FCAS : Paris exige un nouveau partage industriel du projet

FCAS France

La France demande à ses partenaires de réviser le partage industriel du programme FCAS pour garantir la livraison du chasseur à partir de 2040.

La France a formulé une demande officielle à l’Allemagne et à l’Espagne pour repenser la répartition du travail industriel au sein du programme Future Combat Air System (FCAS). Ce projet vise la mise en service d’un nouveau système de combat aérien autour de 2040. La Direction générale de l’armement (DGA) invoque la nécessité d’assurer le respect du calendrier, alors que des retards apparaissent dans la phase actuelle. Dassault Aviation, responsable du développement de l’avion de chasse, réclame plus de contrôle dans certaines briques clés du programme. Le différend avec Airbus, représentant allemand et espagnol, porte sur les responsabilités industrielles et la gouvernance. Malgré des avancées techniques, la mise en œuvre de la phase 2 en 2026 est menacée si une nouvelle organisation n’est pas trouvée rapidement. Paris plaide pour une gouvernance inspirée du programme nEUROn, avec Dassault en tête.

La France veut renforcer son leadership dans le projet FCAS

Le projet FCAS a été lancé en 2017 avec une ambition claire : doter l’Europe d’un système aérien de nouvelle génération, capable d’assurer la supériorité aérienne dans un environnement militaire contesté. Ce programme repose sur trois piliers principaux : un avion de chasse de 6ᵉ génération (NGF), des drones d’accompagnement (remote carriers), et un cloud de combat assurant la mise en réseau de tous les éléments.

Depuis le début, la répartition du travail se voulait équilibrée : Dassault Aviation pour l’avion, Airbus pour le cloud de combat, et Indra Sistemas pour les drones. Mais dans les faits, la coexistence industrielle est restée fragile. Dassault Aviation dénonce régulièrement les lenteurs provoquées par les discussions de gouvernance et les tentatives de codirection imposées par Airbus, notamment sur les briques critiques du chasseur.

Aujourd’hui, la France souhaite revoir cette organisation. Elle propose un partage plus clair des tâches, basé sur l’expérience et la compétence technique. Dassault, qui conçoit déjà les Rafale et a dirigé le projet européen nEUROn, veut reprendre la main sur les éléments critiques de l’avion, notamment le cockpit, le pilotage de mission et l’architecture système.

L’objectif affiché est double : éviter les retards, et garantir un programme piloté par ceux qui ont une expérience concrète de la mise en œuvre d’un avion de chasse complet. Cette approche remet en question le principe de stricte parité entre les trois pays, en proposant une gouvernance différenciée selon les compétences réelles.

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Un calendrier en tension : 2040 est-il toujours atteignable ?

Le calendrier initial prévoyait un vol du démonstrateur NGF autour de 2029, avec une mise en service du système complet vers 2040. Mais plusieurs retards ont déjà été enregistrés dans la phase 1B, notamment liés à des blocages sur la propriété intellectuelle et la répartition des tâches industrielles.

La phase 2, qui doit être lancée début 2026, consiste à produire un démonstrateur fonctionnel. Cette étape est essentielle pour valider les choix technologiques, tester les interactions avec les drones, et évaluer le cloud de combat en situation réelle. Or, tout retard dans la structuration de cette phase pourrait reporter de plusieurs années la livraison du système final.

Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation, alerte régulièrement sur le décalage temporel accumulé. Selon lui, une mise en service en 2045 est désormais plus réaliste si les conditions actuelles perdurent. De son côté, Airbus continue de communiquer sur la cible de 2040, mais sans apporter d’assurance technique sur le respect des jalons.

Ce décalage est problématique à plusieurs niveaux. D’abord pour les forces armées françaises, qui comptent sur le NGF pour assurer la permanence de la dissuasion nucléaire aéroportée, actuellement assurée par le Rafale F3-R. Ensuite, sur le plan budgétaire, une mise en service repoussée nécessiterait un ajustement du cycle d’investissement militaire sur la période 2035–2045.

Les enjeux stratégiques d’un rééquilibrage industriel

Derrière la question du partage du travail, c’est en réalité le contrôle technologique du projet qui est en jeu. Pour la France, assurer un leadership sur l’architecture de l’avion permettrait de maîtriser les évolutions ultérieures, de garantir l’autonomie des chaînes de décision, et de faciliter les perspectives d’exportation.

Ce rééquilibrage aurait également un impact sur la souveraineté technologique européenne. Si Dassault reste maître d’œuvre du NGF, cela garantirait la présence d’une capacité indépendante de conception de systèmes de combat complets. Mais cela nécessite que l’Allemagne et l’Espagne acceptent une place secondaire sur certains sous-systèmes critiques.

Inversement, maintenir une répartition paritaire entre partenaires au nom de l’équité pourrait produire une structure de gouvernance lourde, propice aux conflits de responsabilité et à l’inefficacité. Les difficultés rencontrées lors de la première phase du programme témoignent de cette réalité.

Le modèle proposé par la France s’inspire de celui du nEUROn, un programme de drone furtif dirigé par Dassault et impliquant six pays européens, dans lequel le leadership technique était centralisé. Cette centralisation avait permis de livrer un démonstrateur en moins de 8 ans, malgré un budget limité.

Quelles perspectives pour la coopération européenne de défense ?

Le programme FCAS n’est pas un simple projet industriel : il incarne la volonté de créer une capacité aérienne commune européenne, capable de rivaliser avec les projets américains (NGAD) ou asiatiques (Chine, Japon). En cas d’échec du modèle coopératif, c’est la crédibilité même d’une défense européenne intégrée qui serait affaiblie.

Des tensions persistantes pourraient conduire à un désengagement partiel de l’Allemagne, ou à une coopération redéfinie en fonction des blocs industriels. L’existence du programme concurrent GCAP (Global Combat Air Programme) réunissant le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon, renforce cette menace. Si le FCAS perd en cohérence, certains États européens pourraient être tentés de rejoindre ce second axe.

Pour éviter ce scénario, un compromis semble nécessaire. Il devra permettre à Dassault de diriger techniquement le volet avion, tout en garantissant à Airbus et Indra des responsabilités visibles sur les volets cloud et drones. Il devra aussi intégrer une gouvernance opérationnelle efficace, capable de trancher sans paralysie.

La survie du projet FCAS dépendra de cette capacité à articuler efficacité technologique et coopération politique, sans sacrifier la rapidité ni l’intérêt stratégique de chacun des partenaires.

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