très capables.

Avec le NGAD, ce modèle atteint sa limite. Un appareil à 300 millions de dollars pose une question simple : engagera-t-on vraiment un tel bijou technologique dans une bulle défensive saturée de missiles sol-air, de radars multi-bandes et de chasseurs adverses équipés de missiles longue portée ?

En parallèle, l’US Air Force avance rapidement sur le programme Collaborative Combat Aircraft (CCA), qui vise à déployer des drones de combat semi-autonomes, moins chers, capables d’accompagner un chasseur habité, de jouer les éclaireurs, de saturer la défense adverse ou d’absorber les coups.

Le pari des drones sacrifiables et des loyal wingmen

Les démonstrations récentes le montrent clairement. En 2025, Anduril a fait voler le YFQ-44A, un drone à réaction conçu comme “loyal wingman” pour accompagner des avions habités dans le cadre du CCA. Quelques mois plus tôt, General Atomics faisait voler le YFQ-42A avec des capacités similaires. Ces plateformes sont pensées dès l’origine comme des effecteurs “sacrifiables”, dont la perte est acceptable en opération.

Dans ce schéma, le chasseur habité devient le chef d’orchestre de plusieurs drones. Il reste précieux mais ne s’expose plus de la même manière, laissant aux drones le rôle d’entrer en premier dans les zones les plus dangereuses, de tester les défenses, voire de mener des attaques suicides contre des systèmes hautement protégés.

La question devient alors crue : investir des centaines de millions dans un avion que l’on hésitera à risquer, est-ce encore cohérent quand un essaim de drones plus modestes peut saturer les défenses pour un coût global inférieur ? C’est exactement là que se cristallise l’abandon possible du NGAD, ou du moins la tentation de le réduire à un nombre limité d’exemplaires, entourés d’une flotte croissante d’effecteurs non habités.

NGAD USA

Le remplacement des F-22 et l’évolution des avions de supériorité aérienne

Le NGAD devait, à l’origine, assurer le remplacement des F-22 par le NGAD de façon relativement linéaire, avec une prise de relais opérationnelle à l’horizon des années 2030. Les choses sont aujourd’hui plus floues. L’US Air Force investit encore des milliards dans la mise à niveau du F-22, qu’elle décrit comme un “pont” vers le futur système NGAD.

Cette prolongation de vie montre que l’évolution des avions de supériorité aérienne ne suit plus la logique simple “nouvelle génération = remplacement mécanique de la précédente”. Le F-22 reste performant, surtout avec des améliorations de capteurs, de liaisons de données et d’armements.

Dans le même temps, le F-35 évolue vers des standards “pilot optional”, avec la perspective de vols partiellement ou totalement autonomes, en lien direct avec des drones de combat. Là encore, on observe une bascule vers un modèle dans lequel l’avion habité n’est plus l’unique vecteur de supériorité, mais une pièce centrale d’un réseau de plateformes hétérogènes.

Dans ce contexte, le super-chasseur de sixième génération NGAD se retrouve pris en tenaille : indispensable pour aller plus loin en furtivité, portée, connectivité et guerre électronique, mais potentiellement surdimensionné si les conflits de demain reposent davantage sur la masse de drones que sur la rareté d’une poignée d’avions d’exception.

La stratégie aérienne américaine future entre symbole politique et contraintes réelles

Le choix de nommer le F-47 en référence au 47e président américain et de confier le contrat à Boeing n’est pas neutre. Le NGAD est aussi un signal politique : réaffirmer le leadership technologique américain, soutenir l’industrie nationale et afficher l’avenir du super-chasseur américain comme un symbole de puissance face à Pékin.

Mais la stratégie aérienne américaine future ne peut pas se résumer à un symbole. Elle doit prendre en compte :

  • la trajectoire de la dette et des taux d’intérêt qui pèsent sur le budget fédéral ;
  • l’augmentation parallèle des coûts du F-35, du B-21 Raider et du missile Sentinel ;
  • la rapidité avec laquelle la Chine, mais aussi des acteurs privés américains, innovent sur les drones et l’autonomie.

Si l’US Air Force s’entête dans un NGAD produit en grande série, elle risque de se retrouver avec un nombre très limité d’avions, difficiles à remplacer et politiquement difficiles à perdre au combat. À l’inverse, si elle bascule trop vite vers le “tout drone”, elle prend le risque de ne pas disposer, à temps, d’une plateforme habitée capable d’imposer sa loi dans les scénarios les plus complexes.

Le débat actuel, parfois caricaturé en “super-chasseur contre essaims de drones sacrifiables”, masque donc une réalité plus nuancée : il s’agit de trouver le bon équilibre entre quelques plateformes habitées ultra-capables et une masse de systèmes non habités plus simples et plus consommables.

Une bascule probable vers un NGAD plus limité et plus intégré aux drones

Les signaux convergent vers un scénario intermédiaire. D’un côté, l’US Air Force continue de financer le développement du moteur adaptatif et de certaines briques technologiques du NGAD, en augmentant même les crédits alloués à ce secteur. De l’autre, elle accélère sur les CCA et multiplie les démonstrations de drones de combat.

Le NGAD comme noyau d’un système distribué

Dans ce modèle, le programme NGAD américain n’est pas abandonné, mais réduit : plutôt qu’une flotte large, l’US Air Force pourrait se contenter d’un noyau de F-47 de très haut niveau, entourés de centaines, voire de milliers de drones effecteurs.

Un tel schéma répondrait mieux aux objections soulevées par le coût du programme NGAD et par la peur politique de “perdre” un appareil à 300 millions de dollars dans un engagement risqué. Le chasseur habité deviendrait un poste de commandement volant, un capteur et un coordinateur, plutôt qu’un “lone wolf” chargé à lui seul d’entrer au cœur des défenses adverses.

Dans cette perspective, la vraie question n’est peut-être plus “Le NGAD est-il mort-né ?”, mais : à quel point le concept initial devra-t-il être allégé, digitalisé et distribué pour rester compatible avec un monde où la masse, la redondance et la capacité de régénération rapide comptent autant que la performance unitaire ?

L’US Air Force joue ici une partie déterminante. Si elle parvient à articuler intelligemment quelques super-chasseurs de sixième génération avec une galaxie de drones sacrifiables, elle conservera un temps d’avance. Si elle s’enferme dans un programme trop coûteux et trop rigide, elle risque de voir la viabilité du NGAD pour l’aviation américaine remise en cause par la réalité budgétaire… et par la brutalité des guerres de haute intensité que le programme est justement censé préparer.

Sources

– Rapport CRS / Congress sur le NGAD et les CCA, 2025.
– Analyses The War Zone et Asia Times sur les coûts estimés (300 M$ par avion) et les arbitrages budgétaires.
– Articles Le Monde, The Aviationist et Washington Post sur l’attribution du F-47 à Boeing dans le cadre du NGAD.
– Articles Defense News, Euro-SD et Breaking Defense sur les revues internes de l’US Air Force et l’avenir du chasseur habité de sixième génération.
– Déclarations et analyses sur le F-22, le rôle de “pont” vers le NGAD et les perspectives de remplacement.
– Informations Reuters et autres sources sur les programmes CCA, YFQ-44A, YFQ-42A et les évolutions vers des drones loyal wingman.

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