Lockheed Skunk Works présente Vectis, un drone autonome destiné à opérer avec F-22 et F-35, pensé pour endurance, interopérabilité et missions multiples.
En résumé
Lockheed Martin, via sa division Skunk Works, a présenté en septembre 2025 le projet Vectis, un drone de combat autonome de type Group 5. Cet appareil, pesant plus de 600 kg et capable de voler au-dessus de 5 500 m, a été conçu comme compagnon des F-22 et F-35. Inspiré des travaux de l’US Air Force sur le programme CCA (Collaborative Combat Aircraft), Vectis se positionne entre un missile de croisière et un avion de chasse léger. Lockheed met en avant sa compatibilité avec les architectures de communication interarmées et sa capacité à mener des missions air-air, air-sol et de reconnaissance. Le drone, à ailes delta et entrée d’air dorsale, sera pilotable depuis un avion de chasse, capable de tirer sur ordre du pilote. Non supersonique mais conçu pour la survivabilité, Vectis promet une maintenance simplifiée et des coûts réduits. Il pourrait voler dès 2027.
Un programme pensé pour la collaboration homme-machine
Le projet Vectis s’inscrit dans la dynamique du Collaborative Combat Aircraft américain. Cette initiative vise à développer des drones capables d’opérer en coopération directe avec des avions de chasse habités. Le concept repose sur l’idée de « loyal wingman », c’est-à-dire un drone accompagnant un avion principal et effectuant des missions déportées : identification de menaces, brouillage, voire engagement direct de cibles. Lockheed a présenté un scénario où un F-22 pilote quatre Vectis. Les drones s’avancent, détectent des aéronefs hostiles et engagent le tir sur ordre du pilote. Ce schéma illustre la volonté de déléguer des tâches à des plateformes moins coûteuses que les chasseurs, tout en augmentant la survivabilité des avions pilotés. La compatibilité avec les liaisons de données de 5e et 6e génération est au cœur du programme, afin de garantir une interopérabilité totale.
Un appareil intermédiaire entre missile et chasseur
OJ Sanchez, président de Skunk Works, a précisé que Vectis se situerait en taille entre le Common Multi-Mission Truck de Lockheed et un F-16. Cela suggère un drone d’environ 10 à 12 m de long, avec une masse au décollage proche de 6 à 10 tonnes, capable de voler en haute altitude. Contrairement à un missile de croisière, Vectis est réutilisable et conçu pour un usage quotidien ou ponctuel. Contrairement à un chasseur complet, il ne disposera pas de la totalité des capteurs et de la manœuvrabilité d’un avion habité, mais il offrira un compromis entre coût, flexibilité et performance. Lockheed a confirmé que l’appareil ne serait pas supersonique, mais capable de suivre des chasseurs de 5e génération en mission de croisière, autour de Mach 0,9 (environ 1 100 km/h). Ce choix vise à réduire les coûts, tout en conservant l’essentiel des performances opérationnelles.
Une architecture modulaire et interopérable
Vectis a été conçu dès l’origine pour fonctionner avec des systèmes existants. Lockheed insiste sur l’alignement avec les architectures d’autonomie et de communication définies par le Pentagone. Cela signifie que l’appareil ne dépendra pas d’un écosystème propriétaire et pourra se connecter à d’autres plateformes, qu’elles soient américaines ou alliées. Cette modularité s’étend aussi à la charge utile. Selon les besoins, Vectis pourra emporter des missiles air-air de type AIM-120 AMRAAM, des bombes guidées, ou encore des capteurs ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance). Cette approche en fait un drone multirôle capable d’être adapté à différents marchés d’exportation. Le choix de l’acronyme « Vectis », dérivé du latin « levier », illustre cette fonction de multiplicateur de force : prolonger la portée et la puissance d’une flotte existante sans remplacer les avions habités.

Des performances adaptées aux doctrines américaines
Lockheed a confirmé que Vectis répondra au concept d’Agile Combat Employment, doctrine américaine qui consiste à disperser les avions de combat sur des bases avancées, parfois rudimentaires. Le drone sera donc conçu pour être maintenu avec un minimum de moyens, avec des opérations de terrain simplifiées. Sa fiabilité et sa capacité à voler fréquemment sont mises en avant. Dans un scénario de guerre de haute intensité, un drone comme Vectis peut être déployé en nombre pour saturer les défenses adverses. À titre de comparaison, le coût unitaire d’un Gripen E dépasse 85 millions d’euros, tandis qu’un drone réutilisable de ce type pourrait se situer dans une fourchette estimée entre 10 et 20 millions d’euros. Cela permettrait de déployer plusieurs dizaines d’unités pour le prix d’une escadrille de chasseurs modernes, modifiant l’équilibre coût/efficacité.
Les enjeux industriels et stratégiques pour Lockheed
Lockheed Martin a perdu plusieurs compétitions récentes, notamment l’Increment 1 du programme CCA et les appels d’offres NGAD (Next Generation Air Dominance) de l’US Air Force et de l’US Navy. Le lancement de Vectis traduit donc une volonté de revenir dans la course. L’entreprise mise sur son expérience des avions furtifs et des systèmes autonomes développés depuis plus de 15 ans. En misant sur un calendrier rapide, avec un premier vol annoncé d’ici deux ans, Lockheed cherche à se positionner sur l’Increment 2 du programme CCA. La firme sait que la demande américaine est immense : l’US Air Force prévoit d’acquérir plusieurs centaines de drones collaboratifs d’ici 2040, pour compléter ses flottes de F-35 et de B-21. À l’export, des pays comme l’Australie, le Japon ou certains États européens pourraient s’y intéresser pour renforcer leur aviation sans en supporter les coûts exorbitants.
Les conséquences pour l’équilibre militaire mondial
L’arrivée de drones de combat autonomes comme Vectis modifie profondément les équilibres militaires. Ces plateformes réduisent le risque humain, accroissent la masse disponible en opération et permettent des stratégies de saturation. Face à des puissances comme la Chine et la Russie, qui développent leurs propres drones furtifs (WZ-8 chinois, S-70 Okhotnik russe), les États-Unis cherchent à conserver une avance technologique. La perspective d’escadrons mixtes, composés d’avions habités et de drones, change aussi la formation des pilotes et l’organisation des forces. Enfin, la question de l’autonomie de décision reste centrale : jusqu’où un drone pourra-t-il engager une cible sans validation humaine ? Les débats doctrinaux se poursuivent, mais une chose est claire : des plateformes comme Vectis annoncent une multiplication des effectifs aériens projetables à coûts maîtrisés.
Un futur proche marqué par l’expérimentation
Le premier vol annoncé d’ici 2027 servira de jalon pour tester en conditions réelles les capacités annoncées. Si les résultats sont concluants, Vectis pourrait entrer en service au début des années 2030. Le programme servira aussi de vitrine pour les alliés, Lockheed cherchant à démontrer que son approche de la modularité et de l’interopérabilité est plus flexible que celle de concurrents comme Anduril ou General Atomics. La compétition reste ouverte, mais le marché, estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros d’ici 2040, offre une place à plusieurs industriels. Pour les forces armées, la clé résidera dans l’équilibre entre coûts, fiabilité et interopérabilité. Le pari de Lockheed est clair : convaincre que Vectis peut s’imposer comme un standard de la guerre aérienne collaborative.
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