 
Le contrat de l’achat de 20 Eurofighter par la Turquie pour 10,7 milliards $ s’enlise : le missile long-portée Meteor bloqué par Paris.
En Résumé
La Turquie et le Royaume-Uni ont signé un accord estimé à 10,7 milliards de dollars (≈9,9 milliards d’euros) portant sur l’achat de 20 chasseurs Eurofighter Typhoon auprès du programme Eurofighter. Mais la livraison et l’efficacité de cette acquisition se heurteront à une difficulté majeure : l’intégration du missile européen à longue portée MBDA Meteor, clé de la performance de ce type d’avion. Le groupe consortium MBDA, basé en France parmi d’autres pays européens, exige l’accord de Paris pour tout transfert ou re-exportation. Or, la France soutient la Grèce dans ses différends avec Ankara et entretient des tensions diplomatiques persistantes, ce qui rend l’aval à la Turquie incertain. Sans ce missile, la Turquie risquerait d’être désavantagée face aux forces grecques déjà équipées. L’enjeu dépasse l’avion pour toucher à l’équilibre aérien, à l’industrie européenne d’armement et à la géopolitique régionale.

Le contrat : montant, nombre d’appareils, calendrier
L’accord annoncé entre la Turquie et le Royaume-Uni porte sur l’acquisition de 20 Eurofighter Typhoon pour une valeur de 10,7 milliards de dollars (≈9,9 milliards d’euros) selon plusieurs sources. Le montant en livres sterling avait été indiqué à 8 milliards de livres sterling (~9,3 milliards d’euros) lors de la signature à Ankara le 27 octobre 2025.
Le calendrier fixé prévoit un premier lot de livraisons en 2030.
Cet achat s’inscrit dans une volonté de modernisation de la force aérienne turque, qui veut disposer d’un effectif de chasseurs plus performant dans un contexte de rivalité régionale.
L’accord mentionne aussi la possibilité d’acquérir des appareils d’occasion : la Turquie envisage de compléter son parc avec 12 Eurofighter d’occasion venant du Qatar et autant de l’Oman, ce qui porterait à environ 44 aéronefs la flotte Typhoon turque.
Cette dimension renforce l’importance stratégique de l’accord pour Ankara : il ne s’agit pas d’un simple achat isolé mais d’un programme de flotte à moyen terme.
Le missile Meteor : atout technologique et verrou européen
Le missile Meteor est une arme air-air à longue portée (Beyond Visual Range, BVR) développée par MBDA, consortium européen. Il pèse environ 190 kg, mesure 3,65 m de long et est capable d’atteindre une portée estimée à plus de 120 km (peut-être jusqu’à 200 km) grâce à un statoréacteur (ramjet).
Cet armement donne à l’Eurofighter Typhoon la capacité de frapper des cibles à grande distance, ce qui est essentiel pour la supériorité aérienne moderne. En l’absence de Meteor, l’avion reste certes performant mais nettement moins capable de projeter puissance et portée.
Or, la Turquie pourrait ne pas obtenir le Meteor. En effet, la France – membre clé du consortium MBDA – doit donner son aval au transfert ou à l’importation. Dans le contexte diplomatique actuel, Paris est sous pression de la Grèce, qui s’oppose à la vente de missiles Meteor à la Turquie pour préserver son propre avantage aérien.
Ainsi, sans l’aval français ou sans possibilité d’importation du Meteor, la mise en œuvre de l’accord Turquie-Royaume-Uni perdra une dimension majeure : celle de la capacité à longue portée face à des adversaires équipés.
Les enjeux de la puissance aérienne turque et du déséquilibre régional
Pour la Turquie, cet achat vise à combler une lacune importante de sa flotte. Membre de l’OTAN, elle avait été exclue du programme F‑35 Lightning II après l’achat du système russe S-400 en 2019. Elle modernise également ses F-16 vieillissants.
Le fait d’acquérir des Typhoon avec le missile Meteor donnerait à la Turquie une capacité comparable à certains de ses rivaux régionaux. Mais si cette capacité fait défaut, la Turquie se retrouvera en désavantage tactique immédiat face à des forces adverses—en particulier la Grèce, dont les Rafale sont déjà équipés de Meteor.
Ce déséquilibre est loin d’être anodin : dans l’espace aérien de la mer Égée ou de la Méditerranée orientale, la capacité de frapper tôt ou de dissuader dépend précisément d’armes à longue portée et d’avions capables de les emporter.
Par ailleurs, le choix de l’Eurofighter marque une inflexion stratégique pour la Turquie : jusque-là largement dépendante de matériel américain, elle diversifie ses fournisseurs. Ceci peut lui donner une plus grande marge de manœuvre géopolitique mais aussi l’exposer à des blocages d’exportation européens.
Les freins à l’opérationnalisation de l’accord
Le principal frein identifié est l’approbation européenne pour le missile Meteor, comme évoqué ci-dessus. Mais il en existe d’autres : d’abord, le volet armement du contrat est encore flou. Le texte original insiste sur un « budget d’armement de 1 milliard $ », mais cela ne correspond pas à un contrat ferme de missiles.
Ensuite, bien que l’accord ait été signé, tous les piliers ne sont pas finalisés : assemblage, transfert de technologie, chaînes de production, intégration des armes, etc. Le fait que les livraisons ne commencent qu’en 2030 signifie que cette acquisition est à horizon long.
Enfin, la dimension politique : la France a des relations tendues avec la Turquie, soutient la Grèce, et peut retarder ou bloquer le transfert. Par ailleurs, les risques de sanctions ou de changements politiques rendent ce type d’accord vulnérable.
Ces éléments montrent que même si le contrat est médiatiquement annoncé, sa mise en œuvre opérationnelle reste incertaine.
Les impacts industriels et géopolitiques pour le Royaume-Uni, l’Europe et l’OTAN
Pour le Royaume-Uni, ce contrat est une victoire industrielle : il permet de maintenir la chaîne de production de l’Eurofighter, d’assurer des centaines voire milliers d’emplois au sein de BAE Systems et dans la sous-traitance britannique et européenne.
Pour l’Europe, la question des exportations d’armes vers des pays qui entretiennent des rapports compliqués avec certains alliés européens pose un défi : comment concilier la logique industrielle (ventes à l’export pour rentabiliser les investissements) et la logique stratégique-politique (alliances, arbitrage géopolitique) ?
Dans le cadre de l’OTAN, cet accord traduit un élargissement du dispositif de chasseurs typiquement américains vers une base européenne. Cela montre que l’Europe peut être à la fois exportatrice et intervenante dans la défense de l’Alliance mais aussi qu’elle reste dépendante d’approbations nationales pour l’armement.
Pour la Turquie, c’est une opportunité mais aussi un risque : en cas de blocage du missile Meteor ou de retard de livraison, l’avion pourrait devenir un « chasseur sans arme longue portée », limitant fortement son utilité stratégique.

Ce que cela signifie pour la Turquie et ses rivaux
Si tout s’effectue comme prévu, la Turquie pourrait disposer d’une flotte de 44 Typhoon d’ici 2030, ce qui lui donnerait un spectre moderne et compétitif de capacités aériennes. Toutefois, en l’absence du Meteor, ses avions resteront équipés de missiles de moyenne portée, comme l’AIM‑120 AMRAAM plus anciens, ce qui laisse un écart tactique notable.
Pour la Grèce, qui opère déjà des Rafale équipés du Meteor, cela lui confère un avantage aérien clair. Tant que la Turquie ne pourra pas aligner les mêmes capacités, le rapport de force dans la région reste défavorable à Ankara.
En outre, l’introduction de cette flotte Typhoon modifie l’équation stratégique dans l’Est de la Méditerranée et dans l’espace aérien de l’OTAN. Elle oblige les rivaux et alliés à recalculer leurs besoins, à anticiper les livraisons et à mesurer les effets de ces chasseurs sur l’équilibre régional.
Enfin, sur le plan domestique turc, ce type d’équipement peut aussi être utilisé comme outil de légitimation politique du pouvoir, ce qui ajoute une dimension intérieure à l’accord.
Synthèse et perspectives
L’accord Turquie-Royaume-Uni pour 20 Eurofighter Typhoon est d’envergure et marque une orientation stratégique importante pour Ankara. Il s’intègre dans son ambition de moderniser sa force aérienne et de diversifier ses partenariats. Toutefois, la véritable valeur de cet achat dépend largement de l’accès au missile Meteor à longue portée, conditionnée par l’aval de la France et par la dynamique politique européenne.
Sans ce missile, la Turquie pourrait se retrouver équipée d’avions modernes mais privés de leur capacité clé – la frappe longue portée air-air, ce qui limiterait leur rôle dans la dissuasion ou la supériorité aérienne.
À moyen terme, plusieurs scénarios sont envisageables : soit la Turquie obtient les autorisations nécessaires et devient un acteur aérien plus puissant dans la région ; soit l’accord traîne, ou les livraisons sont verrouillées, et ce dossier devient un symbole d’un contrat capable mais bridé.
Dans tous les cas, ce dossier illustre combien l’exportation d’armes modernes dépend non seulement de la technologie mais aussi d’arbitrages politiques, d’alliances et de contrôles nationaux. Il démontre que dans la défense aérienne, l’avion ne suffit pas : la munition compte.
Sources
Reuters « Turkey’s Eurofighter Typhoon jet deal includes weapons package » (29 octobre 2025)
Turkish Minute « Turkey’s Eurofighter deal with UK includes advanced weapons package » (29 octobre 2025)
Defense Express « Turkiye’s Eurofighter Deal Faces Major Obstacle, France Holds Key to Meteor Missiles » (31 octobre 2025)
Wikipedia « Meteor (missile) », « Eurofighter Typhoon »
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