Sans SCAF, Dassault peut-il financer seul un chasseur 6e gen ?

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SCAF incertain : Dassault peut-il lancer un chasseur de 6e génération, à quel budget, et avec quels financements nationaux ou européens ?

En résumé

Le risque d’un SCAF qui s’enlise pose une question simple : que fait la France si l’avion de combat de 6e génération “européen” n’arrive pas ? Dassault Aviation dispose d’une trésorerie élevée et d’un carnet de commandes Rafale solide, mais cela ne remplace pas un budget d’État. Le Rafale, surtout au standard F5, peut prolonger la crédibilité française jusqu’aux années 2030, avec une logique de combat collaboratif et de dissuasion. Mais franchir le cap du 6e génération impose un effort financier de long terme, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards d’euros pour la France si elle porte seule la plateforme. La question n’est donc pas “Dassault peut-il payer ?”, mais “qui paie, quand, et pour quelle autonomie ?”. Les fonds européens peuvent aider sur des briques technologiques, pas financer un programme complet. Face au F-35, au Tempest et au NGAD, le vrai risque est un avion pertinent, mais trop tardif.

Le choc d’un SCAF qui échoue et la question posée à la France

L’hypothèse d’un SCAF qui ne se fait pas change l’équation sans la simplifier. Elle retire un cadre multinational, mais elle ne retire pas le besoin. La France doit garder une capacité de supériorité aérienne, de frappe dans la profondeur, et de pénétration face à des défenses modernes. Elle doit aussi conserver une trajectoire crédible pour la dissuasion nucléaire aéroportée. Et elle doit le faire dans un environnement où les standards de connectivité, de fusion de données et de guerre électronique montent vite.

Dans ce scénario, deux réflexes apparaissent. Le premier est de prolonger le Rafale F5 plus loin, en le faisant évoluer jusqu’à un “Rafale++”. Le second est de lancer un successeur national, même si la marche est haute. Les deux peuvent coexister. Mais ils n’ont pas la même logique budgétaire. Prolonger une plateforme existante coûte cher, mais reste maîtrisable. Créer un nouvel avion de combat de A à Z engage une génération de crédits.

Ce qui est rarement dit clairement est simple : sans SCAF, la France ne peut pas “attendre et voir”. Le temps industriel d’un avion de combat est long. Un trou capacitaire se prépare dix à quinze ans avant.

La réalité financière de Dassault Aviation et ce qu’elle autorise

Un trésor de guerre qui n’est pas un budget de programme

Dassault affiche des chiffres impressionnants. À fin juin 2025, l’entreprise revendique environ 48,3 milliards d’euros de carnet de commandes et une “available cash” de 9,547 milliards d’euros. Sur le papier, cela ressemble à un matelas idéal pour investir.

Dans les faits, ce n’est pas une cagnotte libre. Une partie significative de cette trésorerie vient d’acomptes clients. Elle finance l’exécution des contrats, les stocks, la montée en cadence, et la stabilité de la chaîne. La preuve est dans les indicateurs : les encours industriels et les avances progressent quand la production accélère. Si Dassault brûle trop de cash, il dégrade sa capacité à livrer, donc sa crédibilité export, donc la source même de sa solidité.

Il faut donc distinguer “capacité à investir” et “capacité à financer un programme souverain”. La première est réelle. La seconde dépasse l’échelle d’une seule entreprise, même très rentable.

Un effort R&D solide, mais trop faible pour un saut de génération

En 2024, les dépenses de R&D de Dassault sont d’environ 437 millions d’euros. Sur le premier semestre 2025, elles sont autour de 182 millions d’euros. C’est significatif à l’échelle d’un avion d’affaires ou d’un standard Rafale. Ce n’est pas l’échelle d’un avion de combat de rupture.

Un chasseur de sixième génération n’est pas seulement un avion. C’est aussi une architecture de capteurs, des liaisons, une suite de guerre électronique, des effecteurs connectés, et une méthode de développement numérique. La facture est systémique. Si la France veut un programme complet, l’effort annuel se compte plutôt en milliards, pas en centaines de millions.

Dit autrement : Dassault peut cofinancer, absorber des risques, préfinancer des briques. Mais Dassault ne peut pas porter seul la charge d’un programme national équivalent à ce que vise le SCAF.

Le Rafale comme plancher technologique et industriel

Le standard F5 et l’UCAV comme accélérateur crédible

Si SCAF cale, le Rafale devient le pivot. Le standard F5, annoncé comme un saut capacitaire, vise précisément ce que recherche le “combat de demain” : plus de connectivité, plus de coopération homme-machine, et une intégration renforcée avec des drones d’accompagnement. Le débat n’est pas de savoir si cela “fait du Rafale un 6e gen”. Cela n’en fait pas un appareil furtif de conception nouvelle. Mais cela peut faire du Rafale un nœud de réseau efficace, donc dangereux, surtout si l’aviation française conserve une excellente chaîne entraînement–doctrine–munitions.

Ce point est stratégique pour Dassault. Un Rafale qui reste compétitif attire des exportations. Or l’export finance la profondeur industrielle, donc la capacité à préparer l’après-Rafale.

La dissuasion et la navalisation, des exigences qui durcissent le cahier des charges

La France a des contraintes que peu de pays cumulent. La mission nucléaire impose des exigences de sûreté, de certification, d’intégration de missile et de continuité de posture. La composante embarquée impose des contraintes sévères sur la structure, le train, l’approche, et la robustesse.

Ces contraintes rendent un successeur plus coûteux. Elles rendent aussi la coopération plus difficile, parce que tous les partenaires n’ont pas les mêmes besoins. Si SCAF échoue précisément sur ces divergences, un programme national français devra, lui, les assumer pleinement. C’est réaliste. Mais il faut accepter la facture.

Un avion de chasse de 6ème génération “Dassault seul” : pertinent ou trop tard ?

Face au F-35, la compétition se joue sur la masse et le réseau

Le F-35 est aujourd’hui un standard d’interopérabilité et de partage de données. Il a aussi un avantage structurel : la masse de la flotte et la standardisation. Un futur avion français ne battra pas cela par le volume.

La question de pertinence devient donc : peut-il offrir un différentiel qualitatif. Cela passe par la guerre électronique, la survivabilité, la portée, l’intégration avec des drones, et la capacité à tenir dans un environnement contesté sans dépendre d’une chaîne américaine. Sur ce terrain, une France qui maîtrise sa pile technologique peut rester très crédible, surtout si elle accepte une logique “système” plutôt que “seulement avion”.

Face au Tempest/GCAP, le facteur calendrier devient cruel

Le programme britannique-japonais-italien vise une entrée en service au milieu des années 2030. Le Royaume-Uni a, à lui seul, communiqué sur plus de 2 milliards de livres sterling investis jusqu’à 2025 sur la phase amont. Même si les chiffres sont incomplets et évolutifs, ils illustrent un fait : les concurrents financent tôt, donc ils apprennent tôt.

Si la France attend 2026 pour trancher, puis relance un programme national, elle prend le risque d’un avion qui arrive après 2040, donc après le pic de renouvellement européen. Dans ce cas, il sera pertinent techniquement, mais compliqué commercialement. Le marché aura déjà “choisi” ailleurs.

Face au NGAD, la barrière budgétaire est le vrai mur

Les États-Unis ont des ordres de grandeur sans équivalent en Europe. Les demandes budgétaires annuelles pour NGAD et l’ampleur des contrats annoncés montrent une capacité à absorber des risques financiers majeurs. Ce n’est pas une question de talent d’ingénierie. C’est une question d’échelle.

Une France seule ne fera pas un NGAD “à l’américaine”. Elle peut faire autre chose. Elle peut viser un équilibre entre furtivité, autonomie opérationnelle, coopération avec drones, et coût soutenable. C’est parfois plus intelligent que de copier un modèle hors de portée.

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Le budget plausible et la question du payeur

Des ordres de grandeur européens qui donnent le vertige

Les estimations publiques autour du SCAF varient, mais elles se comptent en dizaines de milliards. Des travaux parlementaires évoquent des coûts totaux de 50 à 80 milliards d’euros, et d’autres sources montent à 100 milliards d’euros et plus. Même si ces chiffres mélangent développement, industrialisation et soutien, ils indiquent le niveau de complexité.

Si SCAF disparaît, la France ne récupère pas une “part” à payer. Elle récupère une responsabilité. Pour un programme national, l’ordre de grandeur reste massif. Un scénario réaliste serait un effort cumulé de 20 à 40 milliards d’euros pour la France sur quinze à vingt ans, selon le périmètre exact, le niveau de rupture, et le degré d’ouverture à des partenaires.

La facture annuelle et la contrainte de calendrier

Un tel effort correspond à environ 1 à 2,5 milliards d’euros par an sur la durée. Ce n’est pas impossible dans un pays qui dépense plus de 60 milliards d’euros par an pour la défense. Mais ce n’est pas neutre. Cela impose des arbitrages face à la défense sol-air, aux munitions, au spatial, aux drones, et à la préparation opérationnelle.

Et c’est ici que la réponse devient franche : Dassault ne “décidera” pas seul. Sans engagement pluriannuel ferme de l’État, aucun industriel ne peut immobiliser une décennie de ressources critiques sur un pari de 6e génération.

Les fonds européens : aide utile, mais pas substitut

Les subventions EDF et EDIP financent des briques, pas un avion complet

L’Union européenne dispose d’outils réels. Le European Defence Fund pèse environ 8 milliards d’euros sur 2021-2027. Les appels annuels se situent autour du milliard. L’EDIP, adopté pour 2025-2027, ajoute 1,5 milliard d’euros en subventions.

Ces montants comptent. Ils peuvent financer des capteurs, des matériaux, de l’IA embarquée, des communications, des démonstrateurs. Ils ne peuvent pas financer un programme complet d’avion de combat. Ce n’est pas une critique. C’est la taille du chèque.

Les prêts SAFE et la BEI peuvent aider l’industrialisation, pas tout le développement

L’Europe bouge aussi sur le financement par prêts. Le mécanisme SAFE, à 150 milliards d’euros, est conçu pour faciliter l’acquisition et la production, avec des maturités longues. La Banque européenne d’investissement augmente aussi ses enveloppes “défense” annoncées pour 2026.

Ces outils peuvent soutenir la montée en cadence, la chaîne d’approvisionnement, et certains investissements industriels. Ils ne remplacent pas un financement souverain de R&D à haut risque, surtout quand il s’agit de technologies sensibles.

Les trajectoires crédibles pour Dassault et la France

La voie d’une coopération plus petite et plus cohérente

Si SCAF échoue, la France peut chercher une coopération plus restreinte, sur un périmètre clair. Par exemple, partager des drones d’accompagnement, des capteurs, ou une architecture de cloud de combat, sans partager la maîtrise d’œuvre du chasseur. C’est politiquement moins spectaculaire, mais industriellement plus réaliste.

La voie d’un “Rafale++” assumé, puis d’un successeur piloté par l’État

L’autre trajectoire est pragmatique. Accélérer le Rafale F5, intégrer un UCAV, renforcer la survivabilité, et conserver une supériorité opérationnelle dans les années 2030. Puis lancer un successeur national quand le financement est sécurisé et quand les briques critiques sont mûres.

Ce choix a un coût. Mais il a une vertu : il réduit le risque d’un grand saut mal financé.

Le point décisif est politique. Si la France veut une autonomie complète sur un chasseur de 6e génération, elle devra payer une autonomie complète. Si elle veut partager la facture, elle devra accepter des compromis de gouvernance et de besoins. C’est une équation, pas un slogan.

Sources

Reuters, 16 décembre 2025, “FCAS fighter jet ‘very unlikely’…”
Reuters, 16 décembre 2025, déclarations d’Éric Trappier sur FCAS
Dassault Aviation, Financial Release 2024 Results (5 mars 2025)
Dassault Aviation, 2025 First Half-year Results – Financial Release (22 juillet 2025)
Ministère des Armées / DGA, “Rafale standard F5 : premières commandes…” (14 octobre 2024)
FlightGlobal, “Rafale F5 bulks up with conformal fuel tanks” (15 juin 2025)
Sénat, rapport “2040, l’odyssée du SCAF” (senat.fr)
Ministère des Armées, LPM 2024-2030 – grandes lignes (defense.gouv.fr)
Légifrance, Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 (LPM 2024-2030)
UK Government, “Major funding boost to progress future fighter jet programme” (14 avril 2023)
European Commission, European Defence Fund (EDF) – pages officielles et résultats des appels 2024-2025
Conseil de l’UE, European Defence Industry Programme (EDIP) – 8 décembre 2025
Reuters, 11 décembre 2025, SAFE loans scheme (150 milliards d’euros)
Air & Space Forces Magazine, 5 décembre 2024, NGAD FY2025 budget request
Associated Press, 21 mars 2025, annonce NGAD / F-47 et contrat initial

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