
Conçu comme intercepteur supersonique, le F-104 Starfighter est devenu tristement célèbre pour son taux de crashs et ses défauts techniques.
Un programme aux conséquences dramatiques
Lancé à la fin des années 1950, le F-104 Starfighter, développé par Lockheed, devait incarner la nouvelle génération d’avion de chasse supersonique de l’US Air Force. Doté d’un design radical, avec ses ailes en plan très mince et un fuselage effilé, l’appareil promettait une vitesse élevée et une capacité d’interception hors pair. Mais dès sa mise en service, les limites du concept apparaissent, notamment lorsqu’il est exporté massivement vers l’Europe.
Dans les années 1960 et 1970, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, la Belgique ou encore le Canada subissent une série d’accidents catastrophiques. La Luftwaffe, qui avait acquis plus de 900 exemplaires, a connu près de 300 pertes, provoquant la mort de plus de cent pilotes. Cette hécatombe entraîne une crise majeure au sein des forces aériennes européennes et déclenche une controverse politique et industrielle durable. En Allemagne, le Starfighter est surnommé “le faiseur de veuves”, tant son utilisation en temps de paix a coûté de vies humaines.
Entre taux de crashs records, design inadapté aux missions européennes, choix industriels critiquables et problèmes techniques récurrents, le F-104 est devenu le symbole d’une aviation militaire technologiquement ambitieuse, mais opérationnellement inefficace.

Un taux de crashs exceptionnellement élevé
L’exemple allemand : un cas d’école
Parmi les utilisateurs du F-104, la Luftwaffe a payé le plus lourd tribut. Sur 916 avions livrés entre 1961 et 1975, 292 se sont écrasés lors de missions d’entraînement ou d’opérations. Au total, 116 pilotes allemands ont perdu la vie à bord du Starfighter, dont une majorité lors de vols d’instruction en conditions normales.
La gravité de ces pertes est telle que le grand public allemand prend conscience du problème, poussant les autorités à répondre aux critiques croissantes. Le surnom de “Witwenmacher” (faiseur de veuves) attribué à l’appareil témoigne du traumatisme qu’il a laissé dans la mémoire collective. En moyenne, près d’un F-104 sur trois a été perdu dans un accident, un taux sans équivalent dans l’histoire de l’aviation de chasse occidentale moderne.
Une situation comparable dans d’autres pays
Le Canada, qui a exploité 200 CF-104, a déploré plus de 110 crashs, dont plusieurs mortels. L’Italie, utilisateur prolongé du modèle jusqu’en 2004, a elle aussi enregistré près de 140 pertes sur les 389 appareils en service. Dans l’ensemble, près de 30 à 35 % des F-104 exportés ont été perdus lors d’incidents non liés au combat.
Ces chiffres alarmants reflètent non seulement la dangerosité du modèle, mais aussi son inadaptation aux réalités de l’emploi tactique imposées par les doctrines européennes et nord-américaines.
Un design radical inadapté à l’environnement européen
Un intercepteur pur transformé à contre-emploi
Le F-104 est d’abord pensé comme intercepteur à haute altitude et vitesse maximale (Mach 2.0, soit environ 2 400 km/h), destiné à monter très rapidement vers des bombardiers soviétiques. Son design est optimisé pour cet objectif unique : ailes extrêmement fines (7 cm d’épaisseur), faible portance, et vitesse ascensionnelle élevée.
En Europe, les missions confiées au Starfighter changent radicalement. Les forces de l’OTAN le déploient pour l’attaque au sol, la reconnaissance et la pénétration à basse altitude — des profils de vol pour lesquels il n’a jamais été conçu. Le comportement de l’appareil devient alors instable à basse vitesse, et particulièrement dangereux lors des phases de décollage et d’atterrissage.
Des marges d’erreur infimes
Le Starfighter a besoin de pistes longues, de conditions météo favorables, et d’un entraînement pointu pour éviter les pertes. Son aérodynamique exige une vitesse d’approche élevée, ce qui réduit les marges de manœuvre en cas de problème. Les erreurs de pilotage minimes se soldent souvent par des accidents graves.
Les ailes delta extrêmement fines, si elles réduisent la traînée en vol supersonique, rendent l’avion peu stable et difficile à contrôler dans les manœuvres serrées. En basse altitude ou en vol tactique, ces caractéristiques deviennent des handicaps majeurs.
Une politique d’achat aux motivations contestées
Des contrats opaques et une pression politique forte
Le programme d’exportation du F-104, baptisé Military Sales Package Program, a été lancé par Lockheed avec l’appui de Washington pour contrer l’influence française (Dassault Mirage III) et suédoise (Saab Draken). Mais rapidement, des scandales de corruption éclatent : des commissions occultes auraient été versées à des décideurs politiques et militaires dans plusieurs pays.
L’affaire Lockheed, rendue publique dans les années 1970, révèle que des millions de dollars ont été distribués illégalement pour obtenir des contrats au Japon, en Italie, en Allemagne de l’Ouest et ailleurs. Le programme d’exportation du Starfighter devient ainsi l’un des plus controversés de l’histoire de l’aéronautique militaire.
Des alternatives disponibles mais écartées
Des appareils comme le Mirage III (capable de missions polyvalentes, bien adapté aux environnements européens) ou le Saab Draken offraient des solutions plus souples, avec de meilleures performances globales en mission tactique. Mais les pressions diplomatiques américaines et les accords de coopération industrielle ont favorisé la généralisation du F-104 en Europe occidentale.

Des défauts techniques aggravant les risques
Une motorisation instable
Le F-104 est équipé du turboréacteur General Electric J79, produisant jusqu’à 7 200 kg de poussée avec postcombustion, mais souffrant de problèmes récurrents de surchauffe, de pompage et de maintenance difficile. De nombreuses pannes moteur se produisent en vol, y compris à basse altitude, où les options de récupération sont limitées.
Des systèmes de survie peu efficaces
Le système d’éjection initial du Starfighter — éjectant vers le bas — était totalement inadapté aux vols à basse altitude, entraînant de nombreuses morts inutiles. Il sera remplacé plus tard par un siège éjectable vers le haut, mais même avec cette amélioration, le taux de survie des pilotes en cas d’incident reste faible.
Des défauts non corrigés malgré les variantes
Plusieurs versions ont été proposées (F-104G, CF-104, F-104S…), avec des améliorations avioniques ou structurelles. Toutefois, le concept même de l’avion reste figé, avec ses limitations aérodynamiques fondamentales, impossibles à corriger sans refonte totale.
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