Le Royaume-Uni et l’Allemagne unis pour créer un missile de frappe longue portée

Le Royaume-Uni et l'Allemagne unis pour créer un missile de frappe longue portée

Londres et Berlin développent un missile de précision de 2 000 km pour renforcer la dissuasion européenne face aux menaces russes.

Le Royaume-Uni et l’Allemagne ont annoncé le lancement conjoint du développement d’une arme de frappe de précision à longue portée capable d’atteindre 2 000 kilomètres, soit de couvrir Moscou depuis l’Europe de l’Ouest. L’initiative s’inscrit dans le cadre du pacte de défense Trinity House Agreement signé en 2024, et intervient dans un contexte de déséquilibre stratégique croissant face à la Russie, dont les capacités balistiques terrestres surpassent celles de l’ensemble des membres européens de l’OTAN. L’architecture exacte du missile reste indéterminée — balistique ou de croisière —, mais son objectif est clair : assurer la projection de puissance à longue distance tout en renforçant l’autonomie stratégique européenne. Aucun calendrier de mise en service n’a encore été communiqué, mais l’ambition est de livrer un système opérationnel dans les années 2030.

Une réponse directe aux lacunes stratégiques européennes

Le programme annoncé à Berlin par les ministres de la Défense Boris Pistorius (Allemagne) et John Healey (Royaume-Uni) constitue la première coopération bilatérale anglo-allemande d’envergure dans le domaine des missiles longue portée. Il vise à combler une carence capacitaire flagrante au sein de l’OTAN en Europe : aucun État européen, hormis la Turquie, ne dispose actuellement d’un missile terrestre conventionnel dépassant les 300 kilomètres de portée.

Face à une Russie déployant de manière intensive des missiles balistiques Iskander, des missiles de croisière Kalibr et des vecteurs aériens à longue portée, la nécessité d’une réponse symétrique devient urgente. Ce nouveau programme viserait à permettre :

  • des frappes à plus de 2 000 kilomètres,
  • depuis le territoire britannique ou allemand,
  • avec une précision supérieure aux systèmes actuels comme le Storm Shadow britannique (portée de 560 km).

L’idée d’un missile capable d’atteindre Moscou depuis l’Europe de l’Ouest marque une rupture doctrinale significative.

Missile balistique ou missile de croisière : les deux voies possibles

Le format exact du futur système de frappe profonde n’a pas été arrêté. Deux options sont à l’étude :

  • un missile de croisière longue portée, inspiré des Tomahawk américains, avec capacité furtive, navigation autonome et trajectoire subsonique ou hypersonique ;
  • ou un missile balistique terrestre, plus rapide, difficilement interceptable mais plus visible à la détection.

Les défis techniques liés à ces choix sont majeurs. Le Royaume-Uni n’a pas développé de missile balistique terrestre depuis les années 1960, et l’Allemagne n’en a jamais conçu. En revanche, les deux pays disposent de plates-formes de lancement compatibles, notamment les Typhoon, les sous-marins d’attaque britanniques, ou les frégates allemandes Type 127, équipées de silos verticaux Mk 41, déjà compatibles avec le Tomahawk.

Un missile embarqué sur navire ou sous-marin pourrait donc être privilégié, offrant une flexibilité stratégique, en particulier pour des missions en Baltique ou en Méditerranée.

Le Royaume-Uni et l'Allemagne unis pour créer un missile de frappe longue portée

Une ambition industrielle et militaire ancrée dans l’accord Trinity House

Ce développement s’inscrit dans le Trinity House Agreement, signé en octobre 2024, qui vise à intensifier la coopération industrielle de défense entre Londres et Berlin. D’autres projets y sont associés :

  • la coproduction des torpilles Sting Ray pour les avions de patrouille maritime P-8 Poseidon ;
  • la fabrication conjointe des véhicules blindés Boxer au Royaume-Uni ;
  • l’implantation d’une usine de canons d’artillerie au Royaume-Uni ;
  • une intégration renforcée des systèmes de défense aérienne pour contrer les menaces balistiques.

Le missile de frappe de précision représente le volet le plus ambitieux de cet accord. Il symbolise la volonté de doter l’Europe de l’Ouest d’une capacité autonome de dissuasion conventionnelle face aux systèmes russes.

Une compétition stratégique avec la Russie post-INF

La fin du traité INF (Intermediate-Range Nuclear Forces) en 2019 a libéré le développement de missiles terrestres de portée intermédiaire (500 à 5 500 km). Les États-Unis accusent la Russie d’avoir violé ce traité via le 9M729 (SSC-8). Depuis, l’Europe se retrouve sans cadre juridique restrictif pour le développement de telles armes, ouvrant la voie à une nouvelle course à la portée.

La Russie aligne :

  • des missiles balistiques Iskander-M (500 km),
  • des Kalibr embarqués (jusqu’à 2 500 km),
  • et des missiles hypersoniques Kinjal, pouvant atteindre 2 000 km à Mach 10.

L’initiative germano-britannique vise à réduire cet écart technologique et opérationnel, notamment dans les scénarios de défense balte ou d’endiguement en mer Noire.

Une potentielle composante nucléaire en arrière-plan

Le projet ne précise pas la nature de l’ogive, mais une capacité nucléaire latente n’est pas à exclure, notamment si le système devait contribuer à la dissuasion stratégique européenne.

Actuellement :

  • Le Royaume-Uni dispose de l’arme nucléaire, via ses sous-marins Trident II D5, équipés d’ogives nucléaires britanniques.
  • L’Allemagne ne possède pas l’arme nucléaire, mais participe au partage nucléaire de l’OTAN, avec les bombes B61 américaines.

Dans un contexte de remise en question du parapluie nucléaire américain, certains dirigeants allemands ont évoqué, depuis 2023, la nécessité de réexaminer la doctrine nucléaire européenne, potentiellement en coopération avec la France ou le Royaume-Uni.

Le missile de frappe profonde pourrait donc, à terme, intégrer une option duale (conventionnelle ou nucléaire), bien que cela ne soit pas officiellement confirmé.

Calendrier et coordination européenne élargie

Le missile anglo-allemand devrait entrer en service dans les années 2030, selon le Ministère britannique de la Défense. Il s’articulera possiblement avec l’initiative ELSA (European Long-Range Strike Approach), lancée en 2024 par la France, l’Allemagne, l’Italie et la Pologne, et rejointe ensuite par la Suède et le Royaume-Uni.

ELSA vise également à développer un missile terrestre de 1 000 à 2 000 km, avec des objectifs comparables. Les deux programmes pourraient être fusionnés ou coordonnés pour éviter des duplications industrielles.

L’enjeu est aussi économique : développer un tel missile permettrait :

  • de stimuler la base industrielle de défense européenne,
  • de créer des emplois qualifiés,
  • et de réduire la dépendance à l’industrie américaine.

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