Le Tejas en jeu : l’accord Inde–Brésil est-il crédible ?

HAL TEJAS MK1

Le HAL Tejas intéresse le Brésil, sur fond d’échanges possibles avec le C-390 Millennium. Où en sont les faits, les chiffres et les enjeux industriels ?

En résumé

Le HAL Tejas revient au centre du jeu export avec des informations faisant état d’échanges possibles entre l’Inde et le Brésil : Brasilia étudierait l’acquisition de Tejas Mk1A (et d’hélicoptères LCH) en miroir d’un achat indien du C-390 Millennium pour le programme de transport moyen. Les signaux officiels sont prudents : si Embraer et Mahindra ont signé le 17 octobre 2025 un accord de coopération pour promouvoir le C-390 en Inde, des responsables brésiliens ont nié, le 18 octobre, l’existence d’un « swap » formel conclu. En toile de fond, la Força Aérea Brasileira doit retirer ses F-5M et compléter sa flotte de Gripen E/F, tandis que l’Indian Air Force cherche une solution moderne et industrialisable pour remplacer ses avions de transport moyens. Techniquement, le Tejas Mk1A (AESA, guerre électronique unifiée, 8 points d’emport, Mach 1,6) colle au besoin d’un “second chasseur” léger. Industriellement, l’affaire serait un levier d’offsets et de contenus locaux des deux côtés. Rien n’est signé, mais le cadre stratégique, technique et industriel rend le scénario plausible, sous réserve de finances, de calendriers moteurs/radars et d’alignement politique.

La rumeur d’un accord d’échange Inde–Brésil, où en est-on ?

Les « discussions d’échange » Inde–Brésil ont émergé en 2024 et ont repris de l’ampleur en septembre–octobre 2025 : plusieurs médias spécialisés ont évoqué un schéma où l’Inde retiendrait le C-390 Millennium d’Embraer pour son programme de Medium Transport Aircraft, tandis que le Brésil acquerrait des Tejas Mk1A pour remplacer ses F-5M vieillissants, voire compléter le Gripen E/F déjà commandé. Le 17 octobre 2025, un jalon concret a été posé : Embraer Defense & Security et l’indien Mahindra ont signé un accord de coopération pour promouvoir et industrialiser le C-390 en Inde, avec l’ambition de faire du pays une base régionale du programme. Le lendemain, des responsables brésiliens ont toutefois rejeté l’idée qu’un « swap deal » ait été conclu ou présenté tel quel lors des rencontres officielles à New Delhi. En clair : il existe des pourparlers et un cadre industriel sérieux, mais pas d’annonce de contrat réciproque et simultané.

Le contexte stratégique qui rend l’affaire plausible

Côté brésilien, la Força Aérea Brasileira (FAB) modernise sa chasse autour de 36 Gripen E/F (F-39) livrables jusqu’au début des années 2030. Les F-5EM/FM doivent être retirés d’ici la fin de la décennie et les A-1M (AMX) s’éteignent progressivement. Un chasseur léger polyvalent, peu coûteux à l’heure de vol, pourrait jouer le rôle de « second échelon » pour la police du ciel et l’entraînement avancé armé, libérant les Gripen pour les missions de supériorité et d’interdiction avec missiles Meteor/IRIS-T. La FAB a d’ailleurs reconnu en 2024 l’examen de « plateformes complémentaires ».

Côté indien, l’Indian Air Force doit renouveler son parc de transport tactique et opératif. Le C-390 affiche une charge utile d’environ 26 t, une vitesse de croisière élevée (turbofan), un avionique moderne et un coût d’exploitation compétitif par rapport au C-130H/J. L’accord Embraer–Mahindra donne un véhicule industriel crédible pour une sélection en Inde (localisation, offsets, maintenance, chaîne d’approvisionnement). De plus, l’Inde a sécurisé en 2025 un second grand lot domestique de Tejas Mk1A (97 appareils), confirmant la pérennité du programme et la montée en cadence de HAL—un signal positif pour tout client export.

Le profil technique du Tejas Mk1A qui intéresse Brasilia

Le Tejas Mk1A est un chasseur léger multirôle, monoplace, aile delta, de génération « 4,5 », motorisé par un GE F404-IN20. Il atteint Mach 1,6, opère jusqu’à 15 200 m et embarque une suite AESA (EL/M-2052 ou Uttam) et une guerre électronique unifiée (UEWS) avec brouilleur externe. Huit points d’emport accueillent environ 4 t d’armements (Astra BVRAAM, ASRAAM, bombes guidées, pods de désignation). Le rayon d’action typique de combat se situe autour de 500 km, extensible via ravitaillement en vol. Pour la FAB, qui couvre un espace aérien continental et maritime immense, ce profil correspond bien aux missions de police du ciel, d’attaque légère, de dissuasion ponctuelle en Amazonie et d’interception à coût contenu.

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Les chiffres qui comptent pour l’évaluation

  • Vitesse max : Mach 1,6 (≈ 1 975 km/h), plafond 50 000 ft (15 240 m).
  • Rayon de combat typique : ~ 500 km (ravitaillable).
  • Emports : 8 points pour ≈ 4 000 kg.
  • Radar : AESA (EL/M-2052 ou Uttam en montée en puissance).
  • Guerre électronique : UEWS avec brouillage DRFM et RWR intégré.

Ces paramètres placent le Tejas comme alternative crédible à d’autres « light fighters » pour des forces souhaitant un mix haute/« moyenne » intensité aux côtés d’un chasseur plus lourd ou plus coûteux à l’heure de vol.

Les besoins de la Força Aérea Brasileira et l’articulation possible

La FAB opère déjà au standard OTAN sur plusieurs volets (liaisons de données, munitions guidées, ISR) et mène une transformation doctrinale avec le Gripen E/F (capteurs modernes, Meteor, survivabilité). Un Tejas Mk1A brésilien jouerait le rôle de « chasseur de complément » :

  • Police du ciel sur bases secondaires, avec coûts opérationnels plus faibles.
  • Formation avancée armée et conversion opérationnelle, tout en restant combat-proven si besoin.
  • Couverture des régions peu denses (Nord/Nord-Ouest) et renforcement ponctuel des détachements.

Sur le plan industriel, un montage partiel ou une MRO locale (Gavião Peixoto) pourraient s’inscrire dans la politique brésilienne d’autonomie technologique, tandis que l’Inde pousserait du contenu Make in India (ensembles de structure, câblage, pièces composites), créant un flux croisé de valeur. La question du standard radar (Uttam vs EL/M-2052) et de la guerre électronique (UEWS vs solutions israéliennes) restera centrale pour l’interopérabilité et la souveraineté.

Le volet transport : ce que le C-390 apporterait à l’Indian Air Force

Le C-390 Millennium (KC-390 en version ravitailleuse) combine une charge utile ~26 t, une soute modulable, une vitesse de transit supérieure (turbofan) et des capacités d’aérolargage/MEDEVAC/évacuation. Huit appareils étaient livrés à la FAB au début octobre 2025 sur 19 commandés, avec une flotte totalisant plus de 14 000 heures. Pour l’Inde, qui doit remplacer des An-32 vieillissants et optimiser la logistique stratégique, l’avion brésilien se positionne face aux solutions existantes (C-130J, A400M, Il-76 modernisé). L’accord Embraer–Mahindra vise explicitement l’industrialisation locale et la création d’un hub régional—un atout décisif dans un appel d’offres où le contenu local pèse lourd.

Les transferts de technologie et les offsets, nerf de la guerre

Ni Delhi ni Brasilia ne s’engageront sans retours industriels tangibles. Côté indien, Embraer et Mahindra ont annoncé des plans de localisation (chaîne logistique, MRO, outillages, formation), qui crédibilisent une sélection du C-390 à condition d’aligner volumes, calendrier et financements. Côté brésilien, l’attrait du Tejas tient à la possibilité d’un package : intégration de sous-ensembles au Brésil, maintenance lourde chez Embraer, et accès à certaines briques (composites, avionique, logiciels mission) dans un cadre gouvernemental à gouvernemental. Le calibrage de ces offsets déterminera la balance finale.

Les risques et inconnues qui pèsent encore

  • Narratif « swap » vs réalité contractuelle : des démentis officiels brésiliens ont rappelé qu’aucun « troc » n’est acté. Plus probable : deux décisions séparées, politiquement coordonnées, mais juridiquement indépendantes.
  • Calendriers moteurs : les livraisons de F404 ont connu des retards, désormais en voie de stabilisation (cadence visée : deux moteurs/mois). La montée en cadence de HAL conditionne aussi la crédibilité export.
  • Électronique embarquée : la part exacte d’Uttam AESA et d’équipements importés (radar/SEP) reste un sujet, autant pour la disponibilité que pour la souveraineté et les licences d’export.
  • Capacité budgétaire : l’Inde vient d’autoriser l’achat de 97 Mk1A ; côté FAB, toute décision « second chasseur » supposera un cadrage financier pluriannuel alors que les Gripen continuent d’arriver.
  • Alternatives : le Brésil garde des options (poursuite du tout-Gripen, marché d’occasion, F-16/Block 70, modernisations ponctuelles), tandis que l’Inde évalue aussi d’autres solutions logistiques pour le segment transport.

La valeur militaire d’un tandem Tejas–Gripen pour le Brésil

Un parc mixte Gripen E/F + Tejas Mk1A donnerait à la FAB une architecture à deux étages :

  • un étage « premium » de supériorité et de pénétration (capteurs, Meteor, guerre en réseau),
  • un étage « léger » de présence, d’alerte et d’appui, agile et soutenable, utile pour l’entraînement opérationnel armé, la police du ciel et la couverture territoriale étendue.

Ce schéma, déjà éprouvé dans d’autres forces aériennes (mix d’un chasseur lourd/moyen avec un appareil léger), optimise le ratio effets/coûts à l’heure de vol. Il faciliterait aussi la gestion des heures cellule des Gripen, préservant la disponibilité pour les missions de pointe.

La portée géopolitique d’un accord croisé

Au-delà des avions, l’affaire signifierait un approfondissement de la coopération Sud–Sud : l’Inde exporterait un système de combat complet (aéronef, munitions, formation), pendant que le Brésil étendrait la base globale du C-390 Millennium en Asie. Les deux industriels nationaux—HAL et Embraer—y gagneraient en références et en effet d’échelle. Pour New Delhi, vendre le Tejas à un pays G20 serait un marqueur de confiance internationale et un accélérateur de parts « indigènes » sur Tejas Mk1A et Mk2. Pour Brasilia, obtenir une implantation du C-390 en Inde—marché et hub industriel—serait un multiplicateur durable.

Une issue encore ouverte, mais structurée

À ce stade, les éléments officiels disent : coopération Embraer–Mahindra en place, besoin indien réel en transport, intérêt brésilien pour un « second chasseur », mais aucun contrat d’échange signé. Les prochaines étapes seront politiquement et industriellement déterminantes : choix du transport moyen par l’Inde, clarification brésilienne sur le format de remplacement des F-5M, arbitrages radars/contre-mesures sur Tejas, et garanties de cadence moteurs. Si ces curseurs s’alignent, l’équation Tejas–C-390 pourrait devenir un game changer—moins par le « troc » que par la création d’une chaîne de valeur bilatérale solide, visible et réplicable.

Sources

– Reuters, « Embraer et Mahindra signent un accord pour promouvoir le C-390 en Inde », 17 octobre 2025.
– BharatShakti, « Pas d’accord de swap sur des avions de combat ou missiles, selon des responsables brésiliens », 18 octobre 2025.
– The Defense Post, « India, Brazil Weigh Barter Deal for Military Aircraft », 7 octobre 2025.
– Air Data News / Zona Militar, « Positionnement du KC-390 pour l’Inde ; évaluations brésiliennes incluant le Tejas », 8 octobre 2025.
– Saab, « The Brazilian Air Force has ordered 36 Gripen E/F », consulté en 2025.
– Wikipedia (HAL Tejas ; C-390 Millennium ; List of active Brazilian military aircraft), fiches techniques et inventaires, versions consultées en 2025.
– The Economic Times / Times of India, « Accord indien pour 97 Tejas Mk1A ; relance des livraisons F404 », août–septembre 2025.

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