
Deux Rolls-Royce Avon, un rapport poussée/masse redoutable et 50 000 ft/min : comment l’English Electric Lightning a défini l’interception rapide.
En résumé
Intercepteur conçu pour la défense aérienne britannique, l’English Electric Lightning mise sur la puissance brute. Avec deux Rolls-Royce Avon à postcombustion, il affiche un rapport poussée/masse permettant une montée instantanée jusqu’à 50 000 ft/min (≈ 254 m/s) et soutenue autour de 20 000 ft/min (≈ 102 m/s). Son architecture originale — deux turboréacteurs superposés et une prise d’air axiale avec cône radar AI.23 — vise le décollage rapide, l’accélération supersonique (Mach 2 en altitude) et la prise d’altitude éclair pour intercepter des intrus guidé par contrôle sol. Les limites sont connues : rayon d’action restreint, capacité air-sol quasi nulle, avionique fruste au regard des générations suivantes. Mais dans sa mission d’interception QRA, il excelle. Son « surcroît de poussée » inspire la génération suivante d’intercepteurs et préfigure la philosophie des chasseurs à forte puissance spécifique. Remplacé par les Phantom puis par le Tornado F.3, il laisse une empreinte technique durable.
Le dessin d’un intercepteur taillé pour la montée
Le Lightning est conçu autour d’un impératif : atteindre vite la zone de tir. La cellule compacte reçoit deux réacteurs Rolls-Royce Avon installés en « pile » dans le fuselage, avec une admission axiale frontale coiffée d’un cône abritant le radar AI.23. Cette disposition réduit la traînée frontale et concentre les masses près de l’axe, ce qui profite aux transitions à forte incidence et à la stabilité à haute vitesse. L’aile fortement fléchie (environ 60 ° au bord d’attaque), de surface voisine de 32 m², reste fine pour limiter la traînée en régime supersonique.
Le train principal étroit, la grande dérive et le volumineux réservoir ventral signent un appareil pensé pour des pistes militaires, pas pour des terrains sommaires. Les versions tardives adoptent des réservoirs d’extrados pour les convoyages, solution pragmatique à une contrainte chronique : l’avion emporte peu de carburant par rapport à sa consommation en postcombustion. L’ergonomie cockpit et la suite avionique reflètent la priorité : un pilotage direct, des affichages simples, un radar orienté interception courte portée au service des missiles Firestreak puis Red Top.

La performance qui change la cinématique d’interception
La « signature » du Lightning vient de sa puissance. Deux Avon de la série 300 fournissent chacun plus de 70 kN en postcombustion, soit autour de 140–150 kN disponibles selon version. À masse d’interception, le rapport poussée/masse peut approcher l’unité, ce qui autorise une accélération ferme en montée. Les chiffres parlent : 50 000 ft/min instantanés (≈ 254 m/s) lors de la première tranche d’altitude, autour de 20 000 ft/min (≈ 102 m/s) soutenus, et une vitesse de pointe voisine de Mach 2 en haute altitude (≈ 2 100–2 200 km/h selon conditions).
La réaction moteur en postcombustion permet des remises d’énergie rapides après un virage serré. L’appareil gagne alors en verticalité : certains profils légers autorisent une montée quasi axiale avec passage transsonique rapidement franchi. Ce comportement « rocket-like » n’est pas un gadget : dans une interception guidée par station sol, chaque seconde gagnée en montée ou en accélération ajoute des degrés d’angle de rencontre ou des centaines de mètres d’altitude au moment du tir. Combinée à la faible inertie latérale d’une cellule étroite, cette puissance rend le Lightning très crédible en « drag race » contre un aéronef pénétrant à haute altitude.
L’utilité en mission : l’interception QRA sans détour
Dans la posture d’interception QRA, la chronologie est simple : alerte, décollage, montée, acquisition, tir ou escorte. La force du Lightning est d’écraser le temps de transit vertical. Typiquement, l’avion atteint 10 000 m en quelques dizaines de secondes puis poursuit vers 15–18 km selon la menace et les règles d’engagement. Le radar AI.23 offre une aide à l’acquisition initiale et un suivi pour la présentation au missile. Le couple Red Top/AI.23 améliore les chances de tir en aspect avant rapproché par rapport au Firestreak, tout en restant dans une logique IR courte portée.
La faiblesse structurelle demeure le rayon d’action : la postcombustion dévore le kérosène. Les équipages adoptent donc des profils de gestion d’énergie : montée en réchauffe, palier d’accélération limité, retour en régime sec, voire un ravitaillement si nécessaire. Malgré cette contrainte, la capacité à « coiffer » rapidement une cible qui passe haut et vite est exactement ce qu’attend un centre de contrôle : l’appareil réduit le temps d’intrusion avant interception et limite l’espace géographique où un intrus non coopératif peut évoluer sans escorte.
La technique au service du tir : radar, missiles et énergie
Le radar AI.23 n’est pas un système BVR moderne, mais il fournit une mesure d’angle et de distance utile pour caler l’attaque à courte portée et filtrer le fouillis à altitude moyenne. Dans le domaine d’emploi prévu — haut, froid, vite — son rôle est d’amener la géométrie de rencontre dans la fenêtre du missile IR et d’assister l’identification. Le Red Top, plus tolérant en angle d’aspect et plus sensible que le Firestreak, valorise les présentations rapides autorisées par l’accélération du Lightning.
La clé physique demeure l’énergie spécifique : l’avion transforme sa poussée en altitude et en vitesse avec peu de pertes. Cette marge d’énergie se convertit en choix tactiques : engager de haut pour conserver l’option de replonger, ou accepter une présentation moins favorable en angle parce que le temps de ré-accélération est court. Dans un contexte de défense de point, cette dynamique compense partiellement l’absence d’armement au-delà de la portée visuelle sur les premières versions.
L’influence sur la génération suivante et les équivalents de performance
Le Lightning influence la doctrine plus que la forme des avions. Son message est clair : un intercepteur doit disposer d’un surcroît de poussée pour imposer sa loi sur la verticale. Cette logique se retrouve, à plus grande échelle et avec des capteurs supérieurs, chez l’F-15 : masse plus élevée mais rapport poussée/masse supérieur à 1 en configuration de combat, grimpées comparables en début de profil. D’autres contemporains misent sur la puissance spécifique : F-104 Starfighter (J79 énergique, montée initiale élevée), Mirage III (Atar 9, fin et rapide), MiG-21 (R-25-300 sur les dernières versions, très vif en montée courte).
À l’opposé, le MiG-25 affiche des pointes spectaculaires en vitesse et altitude, mais sa montée instantanée s’explique davantage par la poussée brute et la géométrie d’admission que par une agilité comparable. Le Lightning reste singulier par sa capacité à « faire le mur » dès la sortie d’aérodrome avec une cellulaire compacte. Cette philosophie imprègne les programmes ultérieurs : avant des capteurs complexes, disposer d’un capital énergie suffisant simplifie l’interception.

Le remplacement et la fin de carrière
L’évolution des menaces et des capteurs rend inévitable la succession. Le Lightning cède progressivement la place aux Phantom britanniques, mieux dotés en radar et armement semi-actif, puis au Tornado F.3, qui apporte l’endurance, une avionique de poursuite modernisée et des missiles de moyenne portée. L’intercepteur « purement énergétique » perd de sa pertinence quand la détection lointaine, l’identification et le tir BVR deviennent la norme.
Pour autant, le témoignage opérationnel est constant : dans son domaine, le Lightning répond présent. Les unités de défense aérienne apprécient sa montée, sa tenue à haute vitesse et sa capacité à franchir vite les couches. Ses limites — autonomie, charge offensive réduite, avionique rustique — sont le revers d’un choix assumé : privilégier la puissance aéronautique pour gagner le duel du temps.
Ce que le Lightning nous apprend encore aujourd’hui
L’appareil rappelle trois constantes de l’interception QRA. D’abord, la « fenêtre temporelle » compte autant que les kilomètres : gagner 30 s en montée change la géométrie d’un tir. Ensuite, l’énergie spécifique bien gérée vaut capteur : un avion qui accélère et grimpe sans délai impose son rythme. Enfin, la simplicité de la chaîne de décision réduit les erreurs : radar lisible, trajectoires franches, missiles cohérents avec la cinématique.
Dans les forces actuelles, les chasseurs multirôles ont pris le relais avec des capteurs fusionnés et des missiles longue portée. Pourtant, l’intuition héritée du Lightning demeure : un rapport poussée/masse généreux ouvre des marges tactiques, notamment lorsqu’il faut contrer un profil rapide et haut. La technologie a changé, pas la physique.
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