Le projet de EU Space Act provoque critiques américaines : risques sur l’innovation, coûts pour les opérateurs non-européens et seuil « giga-constellation ».
En Résumé
La Commission européenne a dévoilé le 25 juin 2025 une proposition de règlement spatial, l’EU Space Act, visant à harmoniser les régulations des activités spatiales dans l’Union européenne. Cependant, ce projet suscite un vif courroux de la part des États-Unis et des entreprises américaines, qui estiment que certaines dispositions — notamment la définition d’une « giga-constellation » (plus de 1 000 satellites) — pourraient imposer des charges réglementaires excessives, écarter les opérateurs américains et freiner l’innovation. Face à ces objections, la procédure législative européenne suit son cours : plus de 120 commentaires publics ont été reçus, et un vote est envisagé à l’été 2026.
Le contenu et les ambitions de l’EU Space Act
La proposition de règlement s’articule autour de trois piliers : la sécurité, la résilience et la durabilité des activités spatiales.
- Sur la sécurité, l’acte introduit des obligations d’autorisation et d’enregistrement des activités spatiales, incluant les opérateurs non-européens fournissant des services sur le marché intérieur de l’UE.
- Sur la résilience, il impose des exigences de cybersécurité et de continuité d’activité aux infrastructures spatiales critiques, dans un contexte de menaces accrues.
- Sur la durabilité, le texte prévoit que les opérateurs évaluent et réduisent l’impact environnemental de leurs lancements et activités en orbite, notamment la réduction des débris spatiaux.
La portée est vaste : le règlement couvrirait tous les opérateurs spatiaux fournissant des services dans l’UE, qu’ils soient européens ou non. Une estimation du document d’analyse de la commission prévoit une mise en œuvre à compter du 1ᵉʳ janvier 2030, avec une période transitoire de deux ans.
Du point de vue du marché, l’UE identifie que la fragmentation actuelle des règles nationales (13 législations distinctes selon la commission) représente un « frein à l’essor d’un marché unique de l’espace européen ». Le régulateur espère ainsi stimuler les opérateurs privés, notamment les PME et les start-ups, en allégeant les formalités administratives. Toutefois, c’est précisément ce volet qui soulève le malaise outre-Atlantique.
Les critiques américaines et le seuil « giga-constellation »
L’un des points les plus litigieux est la définition d’une « giga-constellation », fixée à un réseau spatial de plus de 1 000 satellites. Cette catégorie vise à encadrer les constellations à très grand nombre de satellites dans l’orbite basse (LEO) et mettre en place des obligations spécifiques de sécurité et de traçabilité.
Les États-Unis considèrent que cette définition cible de facto leurs opérateurs massifs, tels que SpaceX avec sa constellation Starlink, qui compte déjà plus de 8 000 satellites, ou Amazon ou ses projets de milliers de satellites. Le département d’État américain a formulé des commentaires formels au début de novembre 2025, soulignant que la rédaction actuelle « pourrait s’appliquer à des activités de défense ou d’agences européennes telles que l’ESA ou EUMETSAT ».
Les objections américaines portent sur plusieurs axes :
- le coût de conformité (charges pour les opérateurs non-européens) ;
- le manque de clarté sur la reconnaissance mutuelle des régulations nationales et européennes ;
- le risque que les règles européennes s’imposent à des opérateurs non-européens de facto ;
- l’inquiétude qu’un tel cadre ralentisse l’innovation et l’investissement dans le secteur spatial international.
Par exemple, la US Chamber of Commerce a dénoncé des « coûts excessifs de conformité » qui pourraient « ralentir les investissements et le déploiement de services en Europe ».
Chiffres et tendances du marché spatial européen et mondial
L’industrie spatiale mondiale connaît une forte croissance. Selon l’analyse de l’European Parliamentary Research Service, le nombre de satellites lancés chaque année a été multiplié par cinq depuis 2010, avec plus de 8 000 satellites en orbite active début 2025. Le problème des débris spatiaux est majeur : la Commission européenne évoquait « plus de 128 millions de fragments » en orbite basse.
En Europe, le lancement du programme IRIS² (Infrastructure for Resilience, Interconnectivity and Security by Satellite) illustre l’ambition continentale : 290 satellites multi-orbites pour un budget initial d’environ 10 milliards d’euros.
Ce contexte de forte intensification rend l’intervention réglementaire « en temps réel » nécessaire selon Bruxelles. Toutefois, pour les acteurs internationaux, cela signifie aussi un environnement de conformité plus lourd. Le marché européen est estimé à plus de €12 milliards par an pour les services spatiaux et les infrastructures, et la Commission estime que la création d’un cadre unique pourrait générer un gain de compétitivité de l’ordre de +15 % pour l’industrie européenne.

Conséquences pour les entreprises américaines et les partenariats transatlantiques
Pour les entreprises américaines du secteur spatial, le texte pose trois conséquences majeures :
- adaptation réglementaire : un opérateur américain souhaitant fournir des services à des clients européens pourrait devoir se conformer aux obligations de l’UE, ce qui accroît les coûts et modifie la stratégie d’accès au marché ;
- investissement stratégique : la perspective d’un encadrement plus strict peut rehausser le risque perçu, ralentir les levées de fonds ou freiner l’implantation de satellites en Europe ;
- coopération technologique et sécuritaire : les États-Unis craignent que l’applicabilité de l’acte aux activités de souveraineté ou d’agence européenne n’affecte les relations transatlantiques, les programmes communs et la chaîne d’approvisionnement partagée.
Les partenariats entre l’UE et les États-Unis dans le domaine spatial — par exemple au sein de l’OTAN ou via l’ESA — pourraient être compliqués par des divergences normatives. Le dialogue était ouvert lors du 13ᵉ dialogue espace UE-États-Un en septembre, selon la Commission.
Pour les entreprises européennes, l’enjeu est double : d’un côté, bénéficier d’un marché régulé, harmonisé, et d’un soutien à l’innovation ; de l’autre, éviter que la régulation devienne un frein face à des concurrents mondiaux. Un équilibre que devront trouver les législateurs européens.
Enjeux pour l’innovation spatiale et la souveraineté européenne
L’EU Space Act n’est pas seulement un cadre économique et industriel : il traduit une ambition géopolitique. L’UE entend construire une autonomie stratégique ouverte, c’est-à-dire participer à un leadership technologique tout en maintenant l’ouverture aux partenaires non-européens.
En harmonisant les règles pour les activités spatiales, l’UE veut éviter la complexité actuelle où chaque État impose ses propres normes, ce qui freine les innovations de type lancement rapide de microsatellites, services orbitaux, removal de débris.
Cependant, une régulation trop lourde risque d’être contre-productive. Comme l’a souligné un diplomate américain, « on ne peut pas réguler son chemin vers la supériorité technologique ». Si l’objectif est louable, la mise en œuvre pose des questions majeures : comment concilier sécurité, innovation rapide, investissement privé et compétition globale ?
Perspectives et étapes législatives à venir
La procédure législative européenne avance. Le rapport de la EPRS (European Parliamentary Research Service) indique que le projet de règlement (COM(2025) 335) a été transmis au Parlement et que le vote pourrait avoir lieu à l’été 2026.
En parallèle, en novembre 2025, la Commission a reçu près de 120 contributions publiques. Le Danemark, qui assure la présidence tournante du Conseil de l’UE, vise une version révisée du texte avant la fin de son mandat en décembre 2025.
Trois scénarios peuvent être envisagés :
- Une version amendée répondant aux critiques transatlantiques, notamment sur la mutualisation des régulations et la reconnaissance mutuelle des normes.
- Un texte durci, renforçant les obligations pour les opérateurs non-européens, ce qui pourrait provoquer un retrait d’opérateurs américains ou un ralentissement des services vers l’Europe.
- Une transition longue, avec certaines règles différées pour les grands acteurs, mais un signal fort envoyé à l’industrie.
Dans tous les cas, l’acte fera office de référence réglementaire majeure dans le secteur spatial pour la prochaine décennie.
Réflexions franches : un équilibre difficile à trouver
Le projet de l’EU Space Act illustre la tension entre sécurité/regulation et innovation/liberté entrepreneuriale. D’un côté, l’UE peut légitimement vouloir protéger ses infrastructures critiques, éviter que l’orbite ne devienne un Far West spatial, limiter les débris et renforcer sa souveraineté. De l’autre côté, imposer des normes trop strictes ou trop précoces peut ralentir l’entrée en marché de nouveaux acteurs, gonfler les coûts et donner un avantage aux zones moins réglementées.
Pour les entreprises américaines, le sentiment est que l’UE cherche à protéger son industrie spatiale par des barrières de conformité, ce qui crée une atmosphère de méfiance. Pour les entreprises européennes, l’heure est à la vigilance : une régulation harmonisée est indispensable, mais elle ne doit pas devenir un frein à la compétitivité. Le véritable enjeu est de réussir à réguler sans immobiliser, à encadrer sans étouffer.
Dans un monde où les constellations se multiplient, où les missions spatiales commerciales foisonnent et où la géopolitique s’installe en orbite, l’arrivée de l’EU Space Act marque un tournant. Il appartient maintenant aux législateurs de faire en sorte que cette législation devienne un accélérateur — et non un frein.
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