
La start-up Anduril a été sélectionnée par l’US Navy pour développer des drones CCA embarqués. Analyse du programme, de ses enjeux et de la compétition industrielle.
L’US Navy a retenu Anduril Industries pour participer au développement des Collaborative Combat Aircraft (CCA) embarqués sur porte-avions. Ce programme vise à doter la flotte de drones de combat capables d’opérer aux côtés des chasseurs pilotés. L’entrée d’Anduril dans la compétition l’oppose directement à Boeing, Lockheed Martin, Northrop Grumman et General Atomics, acteurs historiques de la défense américaine. La société californienne, fondée par Palmer Luckey, s’appuie sur une réputation de prototypage rapide et de solutions disruptives. Le CCA naval doit permettre de produire des drones en grande série, intégrés aux opérations aéronavales, pour renforcer la supériorité américaine dans les environnements contestés. Cette sélection illustre la volonté de l’US Navy d’ouvrir ses programmes à de nouveaux entrants, capables de livrer des systèmes plus vite et à moindre coût que les géants établis.
Un programme CCA stratégique pour l’US Navy
Le concept de Collaborative Combat Aircraft repose sur l’intégration de drones de combat autonomes ou pilotés à distance aux côtés des chasseurs embarqués. L’objectif est double : augmenter la masse aérienne disponible tout en réduisant le risque humain dans des missions à haute intensité.
L’US Navy cherche à disposer de systèmes capables de décoller et d’apponter sur porte-avions, ce qui impose des contraintes techniques majeures : train renforcé, structure résistante à la corrosion saline, compatibilité avec les catapultes électromagnétiques EMALS et les systèmes d’arrêt modernes. Les drones doivent aussi pouvoir opérer en essaim avec des avions comme le F/A-18E/F Super Hornet ou le futur F/A-XX.
Le budget alloué au programme CCA, partagé avec l’US Air Force, s’inscrit dans un cadre de plusieurs milliards de dollars. Le Congrès a déjà validé des crédits initiaux de 1,2 milliard de dollars (≈ 1,1 Md€) pour la phase de conception. Les premières expérimentations opérationnelles pourraient débuter avant 2030, avec une mise en service progressive dans la décennie suivante. L’US Navy mise sur un rythme de production élevé : plusieurs centaines de drones sont envisagées pour accompagner ses 11 porte-avions nucléaires.
Une start-up face aux géants de la défense
L’entrée d’Anduril Industries dans ce programme marque une rupture. Jusqu’ici, la société californienne s’était illustrée par la fourniture de systèmes autonomes aux armées ukrainiennes et taïwanaises, ou par des solutions de surveillance de frontière. Son approche diffère des grands groupes : cycle de développement court, mise en avant de l’intelligence artificielle et volonté de livrer des produits avant même la certification complète.
Face à elle, des industriels comme Lockheed Martin (constructeur du F-35), Boeing (Super Hornet, MQ-25 Stingray), Northrop Grumman (B-21 Raider, drones Global Hawk) et General Atomics (MQ-9 Reaper) disposent d’un savoir-faire reconnu. Leur expérience dans les programmes navals leur donne un avantage technique certain, mais aussi un rythme d’exécution plus lourd.
L’US Navy, en intégrant Anduril, envoie un signal : accélérer le processus de développement et éviter les retards chroniques qui affectent régulièrement les programmes traditionnels. Cette concurrence accrue pourrait forcer les géants à revoir leurs méthodes et à adopter plus d’agilité.
Un enjeu opérationnel : drones et guerre navale moderne
L’intégration de drones de combat embarqués s’inscrit dans une logique de préparation aux conflits de haute intensité. Face à la montée en puissance de la marine chinoise, qui aligne déjà plus de 350 navires de combat, les États-Unis cherchent à maintenir un avantage qualitatif.
Les drones CCA offriraient plusieurs atouts :
- Reconnaissance avancée à plusieurs centaines de kilomètres d’un porte-avions.
- Leurre et saturation des défenses adverses grâce à des essaims coordonnés.
- Frappes ciblées avec des charges modulaires, allant de missiles air-air à des munitions de précision.
- Relais de communication dans des environnements brouillés.
Un drone CCA pourrait emporter une charge utile de 1 à 2 tonnes, avec une autonomie de 1 500 à 2 000 km, ce qui le placerait entre un chasseur léger et un drone MALE. Sa capacité à apponter en conditions maritimes extrêmes reste l’un des défis techniques majeurs. L’US Navy prévoit d’expérimenter ces drones en essaim pour accompagner une mission de frappe d’envergure, doublant la masse de feu sans multiplier le nombre de pilotes exposés.

Les conséquences industrielles et stratégiques
Le choix d’Anduril confirme une évolution profonde du secteur de la défense américaine. Le Pentagone cherche à ouvrir ses marchés à des entreprises issues de la tech, capables d’apporter rapidité et innovation. Cela représente une menace directe pour les industriels traditionnels, accusés de retards coûteux.
Pour l’US Navy, diversifier ses partenaires réduit le risque de dépendance vis-à-vis de quelques fournisseurs. Pour Anduril, c’est une opportunité de transformer son statut de start-up en acteur central de l’aéronautique militaire. Si l’entreprise parvient à passer du prototype au déploiement industriel, elle pourrait capturer une part significative d’un marché évalué à plus de 50 milliards de dollars (≈ 46 Md€) d’ici 2040.
Au niveau stratégique, ce programme illustre l’évolution des doctrines navales : le porte-avions du futur ne sera pas seulement un lanceur d’avions pilotés, mais une plateforme mixte, intégrant drones et chasseurs dans un système de combat collaboratif. La compétition actuelle est donc bien plus qu’industrielle : elle conditionne la supériorité aéronavale américaine pour les deux prochaines décennies.
Avion-Chasse.fr est un site d’information indépendant.