
Survols de sites, tension réglementaire, montée en cadence des roquettes de 70 mm de Thales Belgium pour la défense anti-drones en Europe et en Ukraine.
En Résumé
La multiplication d’aéronefs sans pilote au-dessus d’infrastructures sensibles en Europe fait surgir un risque industriel et sécuritaire immédiat. Thales Belgium signale des survols suspects et investit dans la détection tout en rappelant l’impasse juridique : en Belgique, le brouillage radio reste interdit hors autorités désignées. Dans le même temps, l’entreprise accélère la production de roquettes de 70 mm avec la FZ123 (éclatement airburst) et la FZ275 LGR (guidée laser), compatibles avec des lanceurs OTAN. Efficacité annoncée contre des cibles de type Shahed jusqu’à 3 km, nuage d’acier d’environ 25 m de diamètre ; coûts bien inférieurs à ceux des missiles sol-air classiques, ce qui traite la question de l’asymétrie économique drones/effeteurs. Le contexte géopolitique (incursions en Pologne, Danemark, Roumanie) a déclenché Eastern Sentry côté NATO et des mesures nationales, comme l’interdiction temporaire des vols de drones au Danemark. À l’échelle européenne, l’instrument SAFE (150 Md€) vise des achats groupés et des cadences soutenues, utiles pour massifier des solutions C-UAS. Les données récentes confirment des livraisons et une montée en cadence (3 500 roquettes guidées prévues en 2025, objectif 10 000/an en 2026, jusqu’à 30 000/an en version non guidée). Point critique : clarifier vite qui a le droit d’intervenir sur un drone hostile au-dessus d’un site industriel, et avec quels moyens, pour éviter l’angle mort entre police, régulateur et opérateurs privés.
Le risque industriel des survols et la réponse opérationnelle
Les survols de sites sensibles par des drones se sont multipliés en Europe depuis septembre. Des aéroports ont été perturbés, comme à Munich, et plusieurs pays ont signalé des incursions au-dessus de bases ou d’installations critiques. À Copenhague, l’autorité a suspendu temporairement tous les vols d’aéronefs télépilotés durant une semaine de sommet européen, signal fort d’une menace vue comme probable et opportuniste. Cette pression opérationnelle se double d’un enjeu industriel : un drone léger au-dessus d’un site pyrotechnique suffit à interrompre un atelier, à immobiliser des stocks d’explosifs, voire à forcer des évacuations et audits de sécurité. Le simple déclenchement d’un plan d’urgence coûte des dizaines de milliers d’euros en heures perdues et contrôles NV-HSE.
Dans ce contexte, Thales Belgium a équipé ses sites (Herstal, Fort d’Évegnée pour stockage et tests de propergols) de moyens de détection. C’est cohérent avec la tendance européenne : capteurs RF passifs, radars à faible portée, caméras optiques couplées à de l’IA pour la discrimination d’objets lents, et corrélation avec ADS-B/RID quand disponible. Mais la détection n’est pas l’interdiction : la neutralisation active (brouillage C2 ou GNSS, prise de contrôle, tir cinétique) reste juridiquement encadrée. Résultat : les industriels voient les drones, mais ne peuvent pas toujours agir sans l’appui des forces publiques. Or les délais d’intervention d’unités spécialisées se comptent en minutes, quand une « visite » de drone dure parfois moins d’une minute.
La pression n’est pas théorique. Des vols groupés ont été relevés en Belgique au-dessus d’un camp militaire d’Elsenborn ; des aéroports danois et norvégiens ont connu des suspensions ; l’Allemagne a renforcé ses procédures après des alertes. L’OTAN a, de son côté, enclenché Eastern Sentry, une activité de vigilance et de posture renforcée sur le flanc Est, pour réagir aux incursions russes dans l’espace aérien des alliés. Le message implicite : la défense aérienne doit intégrer des couches « basses et lentes », avec des réponses proportionnées et disponibles 24/7.
La roquette de 70 mm comme effeteur C-UAS : données techniques et coûts
Face aux « drones consommables » (prix unitaire de quelques milliers à quelques dizaines de milliers d’euros), tirer un missile à 1 M$ n’a pas de sens économique. D’où l’intérêt des roquettes FZ275 LGR (guidage laser semi-actif) et de la charge FZ123 (airburst). Sur le plan technique, on parle d’un calibre 70 mm, longueur typique d’environ 1,8 m, masse d’une douzaine de kilogrammes, avec un moteur fusée à propergol solide. La FZ275 reçoit des canards repliables et une électronique FCS compatible STANAG, pour une précision métrique à 6 km en tir air-sol. Contre des drones, l’enjeu n’est pas la pénétration, mais la létalité volumique : la FZ123 disperse des milliers de billes d’acier, créant un volume létal d’environ 25 m de diamètre. La distance d’engagement anti-UAV visée est annoncée « jusqu’à 3 000 m », ce qui cale avec les temps de poursuite et de désignation laser réalistes depuis hélicoptères Mi-8 adaptés ou plateformes terrestres type Vampire.
Les chiffres industriels récents donnent l’ordre de grandeur : environ 3 500 roquettes guidées en 2025, objectif de 10 000 roquettes/an en 2026. En parallèle, la capacité actuelle en roquettes non guidées atteint 30 000/an, extensible à 60 000/an en double équipe si la chaîne d’approvisionnement suit. Ces volumes s’inscrivent dans un marché où les besoins C-UAS explosent. Côté coûts, Thales ne publie pas de prix unitaire, mais un repère utile : une roquette guidée de 70 mm coûte environ un cinquième d’un missile sol-air « abordable » comme un AIM-7 (environ 125 000 $, soit ~118 000 €). Le ratio d’échange devient soutenable pour de la défense ponctuelle : une batterie terrestre à 4 ou 5 tubes peut traiter des vagues de petits UAV sans épuiser des stocks critiques de missiles haute valeur. En tir air-air court, un hélicoptère peut intercepter en trajectoires convergentes des drones à 200–300 km/h, avec des fenêtres d’illumination compatibles.
Point sportif mais décisif : il faut une acquisition et une poursuite laser fiables. En météo dégradée, la performance se dégrade ; c’est un compromis assumé face au coût et à la masse. D’où l’intérêt d’une architecture multi-capteurs : radar courte portée, optronique IR, RF passif, puis roquette airburst en dernier rideau avant le site.

Le droit du brouillage et la protection des sites : clarifier vite
Le verrou juridique est net : en Belgique, l’IBPT interdit l’importation, la possession et l’usage de brouilleurs radio ; seules certaines autorités (police, pénitentiaire, défense) peuvent y recourir dans des conditions strictes. Dans la plupart des États membres, la logique est proche : la neutralisation active relève du monopole de la force publique. Pour un industriel, cela signifie « détecter et alerter », pas « interdire ». Il en résulte un angle mort : si un drone hostile survole un dépôt de propergol, l’entreprise doit attendre l’équipe compétente, sans pouvoir interrompre le lien C2 ni le GNSS, alors même que le temps d’effet utile est court.
Au niveau européen, la normalisation U-space organise l’intégration des drones civils, mais ne règle pas le contre-UAS. Les travaux ENLETS et JAPCC convergent : autoriser la détection privée, mais réserver les effecteurs à l’État. Techniquement, on comprend la prudence : un brouillage mal maîtrisé peut perturber GSM, LTE, TETRA, GNSS et créer un risque pour la sécurité aérienne. Juridiquement, la responsabilité civile et pénale d’un tir cinétique hors réquisition est lourde. Opérationnellement, pourtant, le statu quo est fragile pour les sites pyrotechniques ou les usines à cadence élevée : un drone qui tombe « n’importe où » après perte de contrôle peut causer des dommages collatéraux.
La voie réaliste ? Des protocoles d’intervention codifiés autour des sites Seveso/pyro, avec boucles courtes entre PC industriel, police et unités C-UAS, zones d’exclusion aérienne temporaires dynamiques, et délégation limitée de moyens non perturbateurs (capture filet, Leurres GNSS localisés, effeteurs dirigés à faible portée), sous contrôle d’une autorité. On peut aussi imaginer des bulles RF temporaires autorisées par arrêté préfectoral/ministerial autour de sites très critiques, avec enregistrement et journalisation obligatoire. Ce n’est pas « confortable » réglementairement, mais continuer à « voir sans pouvoir » n’est pas sérieux. Les responsables sites ont besoin d’un cadre clair, écrit, opposable.
Le financement européen et la soutenabilité : des volumes, pas des one-shots
La question budgétaire conditionne tout. La répétition d’engagements air-air à coups d’AIM-120 ou d’AIM-9X contre des drones à 10 000–50 000 $ est une impasse financière. NATO l’a admis, et la critique publique a enflé après les incursions en Pologne et en Roumanie : on ne peut pas gaspiller des missiles multi-rôles rares face à de la menace jetable. C’est ici que les roquettes C-UAS s’insèrent dans l’échelon « bas coût/haute cadence ». Mais pour livrer des milliers de coups par an, il faut des contrats pluriannuels, des avances et un partage de risques fournisseurs.
Côté UE, SAFE (150 Md€) donne un levier : prêts à long terme pour acheter européen, préférence d’origine à 65 % et horizon de décaissement à partir de 2026. Concrètement, c’est la seule façon d’absorber des plans à 10 000 roquettes/an guidées et 30 000 non guidées, tout en sécurisant poudres, fusées de proximité et cartes électroniques. Ce mécanisme peut aussi financer l’intégration sur véhicules terrestres (Vampire), l’adaptation d’hélicoptères (Mi-8 reconfigurés OTAN), et les stocks de pièces.
Réalisme économique : même si une roquette guidée coûte, mettons, quelques dizaines de milliers d’euros, cela reste un ordre de grandeur dix à vingt fois moins cher qu’un missile sol-air « classique ». En défensive de site, un parc de 200 à 400 roquettes/an par grand opérateur critique n’a rien d’excessif, surtout si l’on ajoute les essais, la péremption pyrotechnique et l’entraînement. Les cadences annoncées par Thales (3 500 en 2025, 10 000/an visées en 2026 pour le guidé ; 30 000/an en non guidé, 60 000/an en double équipe) indiquent une trajectoire crédible à condition de lisser la demande via des achats mutualisés.
Reste une exigence : l’évaluation honnête de l’efficacité. Les premières utilisations en Ukraine confirment l’intérêt contre des Shahed à hauteurs variables. Mais il faut mesurer les taux de coup sûr par contexte (météo, fond de ciel, brouillage adversaire), et décider où placer la roquette dans la « pile » C-UAS aux côtés de l’artillerie programmable 30/35/50 mm, des drones intercepteurs, et des lasers de 20–50 kW encore en maturation.
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