Forces françaises : cap sur le spatial et le combat haute intensité

Forces françaises : cap sur le spatial et le combat haute intensité

La France militarise l’espace et modernise ses moyens aériens pour faire face aux conflits de haute intensité et aux menaces antisatellites croissantes.

La militarisation de l’espace et le retour des conflits de haute intensité imposent une transformation rapide des forces aériennes françaises. Le général Jérôme Bellanger, chef d’état-major de l’Armée de l’Air et de l’Espace, annonce une série d’initiatives techniques majeures : développement de drones de combat, restauration des capacités de guerre électronique, et adaptation de la flotte pour des missions complexes comme la suppression des défenses aériennes ennemies. Parallèlement, la France affirme son ambition dans l’espace, avec le déploiement de capacités anti-satellites, de ballons manœuvrants à haute altitude, et de satellites patrouilleurs géostationnaires. Le renforcement de la doctrine ACE (Agile Combat Employment) et l’augmentation du nombre de Rafale visent à garantir une flexibilité stratégique accrue dans un environnement marqué par la saturation de l’espace aérien et l’émergence de menaces hybrides.

L’évolution doctrinale de l’Armée de l’Air et de l’Espace

Le changement de cap amorcé par l’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE) résulte d’une analyse stratégique sans ambiguïté : l’hypothèse de conflits limités ne suffit plus à guider la préparation des forces. Le retour des conflits symétriques – comme en Ukraine – implique de revaloriser les capacités que la France avait réduites dans les années 1990, notamment en matière de guerre électronique offensive et de suppression de défenses aériennes ennemies (SEAD).

Les exercices Opération Poker, organisés quatre fois par an, mobilisent jusqu’à 50 aéronefs, dont des Rafale, A330 MRTT et A400M, dans des scénarios de raid nucléaire simulé. Ce dispositif sert à tester en conditions réelles la capacité de la France à pénétrer un espace aérien fortement défendu, de nuit, avec des ravitaillements en vol et des brouillages électromagnétiques. Ce type d’exercice impose un entraînement annuel d’au moins 180 heures de vol et 60 heures de simulateur par pilote de Rafale pour atteindre le niveau de performance requis.

L’AAE maintient également une capacité de projection rapide, comme l’a montré l’exercice Pégase Grand Nord en 2024 : six Rafale et trois Mirage 2000D ont mené une opération multinationale en Suède, Pologne et Croatie avec un soutien logistique réduit, démontrant la faisabilité du concept ACE. L’Armée française anticipe une guerre de mouvement impliquant des bases avancées légères, avec des escadrons capables d’être projetés en moins de 48 heures avec des moyens limités.

Ce redéploiement doctrinal repose sur une flotte modernisée : la montée en puissance du Rafale devrait atteindre un parc total de 225 avions à l’horizon 2035, en remplacement total des Mirage. L’évolution vers le standard F5, en cours de développement avec Dassault Aviation, vise à intégrer un missile SEAD de nouvelle génération (RJ10), un système de guerre électronique renforcé et une compatibilité totale avec les drones de combat autonomes. Cette transformation anticipe aussi le passage progressif au Système de Combat Aérien du Futur (SCAF), dont certains composants seront testés dès le F5.

Restauration des capacités SEAD et guerre électronique

Pendant près de deux décennies, la France a réduit ses investissements dans la suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD) et la guerre électronique offensive, considérant que ces menaces étaient marginales dans les théâtres d’opérations asymétriques (Sahel, Levant). Le retour des conflits entre États disposant de systèmes sol-air modernes (S-300, S-400, HQ-9, etc.) oblige désormais à corriger cette lacune. Le général Bellanger l’affirme clairement : ces capacités seront réintégrées comme priorités opérationnelles dans la prochaine loi de programmation militaire.

Le programme Rafale F5, attendu vers 2030, est la pierre angulaire de cette reconstruction. Ce standard intégrera le missile RJ10, en cours de développement par MBDA, destiné à neutraliser des systèmes sol-air à moyenne et longue portée. Ce missile devrait reposer sur un guidage inertiel robuste et une capacité de ciblage résistante au brouillage GPS, avec une tête chercheuse multispectrale permettant d’identifier un radar actif malgré les contre-mesures. À court terme, des solutions provisoires sont à l’étude contre les menaces à courte portée, notamment via la modernisation du missile A2SM avec une capacité anti-radar.

Parallèlement, l’AAE investit à nouveau dans la guerre électronique offensive. Le système SPECTRA, qui équipe déjà le Rafale, sera renforcé pour inclure des capacités actives de brouillage directionnel et de leurre radar. L’Armée a également lancé l’exercice Black Crow, dédié à l’entraînement contre des défenses électromagnétiques adverses complexes. À cela s’ajoute la mise en place d’une structure de commandement EW dédiée, avec un général responsable de l’intégration des capacités électroniques à tous les niveaux de planification.

Ces développements s’accompagnent de programmes industriels transversaux : Thales, Safran, Dassault et MBDA collaborent à la mise au point d’équipements embarqués et de leurres actifs. Cette synergie vise une autonomie technologique complète dans les domaines critiques du brouillage, de la furtivité électronique, et de l’exploitation du spectre électromagnétique.

Les conséquences opérationnelles sont significatives. En rétablissant une capacité SEAD, la France se donne les moyens de franchir une bulle A2/AD (anti-access/area denial) en cas de conflit majeur, tout en réduisant les risques pour ses pilotes. De même, une capacité de guerre électronique offensive permettrait de dégrader l’ensemble du système C4ISR ennemi (commandement, contrôle, communications, renseignement, surveillance), préalable indispensable à toute intervention aérienne dans un espace contesté.

Développement des drones de combat et UCAV liés au Rafale F5

L’Armée de l’Air et de l’Espace (AAE) inscrit désormais le développement de drones de combat (UCAV) comme une priorité tactique et industrielle, en lien direct avec l’évolution du Rafale vers le standard F5. Cette approche répond à plusieurs enjeux : la saturation des défenses adverses, la protection des vecteurs habités et la montée en puissance du combat collaboratif.

Le général Bellanger évoque une architecture en “essaims multi-niveaux”. Elle combine :

  1. des UCAV lourds furtifs, armés, à capacité de pénétration et à autonomie élevée (10 à 15 h de vol, rayon d’action de 1 500 km),
  2. des drones de saturation à bas coût (inférieurs à 3 M€ l’unité), capables de simuler des signatures radar, de brouiller ou de lancer des attaques en essaim,
  3. des vecteurs de type “remote carriers”, interconnectés, déployables par Rafale, et destinés à frapper, perturber ou désorganiser une défense en profondeur.

Le Rafale F5 intégrera une liaison de données sécurisée permettant le contrôle en vol de plusieurs UCAV et la répartition dynamique des rôles. L’objectif est de faire du pilote un chef de formation numérique, déportant la prise de risque sur des drones tout en conservant la décision humaine. Le développement de ces capacités anticipe les briques du SCAF (Système de Combat Aérien du Futur), dont l’entrée en service est attendue vers 2040.

Sur le plan industriel, Airbus Defence and Space, Dassault Aviation et MBDA collaborent à des démonstrateurs comme Remote Carrier X et nEUROn, tandis que la DGA investit dans des programmes exploratoires pour des drones consommables. La plateforme UCAV du Rafale F5 pourrait dériver d’un engin comme le nEUROn, furtif, subsonique, doté d’une soute interne, et opérant en coordination via intelligence artificielle embarquée.

Les conséquences opérationnelles sont majeures. Un groupe Rafale + UCAV permettrait :

  • une pénétration en profondeur dans des zones A2/AD avec réduction du risque humain,
  • une dispersion du feu ennemi via saturation électromagnétique ou physique,
  • une capacité d’entrée en premier, précédant les frappes conventionnelles,
  • une surveillance prolongée, voire des missions de relais de communication en milieu dégradé.

Ce modèle rejoint les doctrines américaines (NGAD/CCAs), britanniques (GCAP), et israéliennes (Harop, Harpy NG). Il marque un changement de paradigme : la valeur ajoutée de l’homme n’est plus la présence dans la zone de combat, mais la gestion dynamique d’un réseau de capteurs et d’effecteurs distribués, adaptables en temps réel. C’est une rupture capacitaire que le standard F5 entend préfigurer dès 2030.

Forces françaises : cap sur le spatial et le combat haute intensité

Spatialisation des opérations et militarisation de l’espace

L’entretien avec le général Jérôme Bellanger confirme un tournant stratégique majeur : l’intégration croissante de l’espace comme théâtre d’opérations militaires à part entière. La France, par la voix de l’AAE, structure désormais sa doctrine autour d’un continuum allant de la haute atmosphère à l’orbite géostationnaire, avec des capacités dédiées pour agir depuis l’espace, dans l’espace et contre l’espace.

Une militarisation dictée par les menaces

Les États-Unis, la Russie et la Chine ont d’ores et déjà intégré les fonctions contre-satellite (ASAT) dans leurs arsenaux. Pékin, par exemple, a testé dès 2007 un missile antisatellite de type SC-19, capable de frapper un satellite à plus de 860 km d’altitude. Moscou dispose de satellites co-orbitaux suspectés de capacités offensives, comme Kosmos-2542. Face à cette réalité, la France a officiellement reconnu en 2019 l’espace comme un milieu de confrontation, et non plus seulement de soutien.

Des programmes structurants français et européens

La doctrine française repose sur plusieurs projets :

  • Le programme Yoda, démonstrateur de satellites patrouilleurs en orbite géostationnaire (GEO), mené par le CNES et Thales Alenia Space, qui a préparé l’architecture d’Egide, la future capacité d’inspection active et de protection des satellites. Une mise en service est attendue dans la seconde moitié des années 2020.
  • Le démonstrateur Toutatis, développé pour les manœuvres de proximité en orbite basse (LEO), complète l’effort pour tester les stratégies d’approche, d’interception ou de brouillage.
  • La participation à l’initiative IRIS², constellation européenne de communication sécurisée, qui introduira des capacités duales civiles et militaires à horizon 2027-2030.

Ces capacités visent aussi bien la surveillance des objets orbitaux que la réponse active à une tentative d’intrusion, par brouillage électromagnétique ou action cinétique limitée. À terme, la France cherche à se doter de moyens de désactivation réversible, sur modèle des armes à énergie dirigée.

Une souveraineté à protéger : le haut de l’atmosphère comme zone floue

Le général Bellanger évoque une ambition nouvelle : maîtriser la haute atmosphère jusqu’à environ FL3300 (environ 100 km d’altitude), zone dite “sub-orbitale”, encore peu régulée. C’est dans cet espace que s’inscrivent les futurs programmes comme :

  • Balman, ballon manoeuvrant à très haute altitude (jusqu’à 25 km), capable de mission de surveillance persistante et de tests ISR,
  • des plateformes à ailes fixes (pseudo-satellites type Zephyr) pouvant rester en vol pendant plusieurs semaines.

La France se donne les moyens d’agir en autonomie, à partir de son territoire ou depuis des théâtres éloignés, pour observer, prévenir ou riposter. Cette approche inclut également la notion de “responsive space”, avec des micro-lanceurs capables de mettre en orbite des satellites tactiques en moins de 48 h. Les initiatives comme HyPrSpace, Latitude, ou ArianeWorks sont désormais intégrées à la stratégie nationale, avec le soutien du CNES et de l’Agence de l’innovation défense.

Cette montée en puissance dans l’espace militaire implique aussi des choix industriels et doctrinaux lourds. La France devra gérer la saturation croissante de l’orbite basse, les règles d’engagement dans un milieu sans frontière claire, et l’interopérabilité avec les forces alliées, notamment via l’OTAN et des initiatives bilatérales (avec l’Allemagne ou le Royaume-Uni).

Modernisation des capacités de guerre électronique et SEAD

Le retour d’une guerre d’attrition en Europe de l’Est, marqué par des environnements saturés en défenses sol-air, a profondément modifié les priorités françaises en matière d’interdiction d’accès (A2/AD). Le général Bellanger confirme une évolution doctrinale majeure : la reconstruction de capacités de Suppression des Défenses Antiaériennes ennemies (SEAD) et de guerre électronique offensive (EW). Ces compétences, mises en sommeil dans les années 1990 après la disparition de la menace soviétique, redeviennent critiques.

SEAD : une priorité pour garantir l’entrée en premier

La mission SEAD consiste à neutraliser ou dégrader les défenses sol-air adverses (radars, batteries SAM), en vue d’ouvrir une brèche pour les raids offensifs. La France s’appuie aujourd’hui sur le développement d’un missile air-sol spécialisé, le RJ10, confié à MBDA. Il s’agira d’un système capable de :

  • viser des systèmes sol-air à moyenne et longue portée (type S-300/400 russes ou HQ-9 chinois),
  • fonctionner avec des modes de guidage inertiels, électro-optiques, et passifs radar,
  • résister au brouillage GPS et aux tentatives d’aveuglement électronique.

Le missile RJ10 est conçu pour équiper le futur standard Rafale F5, avec une entrée en service prévue après 2030 pour la version longue portée. Une version à portée intermédiaire est attendue dès 2030, pour les théâtres les plus urgents.

Rafale F5 et guerre électronique : vers une capacité offensive intégrée

La guerre électronique offensive revient également dans les priorités doctrinales. L’armée de l’air et de l’espace réintègre désormais cette fonction dans sa structure opérationnelle. Les efforts se concentrent sur trois axes :

  1. Spectra, le système d’autoprotection du Rafale, sera amélioré dans le standard F5 pour offrir des fonctions de leurrage actif, brouillage directionnel, et déception radar.
  2. Formation dédiée : des officiers de guerre électronique sont désormais affectés à chaque escadron, encadrés par une cellule centrale de doctrine au sein du centre de guerre aérienne (CReA).
  3. Exercices spécialisés, comme Black Crow, mettent les équipages en situation de confrontation électronique à grande échelle.

À terme, l’objectif est d’intégrer ces compétences à un cadre tactique collaboratif, où les capteurs et brouilleurs des différents aéronefs (habités et non habités) opèrent en réseau.

Les conséquences opérationnelles : flexibilité et effet de masse

La combinaison SEAD + EW offensive vise à délivrer des effets à distance, à défendre des zones clés (comme un espace aérien allié), ou à ouvrir un corridor d’accès pour des frappes conventionnelles ou nucléaires. Ce tandem renforce la capacité française à mener des missions :

  • dans des contextes de refus d’accès à haute densité radar,
  • face à des opérateurs étatiques technologiquement avancés (Russie, Chine),
  • en coalition, avec une interopérabilité OTAN renforcée (coordination SEAD multinationale).

Cela implique aussi un investissement technologique soutenu. Les développements en cours devront s’accompagner d’une mise à jour des simulateurs, d’une génération automatisée de plans de mission SEAD, et de l’adaptation des réseaux C2 (Command & Control) pour intégrer des frappes électroniques dynamiques.

Déploiement des drones de combat et porteurs téléopérés du Rafale F5

La doctrine française d’aviation de combat collaborative s’organise désormais autour du concept de drone de combat téléopéré (UCAV) et de porteurs déportés (remote carriers). Ces capacités visent à épauler les avions habités, comme le futur Rafale F5, pour saturer l’espace aérien, brouiller les défenses ou effectuer des frappes ciblées. Cette approche répond à une exigence tactique claire : réduire le risque humain tout en maximisant la charge utile, l’endurance et la résilience du dispositif global.

Un système de systèmes intégré autour du Rafale F5

Le Rafale F5, attendu à partir de 2030, sera au cœur de ce dispositif collaboratif. Il sera conçu pour :

  • piloter à distance un ou plusieurs drones UCAV ou porteurs,
  • échanger des données temps réel via liaison sécurisée avec ses auxiliaires,
  • déléguer des fonctions critiques : frappe d’ouverture, reconnaissance, leurrage, suppression radar.

Le drone associé pourra embarquer une baie d’armement interne, une signature radar réduite, et des capteurs de type optronique infrarouge, ESM ou radar AESA compact. Il pourra effectuer la première frappe, suivi du Rafale avec son propre armement, dans un schéma d’entrée en premier. Ce concept est pensé pour les théâtres hautement défendus, en particulier face aux défenses russes ou chinoises.

Typologie des porteurs : saturation et efficacité économique

Le concept de “remote carrier” recouvre plusieurs catégories de vecteurs :

  1. UAV tactiques à bas coût, pour saturer les défenses adverses (ex : porteurs leurres ou drones brouilleurs).
  2. UAV MALE réutilisables, pour surveillance, guerre électronique ou frappe limitée.
  3. UCAV furtifs lourds, opérant en coordination directe avec le Rafale, pour des missions de pénétration.

L’architecture envisagée permet une gradation de l’engagement, d’abord par des essaims de drones consommables, ensuite par des vecteurs plus complexes, jusqu’au Rafale, qui conserve la supériorité décisionnelle.

Objectifs opérationnels et avantages tactiques

Ce dispositif offre plusieurs bénéfices :

  • Effet de masse sans inflation des coûts : un Rafale peut diriger plusieurs drones à moindre coût.
  • Résilience accrue : la perte d’un vecteur non habité n’entraîne pas de pertes humaines.
  • Souplesse tactique : drones et Rafales peuvent adopter des trajectoires dissociées, semer la confusion dans les défenses, brouiller les radars, ou feindre des attaques.

En termes budgétaires, le développement des UCAV français est encore partiellement intégré dans les enveloppes de recherche. Les études industrielles sont menées par Dassault Aviation, MBDA, Safran, Thales et leurs partenaires européens, dans le cadre de travaux communs liés au programme SCAF (Système de Combat Aérien du Futur).

Intégration au SCAF : une compatibilité anticipée

Le Rafale F5 est explicitement pensé comme brique d’attente du SCAF. La logique est de permettre une transition fluide, sans rupture capacitaire, avec :

  • l’intégration de technologies de capteurs fusionnés,
  • une évolution du moteur M88,
  • et un cockpit digitalisé, adapté à la gestion d’un réseau tactique distribué.

Ces développements anticipent les standards de l’avion de 6e génération du SCAF, et permettront à la France de rester compétitive, tout en assurant la souveraineté de ses chaînes de commandement et d’engagement.

Militarisation de l’espace : une priorité stratégique assumée

La militarisation de l’espace est désormais au cœur des priorités opérationnelles de l’Armée de l’Air et de l’Espace française. Cette transformation découle d’une double pression : l’essor des capacités offensives russes et chinoises dans l’espace, et la nécessité de protéger les actifs orbitaux essentiels à la conduite des opérations militaires modernes.

Une vision continue de l’espace : de la haute altitude à l’orbite

Le général Jérôme Bellanger défend une approche élargie du champ d’opérations : de la haute atmosphère (jusqu’à 25 km d’altitude) à l’orbite géostationnaire (35 786 km). Cette zone « supérieure » inclut aussi bien les ballons stratosphériques que les satellites de communication ou de reconnaissance. Elle constitue ce que l’Armée française désigne comme continuum air-espace.

Les opérations aériennes ne s’arrêtent donc plus au plafond de vol classique d’un avion de chasse (FL500 ou ~15 000 m), mais s’étendent jusqu’au FL3300 (soit environ 100 km), franchissant ainsi le seuil de la Kármán.

Capacité spatiale : observation, brouillage, dissuasion

Plusieurs programmes sont en développement ou en cours de démonstration :

  • Egide : futur satellite patrouilleur en orbite géostationnaire. Objectif : surveiller, suivre, voire neutraliser un satellite tiers jugé hostile. Il succèdera aux démonstrateurs Yoda, testés avec succès depuis 2022.
  • Toutatis : démonstrateur en orbite basse, conçu pour tester des manœuvres proches, des capacités d’interception douce ou de brouillage.
  • IRIS² : constellation souveraine de communication sécurisée de l’UE. La France y participe activement pour garantir une autonomie stratégique.
  • Brouillage depuis l’espace : capacité à désorganiser ou aveugler un satellite adverse, via guerre électronique ou armes à énergie dirigée. Ces capacités sont identifiées comme déjà opérationnelles en Russie et en Chine, selon des évaluations de l’OTAN et du CNES.

Montée en puissance industrielle et technologique

L’enjeu est double : accélérer le calendrier des lancements, tout en garantissant une souveraineté complète sur l’infrastructure spatiale nationale. Plusieurs initiatives sont en cours :

  • Développement de petits lanceurs agiles (ex : projets de startups comme Latitude ou Sirius Space).
  • Implication d’ArianeGroup dans des lanceurs répondant aux besoins militaires.
  • Besoin critique de lancements réactifs, capables de mettre sur orbite un satellite tactique en moins de 48 heures. Cela implique des sites de tir mobiles, une logistique optimisée et des protocoles simplifiés.

En 2024, la France disposait d’un budget spatial de 2,3 milliards d’euros, en croissance. Le Commandement de l’espace, créé en 2019, est désormais pleinement intégré au sein de l’Armée de l’air et de l’espace, avec un effectif dédié et un centre opérationnel à Toulouse.

Conséquences opérationnelles et enjeux de doctrine

Cette militarisation assumée transforme l’espace en zone d’affrontement potentielle. Plusieurs conséquences directes :

  • Préemption et déni d’accès : empêcher un adversaire d’utiliser ses capacités spatiales en cas de conflit.
  • Vulnérabilité accrue : les satellites civils et militaires sont exposés à des attaques de brouillage, laser ou cyber. Il faut donc renforcer la résilience (multiplication des plateformes, modularité, architectures distribuées).
  • Intégration tactique : l’espace devient un levier direct de conduite des opérations : ciblage, communications, détection, positionnement.

Enfin, cette logique impose une coopération renforcée avec les alliés européens et de l’OTAN. La France participe aux exercices spatiaux de l’Agence de défense européenne et dialogue avec les États-Unis dans le cadre du Combined Space Operations Initiative.

Les ballons manoeuvrants : un retour stratégique par la haute atmosphère

Le programme BALMAN (Ballon Manœuvrant) incarne une approche discrète mais stratégique de la militarisation de la haute atmosphère. Ce type de vecteur, longtemps considéré comme obsolète, revient aujourd’hui dans les priorités de l’Armée de l’Air et de l’Espace, en réponse à la complexification du théâtre aérien et spatial.

Une capacité complémentaire entre drone, satellite et missile

Les ballons stratosphériques évoluent à des altitudes comprises entre 18 000 et 25 000 mètres, échappant à la majorité des radars sol-air classiques et des systèmes anti-aériens à moyenne portée. Ils offrent plusieurs avantages opérationnels :

  • Endurance : ils peuvent rester en l’air plusieurs semaines, voire plusieurs mois, contrairement aux drones ou satellites de passage.
  • Coût unitaire faible : un ballon coûte jusqu’à 50 fois moins qu’un satellite optique ou radar.
  • Charge utile modulaire : capteurs ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance), systèmes de communication relais, ou brouilleurs électromagnétiques.

Utilisés pour la surveillance aérienne de longue durée, ils complètent les dispositifs existants, notamment dans des zones d’accès contesté, sans nécessiter de survol direct d’un territoire hostile.

Les défis techniques : pilotage, contrôle, récupération

Le programme BALMAN, en phase de démonstration avancée, se heurte à plusieurs contraintes :

  • Maîtrise de la trajectoire : contrairement aux ballons dérivants, BALMAN doit suivre un itinéraire défini, en jouant sur les couches atmosphériques à différentes altitudes. Cela suppose un pilotage automatisé et une connaissance fine de la météo haute altitude.
  • Récupération : après mission, le ballon et sa charge utile doivent pouvoir être récupérés, ce qui nécessite une coordination logistique complexe, notamment en zone extraterritoriale.
  • Résistance climatique : à 25 000 mètres, la température peut descendre à −50 °C avec des vents violents. L’enveloppe, le système de propulsion et les équipements embarqués doivent être testés pour ces environnements extrêmes.

Le prochain vol d’essai est annoncé pour la fin 2025, avec une durée de mission de plus de 10 jours, selon les déclarations officielles du ministère des Armées.

Applications pratiques et rôle dans la doctrine française

L’usage des ballons stratosphériques s’inscrit dans une logique de capteurs persistants pour la surveillance de sites sensibles, de mouvements aériens ou maritimes. Dans un contexte comme celui de l’Arctique ou du Sahel, ils permettraient une vigilance continue sans exposition directe de pilotes ou de drones.

Ils peuvent aussi jouer un rôle dans la détection de missiles balistiques lors de leur phase ascendante, ou dans le relais de communications en zone dégradée (suite à brouillage ou saturation satellitaire). Certains modèles étrangers sont même envisagés pour servir de plateformes de guerre électronique embarquée.

Enfin, leur faible signature radar les rend difficiles à détecter. C’est d’ailleurs une technologie similaire qu’un F-22 américain a abattu en 2023 au-dessus du territoire américain, après la détection d’un ballon chinois. La France cherche donc à intégrer ces outils dans une chaîne complète de commandement air-espace, en phase avec sa doctrine de manœuvre multi-milieux.

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