
Taïwan présente Chiang Kung, un système anti-balistique à deux étages, radar AESA national, portée jusque 70 km, pour contrer les missiles chinois.
En résumé
Taïwan a officiellement présenté Chiang Kung (Strong Bow), un nouveau système anti-balistique à deux étages, incluant un radar AESA produit dans l’île. L’intercepteur peut engager des cibles à des altitudes jusqu’à 70 kilomètres, ce qui le place au-dessus des capacités de systèmes existants comme le Tien Kung III (~45 km). Ce système vient compléter les défenses actuelles face à une menace grandissante des missiles balistiques tactiques chinois. Un développement de variante Chiang Kung II, avec portée encore plus grande (≈ 100 km) est en cours.
Le système Chiang Kung
Le système Chiang Kung se distingue par plusieurs éléments techniques majeurs :
- Il s’agit d’un intercepteur à deux étages : le premier étage sert au lancement initial et à l’accélération, le second étage se détache puis utilise son propre radar intelligent millimétrique (millimeter wave seeker) pour la phase terminale de poursuite.
- Le système intègre un radar AESA de grande taille, monté sur un camion remorqué, produit sur le territoire taïwanais. Ce radar sert à la détection initiale ou au guidage avant lancement.
- La structure de l’intercepteur en deuxième étage utilise des matériaux composites et offre une capacité de thrust vectoring, c’est-à-dire la possibilité de diriger la poussée pour manœuvrer pendant le vol.
- L’altitude d’interception revendiquée atteint 70 kilomètres (≈ 43 miles). Ceci dépasse l’altitude maximale de certains systèmes actuellement en service comme le Tien Kung III (~45 km).
- Le système est « road-mobile », c’est-à-dire monté sur remorque, ce qui permet de le déplacer. Mais des détails manquent sur le temps nécessaire pour le rendre opérationnel à un nouveau site ou après transport.
Le contexte stratégique : la menace chinoise et les capacités existantes
Menace balistique de la Chine
- L’armée chinoise (PLA) dispose d’un large arsenal de missiles tactiques balistiques (short-range ballistic missiles, SRBM), ainsi que de missiles moyens (medium-range ballistic missiles). Ces missiles peuvent provenir des provinces côtières proches du détroit de Taïwan.
- Selon des analyses, la Chine a environ 900 missiles stratégiques à courte portée susceptibles de viser Taïwan, répartis sur environ 300 lanceurs.
- En plus, des roquettes guidées de calibre 370 mm (PCH-191) peuvent menacer l’ensemble de l’île depuis le continent.
Capacités de défense actuelles de Taïwan
- Le système Tien Kung III (Sky Bow III) est déjà en service, capable d’intercepter des menaces balistiques à des altitudes d’environ 45 kilomètres.
- Taïwan dispose aussi de systèmes Patriot (US-fabriqués), PAC-3, etc., qui couvrent des phases inférieures ou finales d’interception, mais avec des plafonds d’altitude souvent inférieurs à ceux revendiqués pour Chiang Kung.
- Dans l’inventaire taïwanais figurent aussi des missiles de croisière comme Hsiung Feng III, qui ont des missions anti-navires et terre-terre à moyenne portée (≈ 100-150 km, certaines variantes jusqu’à 400 km).

Comparaison technique : Chiang Kung par rapport aux systèmes existants
Élément | Chiang Kung | Tien Kung III / Sky Bow III* | Patriot / PAC-3 etc. |
---|---|---|---|
Altitude maximale d’interception | ≈ 70 km | ≈ 45 km | souvent ≤ 50 km pour versions avancées |
Technologies de guidage / phase terminale | Radar millimétrique, deux étages | Technologie plus conventionnelle, phase terminale radar ou infrarouge selon versions | Théoriquement radar actif pour certains PAC-3/MSE |
Mobilité | route-mobile sur remorque | systèmes fixes ou semi-mobiles | certaines versions mobiles |
Radar principal | AESA domestique monté sur camion | radars variés, pas nécessairement AESA domestiques | radars AESA ou autres selon configuration, souvent importés |
Cette comparaison montre que Chiang Kung pourrait franchir un seuil technique important pour Taïwan, en aptitudes d’interception en haute altitude, ce qui pourrait permettre de traiter des menaces balistiques plus tôt dans leur trajectoire.
Les incertitudes et limites techniques
- On ne sait pas avec certitude si l’intercepteur de Chiang Kung est de type hit-to-kill (destruction par impact cinétique) ou s’il utilise une charge explosive. Le mode de destruction affecte le type de cibles susceptibles d’être détruites et la précision nécessaire.
- On ignore aussi jusqu’où Chiang Kung peut opérer dans la phase moyenne de vol (mid-course), lorsque l’ogive est hors de l’atmosphère. Bien que la portée en altitude soit annoncée (70 km), la portée horizontale ou la capacité à engager des cibles en orbite basse ou quasi-orbite n’est pas confirmée.
- Le temps de réaction et la logistique restent flous : combien de temps faut-il pour déployer le système, le rendre opérationnel, le déplacer sans exposition, le ravitailler, etc. Ces éléments sont cruciaux dans un scénario de barrage missile.
- L’origine complète du matériel (radar, composants électroniques, logiciels) est partiellement inconnue. Même si le radar est dit « domestiquement produit », il est possible que des technologies étrangères aient été transférées ou acquises, ce qui peut poser des vulnérabilités ou dépendances.
Les conséquences stratégiques
Renforcement de la dissuasion
La mise en service de Chiang Kung pourrait modifier le calcul stratégique de la Chine concernant une attaque balistique sur Taïwan. Si Taïwan peut intercepter un nombre significatif de missiles tactiques ou quasi-tactiques à haute altitude, cela :
- réduit l’effet de surprise initial ou de saturation par attaques massives
- augmente le coût (en missiles, en effort technologique) pour l’adversaire
- rend certaines trajectoires ou types de missiles moins fiables pour l’attaquant
Effet sur l’échelle des armes et du budget
- Taïwan devra investir non seulement dans la production des intercepteurs mais dans un réseau de radars, de centres de commande, de maintenance.
- Les intercepteurs à haute altitude coûtent plus cher — fabrication, matériaux, guidage de précision — mais leur utilité dans un contexte de menace croissante peut rendre l’investissement justifié.
- En parallèle, l’entretien, la mobilité, la dispersion des batteries pour les protéger d’attaques préalables deviennent des priorités, ce qui augmente les coûts logistiques.
Risques et défis opérationnels
- En cas d’offensive massive, même des systèmes performants peuvent être submergés, surtout si l’adversaire prévoit des leurres, des missiles multiples, des saturation attacks.
- Les radars, lanceurs et postes de commande seront vraisemblablement ciblés tôt dans un conflit, donc la survivabilité des installations est clé — bunkers, dispersion, furtivité ou mobilité.
- Si les positions ne sont pas suffisamment dispersées ou camouflées, un ou deux frappes bien ciblées pourraient réduire l’efficacité globale.
Projection : évolutions attendues et implications régionales
- Taïwan travaille déjà sur Chiang Kung II, avec une portée verticale annoncée jusqu’à 100 kilomètres, ce qui rapprocherait les capacités du système d’interceptions exo-atmosphériques.
- Si le développement de Chiang Kung II se confirme, cela pourrait rapprocher Taïwan d’un niveau de défense comparable à certaines capacités avancées israéliennes (comme l’Arrow) ou à certaines couches des défenses antimissiles américaines.
- Cela pourrait entraîner une course aux armements régionale avec la Chine cherchant à adapter ses trajectoires, ses types de missiles, à augmenter le nombre de missiles ou à développer des technologies de contournement (ogives manoeuvrables, hypersoniques, etc.).
- Les États-Unis et les alliés (Japon, Corée du Sud) suivront attentivement, tant pour soutien matériel que pour conséquences stratégiques. Le risque d’escalade augmente si l’adversaire y voit une menace à ses capacités offensives.
Chiang Kung marque une étape majeure dans la défense anti-balistique de Taïwan. Parmi ses atouts : altitude d’interception élevée, technologie de guidage avancée, composantes domestiques. Cependant, ses performances réelles dépendront de sa capacité à engager des cibles en phase moyenne, de la rapidité de déploiement, et de la robustesse de son infrastructure contre les frappes adverses.
Si Taïwan parvient à déployer Chiang Kung efficacement, cela pourrait remettre en question certaines stratégies de dissuasion ou d’attaque balistique dirigées depuis la Chine continentale. Mais rien ne garantit qu’il suffira seul : il reste nécessaire de maintenir une défense multicouche, de combiner capacités actives (intercepteurs, radars) et capacités asymétriques (drones, guerre électronique, défense passive).
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