Désaccords entre Dassault et Airbus sur le projet SCAF

SCAF

Le programme SCAF est fragilisé par des tensions entre Dassault et Airbus, révélées lors du salon du Bourget en juillet 2025.

Un projet stratégique sous tension

Le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF), programme européen censé donner naissance à un avion de chasse de sixième génération d’ici 2040, traverse une nouvelle crise. Le 23 juillet 2025, en marge du salon du Bourget, des sources industrielles et gouvernementales ont confirmé que des divergences profondes opposaient Dassault Aviation à Airbus Defence and Space, menaçant directement la viabilité du projet. Cette mésentente porte principalement sur la répartition des tâches dans la phase de développement du démonstrateur, prévue pour 2028, et sur les responsabilités industrielles liées aux systèmes critiques de pilotage.

Porté depuis 2017 par la France, l’Allemagne et l’Espagne, le SCAF doit remplacer à terme le Rafale et l’Eurofighter Typhoon, et incarner l’autonomie stratégique européenne dans le domaine aérien. Mais derrière l’objectif affiché d’unir les forces technologiques du continent, le programme reste freiné par des rivalités industrielles, des objectifs politiques concurrents et un manque d’arbitrage clair des États partenaires.

Le différend public entre deux piliers de l’industrie aéronautique européenne montre que les annonces politiques ne suffisent pas à garantir la solidité d’un programme aussi complexe. Sans un accord rapide, le SCAF pourrait accumuler du retard, voire perdre son attractivité face aux projets concurrents comme le GCAP porté par le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon.

Un désaccord structurel entre deux visions industrielles opposées

Le cœur de la discorde repose sur le pilotage industriel du démonstrateur de l’avion de combat, prévu pour voler à l’horizon 2029. Dassault Aviation, concepteur du Rafale, souhaite conserver la maîtrise exclusive de la cellule de vol, y compris les commandes de vol, la discrétion radar et l’interface homme-machine. Pour l’entreprise française, cette exigence est non négociable, au nom de son savoir-faire reconnu dans la conception de chasseurs modernes et de son indépendance technique.

Airbus, en tant que co-leader du projet, conteste ce monopole. L’entreprise allemande exige une répartition équitable des tâches, notamment sur les briques technologiques de l’avion, y compris les logiciels critiques et les systèmes embarqués. L’argument avancé par Airbus est que les compétences industrielles allemandes sont à la hauteur du défi, et qu’une répartition déséquilibrée créerait un précédent inacceptable pour les phases futures du programme.

Ces tensions ne sont pas nouvelles. En 2021 puis en 2022, des blocages similaires avaient conduit à plusieurs mois de gel des négociations, jusqu’à la signature in extremis d’un protocole d’accord. Le même scénario semble se répéter. La situation est d’autant plus complexe que l’Espagne, troisième partenaire du SCAF, n’est pas neutre : son industrie, représentée notamment par Indra, entend jouer un rôle plus actif dans les systèmes de capteurs et la fusion de données, au risque d’alourdir encore les arbitrages industriels.

Le modèle tripartite du SCAF, sans pilote clair et avec des ambitions industrielles concurrentes, montre ici ses limites. Faute de chaîne de commandement directe, chaque partenaire se replie sur ses priorités nationales, quitte à bloquer collectivement la progression du programme.

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Un programme fragilisé face aux contraintes budgétaires et aux alternatives

Le coût total estimé du SCAF pour ses trois partenaires est de l’ordre de 100 milliards d’euros, répartis sur plus de deux décennies. Le budget consacré à la première phase de développement s’élève à 3,8 milliards d’euros, partagé entre les trois États. Ce financement couvre la conception du démonstrateur, ainsi que les premières études sur les drones accompagnateurs, les capteurs interconnectés et la connectivité tactique.

Dans le contexte de révisions budgétaires imposées par la guerre en Ukraine, certains parlementaires allemands ont exprimé des doutes sur la soutenabilité financière du programme, alors que Berlin investit déjà massivement dans l’achat de F-35 américains et dans la modernisation de sa flotte d’Eurofighter. En France, bien que le SCAF soit officiellement intégré à la Loi de programmation militaire 2024–2030, plusieurs sénateurs ont alerté sur le manque de garanties concrètes concernant les étapes de validation technique.

En parallèle, le projet concurrent GCAP (Global Combat Air Programme) progresse plus rapidement. Le démonstrateur britannique, porté par BAE Systems, Leonardo et Mitsubishi, est attendu dès 2027. L’existence d’une feuille de route plus claire, d’une répartition de tâches centralisée et d’un consensus stratégique entre les partenaires rend ce programme plus lisible, et potentiellement plus attractif pour des pays tiers intéressés.

Dans ce contexte, le SCAF risque non seulement de prendre du retard, mais aussi de perdre sa capacité à structurer une industrie de défense européenne autonome. Pour Dassault comme pour Airbus, une impasse prolongée ferait courir le risque d’un éclatement du programme ou d’une simple reconduction des flottes existantes jusqu’à épuisement de leur potentiel opérationnel.

Une décision politique indispensable pour sauver le projet

La seule voie de sortie de crise identifiée à ce jour passe par une intervention directe des chefs d’État, comme cela avait été le cas en 2022. À ce stade, ni l’Élysée ni la chancellerie allemande n’ont exprimé de position publique ferme. L’ambiguïté politique alimente la paralysie industrielle : sans consigne claire sur la gouvernance du projet, les industriels poursuivent leurs revendications contradictoires.

La France insiste pour que Dassault reste l’architecte principal de l’avion de chasse, au nom de la continuité technologique avec le Rafale. L’Allemagne veut garantir un accès égal aux technologies de défense stratégiques, pour ne pas dépendre des capacités d’un partenaire unique. L’Espagne, quant à elle, cherche à éviter une marginalisation de ses industriels, en particulier dans les domaines du cloud de combat et de la guerre électronique.

Ces divergences ne peuvent être tranchées qu’au plus haut niveau. Les retards répétés, les tensions persistantes et le manque de transparence sur les étapes suivantes menacent la crédibilité du programme. Si les arbitrages ne sont pas effectués dans les mois à venir, le SCAF pourrait se réduire à une accumulation de maquettes et de concepts, sans débouché industriel concret.

Les armées, de leur côté, commencent à exprimer leur impatience. Sans calendrier solide ni prototype, les perspectives de remplacement du Rafale et de l’Eurofighter deviennent incertaines. Cela pose un problème opérationnel majeur, car les premières générations de ces appareils approcheront leur limite structurelle à partir de 2035. Or, les délais de conception, d’essais, puis de mise en production d’un avion de chasse dépassent aisément 15 ans.

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