
Test inédit : Shijian‑25 ravitaille Shijian‑21 en orbite géostationnaire, sous l’œil des GSSAP USA 270/271.
La Chine lance pour la première fois un test de ravitaillement orbital en orbite géostationnaire (GEO). Lancé en janvier 2025, Shijian‑25 approche Shijian‑21 (en place depuis octobre 2021), pour transférer environ 142 kg d’hydrazine, prolongeant la durée de vie de ce dernier de 8 ans. Deux satellites de surveillance américains, USA 270 et USA 271, veillent à proximité, s’affirmant comme témoins stratégiques. Cette manœuvre révèle des progrès techniques majeurs pour la durabilité des satellites, modifie la dynamique géopolitique en GEO, et appelle à une régulation internationale renforcée.
le déroulé du test orbital chinois
Depuis le 2 juin, Shijian‑25 effectue des manœuvres pour rejoindre Shijian‑21 en GEO (~ 35 786 km d’altitude). Le 6 juin, il a changé son semi‑grand axe de –119 km (delta‑v ≈ 8,3 m/s), induisant une dérive est d’environ 1,5°/jour pour atteindre Shijian‑21 d’ici le 11 juin 2025 . De son côté, Shijian‑21 avait déjà modifié son orbite début juin, déplaçant son semi‑grand axe de +296 km, réduisant l’excentricité, puis se positionnant à 127,5° E.
Les deux engins sont en orbite coplanaire : même inclinaison (~ 10,2°) et RAAN proche (~ 43,7°), permettant une phase orbitale idéale pour un rendez-vous à faible consommation énergétique (~ 22–32 m/s de delta‑v).
Shijian‑25, développé par la Shanghai Academy of Spaceflight Technology (SAST), servira de station‑service mobile, transférant environ 313 lb (142 kg) d’hydrazine à Shijian‑21, ce qui permettrait d’ajouter jusqu’à 8 ans de service .
les aspects techniques détaillés
L’orbite géostationnaire (GEO) se trouve à 35 786 km d’altitude : à cette hauteur, un satellite tourne à la même vitesse que la Terre, ce qui lui permet de rester au-dessus d’un même point à la surface. Cette altitude est essentielle pour les missions de ravitaillement orbital, garantissant une position stationnaire utile pour les opérations de proximité.
Le couple Shijian‑21 / Shijian‑25 évolue en orbite coplanaire, avec une inclinaison identique (environ 10,2°) et un RAAN aligné (≈ 43,7°). Modifier l’un de ces paramètres exigerait des coûts en carburant très élevés, souvent de l’ordre de plusieurs centaines de m/s ; maintenir ces éléments identiques optimise donc le rendez‑vous.
Les deux satellites ont déjà exécuté des manœuvres : entre les 6 et 7 juin, Shijian‑25 a utilisé un delta‑v total de 8,29 m/s, ce qui a initié une dérive vers l’est de 1,5°/jour, soit environ 1 500 km/jour. De son côté, Shijian‑21 s’est repositionné en début de mois avec un delta‑v d’environ 25 m/s, pour affiner son excentricité et se stabiliser à la longitude cible (~ 127,5° E) .
La séparation longitudinale initiale entre les deux engins était d’environ 7° (≈ 1 500 km), réduite aujourd’hui à 2°, un écart confortable mais suffisant pour préparer le rendez‑vous. Le rapprochement rapide révèle une stratégie de phased orbit visant à minimiser les dépenses de carburant, probablement entre 22 et 32 m/s pour le transfert final.
Ce rendez‑vous est prévu autour du 11 juin 2025, date à laquelle les satellites engageront des opérations de rapprochement rapproché et un amarrage visant le transfert d’environ 142 kg d’hydrazine. Ce carburant permettra d’alimenter Shijian‑21 pour plusieurs années supplémentaires de service.

Impact sur les opérations géostationnaires
La tentative de ravitaillement orbital menée par la Chine à travers les satellites Shijian-21 et Shijian-25 transforme les règles opérationnelles en orbite géostationnaire (GEO). Ce type d’intervention inaugure une nouvelle approche dans la gestion de l’infrastructure orbitale, tant du point de vue économique que stratégique.
D’abord, l’aspect économique est déterminant. Le coût de construction et de mise en orbite d’un satellite de télécommunications ou de navigation dépasse fréquemment 200 à 300 millions d’euros, sans compter les coûts de lancement ni les frais d’assurance. Pouvoir prolonger la durée de vie opérationnelle d’un satellite existant de plusieurs années, en transférant du carburant, permet d’amortir les investissements initiaux et de retarder les remplacements. Cela réduit mécaniquement la fréquence des lancements, les coûts logistiques associés et la dépendance aux filières industrielles tendues.
Sur le plan environnemental, ce test participe à l’amélioration de la durabilité orbitale. Les satellites inactifs laissés en GEO constituent une menace croissante, pouvant générer des fragments en cas de collision. La possibilité de ravitailler ou de désorbiter ces engins permet de réduire le volume de débris, enjeu prioritaire pour la sécurité de l’ensemble des opérateurs.
L’aspect technique n’est pas secondaire. Effectuer des manœuvres RPO (Rendez-vous and Proximity Operations) avec une précision inférieure à 10 mètres constitue une démonstration de maîtrise technologique avancée. Ces opérations exigent un contrôle orbital d’une finesse extrême, notamment dans un environnement peu dynamique comme la GEO où toute manœuvre nécessite des ajustements très précis.
Enfin, cette initiative chinoise positionne le pays dans le marché stratégique des services orbitaux. Elle fait écho à la mission américaine MEV-1 de 2020, ouvrant la voie à une concurrence technologique directe sur les activités de maintenance, de réparation, voire de recyclage orbital. Cela rebat les cartes industrielles pour les prochaines décennies.
Les implications géopolitiques et sécuritaires
Une surveillance américaine renforcée
L’approche entre Shijian-21 et Shijian-25 n’échappe pas à l’attention stratégique des États-Unis. Les satellites USA 270 et USA 271, appartenant au programme GSSAP (Geosynchronous Space Situational Awareness Program), ont été placés de manière à flanquer le duo chinois depuis l’est et l’ouest. Cette position optimise les conditions de lumière pour l’observation optique, tout en permettant un suivi radar de haute précision. Ces satellites ne se contentent pas d’observer : ils sont capables de manœuvres de proximité (RPO), ce qui en fait de véritables instruments de collecte de renseignements techniques sur les capacités chinoises. Le déploiement de ces engins autour d’une manœuvre aussi sensible souligne le caractère hautement surveillé de l’espace géostationnaire et illustre la volonté américaine de documenter, voire de dissuader, les progrès spatiaux adverses.
Les enjeux de confiance
L’absence de normes internationales contraignantes sur les approches rapprochées en orbite GEO rend ces situations potentiellement conflictuelles. La proximité de plusieurs satellites autour d’une opération de ravitaillement alimente la méfiance mutuelle. Il n’existe actuellement aucun mécanisme de notification obligatoire ni protocole de coordination opérationnelle pour ce type d’activités, ce qui augmente les risques d’incompréhensions, voire d’incidents techniques ou diplomatiques. Le caractère double usage de ces technologies – civil et militaire – complique encore l’interprétation des intentions.
La course aux capacités OSAM
La Chine, les États-Unis et l’Europe sont engagés dans une course technologique autour des capacités OSAM (On-Orbit Servicing, Assembly, and Manufacturing). Ces technologies couvrent le ravitaillement en carburant, la réparation, le recyclage d’équipements, ou encore la fabrication d’éléments directement en orbite. En Europe, le CNES développe le projet YODA, tandis que des acteurs privés comme Astroscale ou ClearSpace travaillent sur le retrait actif de débris ou la maintenance robotisée. Ces avancées sont stratégiques pour l’autonomie orbitale et le contrôle de l’espace extra-atmosphérique.
Les conséquences à long terme
La démonstration technologique menée par la Chine avec Shijian-21 et Shijian-25 pourrait marquer le début d’un basculement structurel dans la gestion des ressources spatiales. À mesure que les capacités OSAM (On-Orbit Servicing, Assembly, and Manufacturing) se perfectionnent, c’est l’ensemble du cycle de vie des satellites qui pourrait être redéfini.
L’une des évolutions majeures concerne l’émergence d’un marché orbital. Les opérateurs commerciaux et institutionnels auront la possibilité de prolonger la durée de vie de satellites existants (communications, météorologie, navigation, observation), grâce à des opérations de ravitaillement ou de maintenance. Cela permettrait de repousser la mise hors service de plateformes coûteuses, de réduire le nombre de lancements de remplacement et de lutter contre l’obsolescence programmée en orbite. À terme, ce marché pourrait représenter plusieurs milliards d’euros par décennie, en fonction des scénarios de déploiement des méga-constellations.
La dimension militaire n’est pas secondaire. Les satellites de commandement ou de surveillance pourraient devenir des plateformes modulaires, capables de recevoir en orbite des équipements supplémentaires ou du carburant, voire d’être reconfigurés en fonction des menaces. En contexte de tension, cette flexibilité logistique serait un avantage stratégique décisif.
Mais ces avancées accentuent aussi la congestion de l’orbite géostationnaire, où le nombre de satellites actifs ne cesse d’augmenter. Sans protocoles internationaux clairs sur les distances minimales, les notifications de manœuvres ou les limites d’intervention, le risque d’incidents techniques ou de collisions accidentelles s’accroît.
D’où l’urgence, rappelée notamment par l’European Space Policy Institute (ESPI), de créer des normes multilatérales contraignantes. Il en va de la sécurité, de la transparence opérationnelle et de la viabilité à long terme des activités en orbite GEO.
Les recommandations techniques et politiques
L’évolution rapide des capacités orbitales, illustrée par la mission Shijian‑21 / Shijian‑25, nécessite une adaptation urgente des cadres réglementaires et stratégiques internationaux. Plusieurs recommandations concrètes émergent pour anticiper les défis opérationnels, industriels et sécuritaires liés au développement des technologies OSAM (On‑Orbit Servicing, Assembly and Manufacturing).
La première priorité est l’instauration d’un cadre normatif multilatéral. À l’heure actuelle, aucune règle contraignante n’impose la notification préalable des manœuvres rapprochées en orbite géostationnaire. L’absence de seuils précis sur les distances minimales d’approche ou de mécanismes d’alerte formels accroît les risques d’incidents. Un dispositif sous l’égide de l’ONU ou du COPUOS pourrait imposer des normes claires et partagées, intégrant des critères techniques objectifs.
Parallèlement, il est indispensable de soutenir des investissements calibrés dans les technologies OSAM. Cela implique de favoriser l’interopérabilité des interfaces mécaniques et logicielles entre satellites de différents constructeurs, de définir des modèles tarifaires encadrés pour les services orbitaux, et de concentrer les financements publics sur les projets au TRL (Technology Readiness Level) élevé, proches d’une mise en service industrielle.
La surveillance transparente constitue un troisième pilier. Les réseaux civils et privés comme COMSPOC, OurSky ou Observable.space jouent un rôle essentiel dans la vérifiabilité des activités orbitales. Il convient d’élargir leur capacité d’observation et de garantir la publication ouverte des données critiques, pour renforcer la confiance entre acteurs.
Enfin, une coopération pragmatique entre puissances spatiales devient incontournable. Des dialogues bilatéraux ou multilatéraux doivent permettre de partager les plans de manœuvres, d’échanger sur les procédures d’approche et de consulter préalablement en cas d’opérations sensibles. Cette approche pragmatique, sans naïveté, peut prévenir les malentendus opérationnels ou les interprétations hostiles d’activités techniques complexes.
Le test de ravitaillement en GEO, via Shijian‑25 et Shijian‑21, marque une étape décisive dans l’évolution de la technologie spatiale. En prolongeant la durée de vie d’un satellite avec 142 kg d’hydrazine, la Chine révèle une capacité stratégique dual‑usage, économique et écologique. La présence des GSSAP américains et la multiplication des initiatives OSAM illustrent une course aux capacités orbitales. Pour que cela profite réellement à l’humanité, une régulation pragmatique et un cadre partagé de sécurité sont indispensables.
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