
La Russie intensifie l’usage de son Su‑57 en Ukraine pour tester armements, tactiques et gagner en crédibilité face à de rares clients étrangers.
Une intensification de l’usage opérationnel du Su-57
Depuis plusieurs mois, le Su‑57 Felon, avion de chasse de cinquième génération de l’armée russe, est de plus en plus engagé dans le conflit en Ukraine. D’après plusieurs sources proches des milieux militaires ukrainiens, les appareils sont utilisés en formation, parfois en duo ou trio, avec des rôles spécifiques pour chaque unité. Cette évolution marque une rupture nette avec les usages prudents constatés au début de la guerre en 2022, quand le Su‑57 n’était qu’occasionnellement déployé et principalement en retrait.
L’objectif semble clair : accumuler de l’expérience réelle en combat, affiner les doctrines d’engagement, et valider les capacités théoriques de l’appareil. La présence du Su‑57 sur le théâtre ukrainien constitue à ce titre un laboratoire tactique, dans un contexte de guerre moderne saturée de défenses antiaériennes occidentales.
Un appareil encore rare mais employé de manière plus agressive
Malgré une production encore très limitée — moins de 20 exemplaires livrés à ce jour, selon les données croisées disponibles — le Su‑57 commence à apparaître plus fréquemment dans les opérations en Ukraine. Des rapports évoquent des formations complètes, dans lesquelles les appareils se répartissent les tâches : l’un neutralise les menaces aériennes à longue portée avec des missiles R‑77M, pendant que d’autres exécutent des frappes au sol avec missiles de croisière Kh‑69 ou bombes guidées.
Cette approche structurée montre que les pilotes russes suivent un entraînement tactique spécifique et que les doctrines de déploiement du Su‑57 évoluent rapidement. À cela s’ajouterait l’expérimentation d’armes inédites, dont un possible missile ou drone hybride surnommé “Su‑71K”, qui combinerait discrétion radar et manœuvrabilité élevée.
Une tentative d’adaptation face aux défenses ukrainiennes
Le déploiement plus affirmé du Su‑57 ne s’explique pas uniquement par des considérations internes à la Russie. Il s’agit aussi d’une réponse directe à l’efficacité croissante des défenses antiaériennes ukrainiennes, largement renforcées par des livraisons occidentales (IRIS-T, NASAMS, Patriot). Dans ce contexte, un chasseur furtif capable de frapper à distance sans être détecté constitue un atout stratégique.
Cependant, la furtivité du Su‑57 fait débat. Si sa signature radar est réduite par rapport aux générations précédentes, de nombreux experts estiment qu’elle reste inférieure à celle du F‑35 américain ou du J‑20 chinois. Il semble que Moscou cherche surtout à démontrer que le Su‑57 peut survivre et frapper dans un espace aérien hautement contesté, condition indispensable à sa légitimité comme appareil de combat de cinquième génération.

Des incidents révélateurs des limites du programme
En octobre 2024, un incident notable a attiré l’attention : un Su‑57 a été contraint d’abattre un prototype de drone lourd S‑70 Okhotnik après que celui-ci a perdu le contrôle en vol. L’appareil, conçu pour opérer en binôme avec le Su‑57, aurait été détruit volontairement pour éviter qu’il ne tombe intact entre des mains ennemies.
Ce tir contre un système allié souligne deux éléments : d’une part, les procédures de sécurité d’urgence sont activement testées, et d’autre part, les prototypes russes souffrent encore de fiabilité aléatoire. Le S‑70 devait initialement entrer en service actif vers 2025–2026. Cet incident pourrait en retarder l’intégration dans la doctrine opérationnelle.
Une production ralentie et des ambitions internationales fragiles
Le Su‑57 reste un programme techniquement ambitieux, lancé sous le nom de T‑50 dans les années 2000. Après un premier vol en 2010, l’appareil a connu de nombreux retards, largement dus à un manque de financement et d’investissements étrangers. Le retrait de l’Inde en 2018 du projet conjoint FGFA (Fifth Generation Fighter Aircraft) a privé la Russie d’un apport financier stratégique.
Depuis 2022, les sanctions économiques occidentales et l’isolement technologique croissant compliquent encore la chaîne de production. Faute d’accès à certains composants critiques, notamment électroniques, Moscou peine à produire plus de cinq appareils par an en rythme stable.
Les espoirs d’exportation sont, eux aussi, limités. Malgré des tentatives envers l’Algérie, l’Iran ou encore l’Inde, aucun contrat ferme n’a été officialisé. La Russie a proposé des options d’assemblage local, sans succès notable.
Une vitrine militaire et industrielle en guerre ouverte
À défaut de commandes étrangères, Moscou utilise le théâtre ukrainien comme démonstration. L’usage du Su‑57 en conditions de guerre vise à attirer l’attention de clients potentiels. Il s’agit d’un pari industriel risqué : si les performances sont convaincantes, le Su‑57 pourrait apparaître comme une alternative à bas coût face aux F‑35 ou Rafale. Mais en cas d’échec ou de perte de l’un des appareils, la crédibilité du programme en souffrirait durablement.
Il faut noter que chaque Su‑57 perdu serait difficilement remplaçable à court terme, tant la cadence de production reste basse. De plus, contrairement à ses concurrents américains ou européens, l’avion russe ne peut s’appuyer sur un écosystème d’entretien, de soutien logistique ou de coopération industrielle.
Une doctrine encore à construire pour l’armée russe
Malgré ses engagements ponctuels, le Su‑57 n’est pas encore le pilier de la force aérienne russe. Il est encore loin d’un déploiement massif ou d’une intégration systématique dans les escadrons de première ligne. Ses missions réelles restent probablement limitées à des frappes de précision ou des tests d’armements, souvent en arrière-ligne.
Il faudra observer si, dans les mois à venir, la Russie parvient à augmenter la fréquence d’usage de l’appareil, à sécuriser ses performances face à des défenses modernes, et surtout à en livrer un nombre suffisant pour justifier son statut d’avion de série.
Une crédibilité en jeu dans un marché restreint
Le marché mondial des avions de chasse de cinquième génération est déjà dominé par le F‑35, avec plus de 900 exemplaires livrés à ce jour dans une quinzaine de pays. Dans ce contexte, le Su‑57 doit convaincre sur des bases strictement opérationnelles, faute de réseau diplomatique ou logistique comparable.
Son atout principal reste le prix. Estimé à 35–40 millions d’euros l’unité, il est nettement inférieur à ses concurrents occidentaux. Mais sans garanties de performance ni système de maintenance, il reste un pari pour tout acheteur potentiel.
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