L’Espagne renonce au F‑35 et injecte 10 milliards € dans l’industrie européenne

F-35

L’Espagne abandonne le F‑35 américain pour soutenir le SCAF et l’Eurofighter, adoptant une stratégie de souveraineté militaire européenne.

L’Espagne a acté, le 6 août 2025, l’abandon de l’achat des avions de combat F‑35 américains au profit d’un investissement de plus de 10 milliards d’euros dans l’industrie européenne, avec un poids accru sur le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) et l’Eurofighter Typhoon. La décision traduit autant une volonté de relancer la filière nationale qu’un acte politique fort face aux tensions croissantes avec les États-Unis. Elle consacre une priorité à la souveraineté technologique et au maintien de compétences industrielles stratégiques, tout en posant des questions concrètes sur la capacité opérationnelle immédiate, notamment pour la marine, qui perd son recours au Harrier sans alternative de décollage vertical.

La décision stratégique et son contexte politique

L’annonce de la décision, relatée par El País, marque un tournant dans la politique de défense espagnole. Le gouvernement a choisi de consacrer 85 % du budget militaire, soit 10 471 millions d’euros, à des programmes européens, excluant ainsi le F‑35 américain. Cette décision s’inscrit dans un contexte de tensions diplomatiques croissantes avec Washington, en particulier face à des critiques sur la dépense militaire espagnole émanant de personnalités américaines.

Politiquement, le Parti Populaire exige que la ministre de la Défense éclaire le Parlement sur les critères techniques derrière ce choix, ainsi que sur les capacités perdurées ou menacées, en particulier pour la marine et l’armée de l’air. Il s’agit d’un acte de rupture non conforme avec les attentes stratégiques d’un allié traditionnel : l’Espagne revendique une indépendance politique et technologique accrue.

Les conséquences opérationnelles pour la marine et l’armée de l’air

Sur le plan opérationnel, la renonciation au F‑35B, seul vecteur européen à décollage court et posé vertical, entraîne une perte claire de la capacité embarquée de la marine. Sans alternative à cet intervalle, le porte‑avions Juan Carlos I devra se contenter d’hélicoptères après la mise hors service des Harrier AV‑8B prévue pour 2030. Aucune mesure de remplacement n’est annoncée à court terme, ce qui crée une zone grise tactique dans les projections de défense maritime.

Sur le volet aérien, les Eurofighter Typhoon resteront l’épine dorsale des forces. Les livraisons sont programmées dès 2026 au titre de commandes antérieures ; elles doivent compenser progressivement le retrait des F‑18 jusqu’en 2035, avec en parallèle le recours intermédiaire au Rafale envisagé pour maintenir les capacités jusqu’à l’arrivée du SCAF.

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Le pari industriel sur le SCAF et l’Eurofighter

L’investissement massif dans l’industrie européenne se traduit par un renforcement du programme SCAF (Système de Combat Aérien du Futur), où l’Espagne partage des responsabilités avec la France et l’Allemagne. Le programme prévoit le développement d’un avion de sixième génération, capable d’opérer avec drones et réseaux interconnectés, dont l’entrée en service est estimée autour de 2040, après des étapes de démonstration et d’industrialisation. La phase 1B, lancée en avril 2023 à Madrid, représente une enveloppe de 3 milliards d’euros sur trois ans, partagée entre les trois pays, avec des coûts projetés totaux de 50 à 80 milliards d’euros pour l’ensemble du cycle.

Parallèlement, l’Eurofighter Typhoon reste une solution éprouvée. Commander et maintenir cette plateforme européenne permet à Madrid de générer des retombées technologiques, industrielles et d’emploi. Cela sécurise la chaîne logistique nationale, en gardant la valeur ajoutée en Europe et en évitant la dépendance, voire l’imposition de coûts récurrents non maîtrisables en lien avec une technologie américaine verrouillée.

Perspectives et risques à court et moyen terme

Le principal défi reste temporel : la capacité opérationnelle immédiate, surtout pour la marine, devrait être impactée jusqu’à 2030 sans F‑35B. Construire un nouveau porte‑avions apte à accueillir des chasseurs européens, comme le Rafale, est évoqué, mais aucune échéance réaliste n’est assurée. L’armée de l’air dispose d’un peu plus de latitude, mais elle est appelée à jouer une gestion délicate entre retrait des F‑18, commandes Eurofighter, introduction éventuelle de Rafale, et transition vers le SCAF vers 2040.

Le SCAF, quant à lui, n’est pas à l’abri de tensions industrielles. Les désaccords entre Dassault et Airbus sur la gouvernance du projet peuvent retarder le calendrier et fragiliser le programme. D’autres pays européens, comme le Royaume‑Uni (Tempest) ou la Belgique (observateur du SCAF), reconfigurent également leurs choix, rendant l’horizon européen concurrentiel et incertain.

Enfin, sur le plan géopolitique, bien que l’Espagne affirme une autonomie stratégique, elle se prive des garanties opérationnelles éprouvées associées à l’interopérabilité des F‑35 dans le cadre de l’OTAN et des partenariats transatlantiques.

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