L’Espagne modernise sa formation de pilotes militaires avec 45 Hürjet turcs et renforce Airbus sur six grands programmes aéronautiques.
En résumé
L’Espagne a approuvé un plan de modernisation militaire de 3,7 milliards € sur cinq ans (2025-2030), destiné à renforcer la formation des pilotes, le transport aérien et les hélicoptères. Le cœur du programme est l’achat de 30 Hürjet du constructeur TUSAŞ, avec une option pour 15 appareils supplémentaires, destinés à remplacer les C-101 et F-5B vieillissants. Airbus Defence and Space intégrera ces jets en Espagne pour répondre aux normes de l’Armée de l’Air. Le plan comprend aussi l’acquisition de plateformes de transport C295 et de plusieurs familles d’hélicoptères NH90, H135, H175 et HELIPO. Cette décision reflète un choix stratégique : combiner des achats compétitifs à l’international avec le renforcement de la base industrielle nationale, afin de soutenir la souveraineté technologique et d’assurer la continuité de la formation des pilotes de chasse pour l’ère du FCAS.
Un programme de modernisation de 3,7 milliards €
Le décret royal du 24 septembre 2025 engage 3,7 milliards € pour six programmes de défense aérienne et de mobilité. L’État a attribué directement la conduite des projets à Airbus Defence and Space et à Airbus Helicopters Spain, renforçant la position d’Airbus comme pivot industriel national.
Le plan prévoit :
- 1,04 milliard € pour le système de formation avancée ITS-C (Hürjet) ;
- 520 millions € pour la formation à la mobilité aérienne ITS-T (C295) ;
- 1 milliard € pour la Phase 3 du programme NH90 Air Mobility ;
- 100 millions € pour la Phase 2 du H135 Training and Support Helicopter ;
- 920 millions € pour le HELIPO, hélicoptère polyvalent léger pour l’instruction ;
- 100 millions € pour le programme HACES, basé sur l’H175.
L’ensemble doit être réalisé entre 2025 et 2030, avec un impact estimé à plusieurs milliers d’emplois dans l’industrie aéronautique espagnole et des retombées technologiques dans les chaînes d’assemblage et de maintenance.
Le choix du Hürjet : un tournant pour la formation avancée
L’Armée de l’Air espagnole doit remplacer 46 C-101 Aviojet (entrés en service en 1980) et 19 F-5B (mis en service en 1968), tous obsolètes face aux exigences de formation des pilotes destinés au Eurofighter Typhoon et au futur chasseur du programme FCAS.
Le Hürjet, développé par Turkish Aerospace Industries (TUSAŞ), est un avion d’entraînement avancé à réaction biplace, doté :
- d’une vitesse maximale de Mach 1,4,
- d’un plafond pratique de 13 700 m,
- d’une charge utile d’environ 2 700 kg,
- d’avionique numérique compatible avec les chasseurs modernes.
Ces caractéristiques permettent aux stagiaires de se familiariser avec les procédures supersoniques et les systèmes intégrés avant de passer sur des chasseurs plus complexes. Le coût unitaire attendu, inférieur à 25 millions €, a pesé face aux offres concurrentes comme le M-346 Master italien ou le T-7A Red Hawk américain.
Le partenariat prévoit la production initiale en Turquie, puis l’intégration et l’adaptation en Espagne sous la maîtrise d’Airbus, garantissant ainsi le maintien des compétences locales en soutien logistique et en formation.
Un calendrier ambitieux et un partage industriel
Les premiers Hürjet doivent entrer en service dans l’Armée de l’Air turque en 2027, suivis des livraisons espagnoles en 2028. L’assemblage final et la configuration spécifique aux besoins espagnols seront réalisés dans les installations d’Airbus Defence and Space.
Cette organisation offre à Madrid :
- une autonomie de soutien logistique ;
- des retombées industrielles pour la maintenance et l’adaptation logicielle ;
- la possibilité d’intégrer des équipements européens de communication et de guerre électronique.
Pour la Turquie, c’est un succès d’exportation majeur qui consolide la crédibilité de son secteur aéronautique. Pour l’Espagne, c’est un signal de pragmatisme : privilégier un appareil disponible rapidement et à coût compétitif, tout en maintenant la valeur ajoutée sur le sol national.
L’impact sur la préparation des pilotes
L’enjeu clé de l’ITS-C est d’assurer la transition entre l’avion d’école turbopropulsé (Pilatus PC-21) et le chasseur multirôle Eurofighter ou le futur appareil du programme FCAS.
Le Hürjet offre une plateforme moderne pour :
- l’apprentissage du vol supersonique,
- la gestion des systèmes intégrés (radar, liaisons de données, autoprotection) ;
- l’entraînement au tir air-air et air-sol sur simulateurs connectés.
Cette cohérence pédagogique permettra de réduire le nombre d’heures de vol sur des chasseurs coûteux et d’abaisser les coûts de formation. Les analystes estiment qu’un vol d’instruction sur Eurofighter coûte plus de 40 000 € l’heure, contre moins de 7 000 € sur Hürjet. L’économie budgétaire est donc substantielle tout en augmentant la qualité de l’entraînement.
Les effets industriels et stratégiques pour Airbus
Bien que l’avion choisi soit turc, la décision renforce Airbus comme acteur central de la défense aéronautique espagnole. L’intégration, la maintenance et la formation technique seront réalisées par Airbus Defence and Space Spain, tandis qu’Airbus Helicopters Spain concentrera les activités sur la flotte d’hélicoptères.
Ces chantiers soutiendront :
- l’emploi qualifié dans des régions industrielles clés comme Séville et Albacete,
- le transfert technologique pour la modernisation des infrastructures de formation,
- la participation de PME espagnoles aux chaînes de soutien logistique.
Ce modèle hybride, combinant achat étranger et intégration nationale, reflète l’orientation du gouvernement : renforcer la souveraineté industrielle sans exclure des solutions compétitives venues d’autres pays alliés.
Les conséquences pour la posture aérienne espagnole
La modernisation des avions d’entraînement est indispensable pour préparer la relève des pilotes à l’horizon 2030-2040, époque où le FCAS franco-germano-espagnol devrait entrer en service. Sans une filière de formation cohérente, le passage des pilotes sur des systèmes de 6e génération serait retardé.
De plus, le Hürjet est capable de missions d’appui léger ou de patrouille armée, option utile en cas de crise ou pour renforcer des engagements dans des théâtres extérieurs à faible menace. Cette polyvalence donne une certaine souplesse opérationnelle à l’Armée de l’Air, même si ce n’est pas sa mission principale.
L’ensemble du plan de modernisation, incluant les NH90 et le HELIPO, vise à améliorer la réactivité nationale pour les opérations de transport stratégique, d’évacuation sanitaire et de soutien aux alliés européens.
Les perspectives régionales et internationales
L’Espagne devient le premier client européen du Hürjet, ce qui confère au programme une visibilité accrue sur le marché mondial des avions d’entraînement avancés, estimé à plus de 12 milliards € sur la décennie 2025-2035.
Cette décision pourrait influencer d’autres pays européens confrontés au remplacement de leurs Alpha Jet ou MB-339. Elle témoigne aussi d’une diversification des fournisseurs : au-delà des industriels européens et américains, la Turquie s’impose comme un partenaire crédible pour des équipements à moyen coût.
Pour l’Union européenne, la démarche illustre la tension entre autonomie stratégique et ouverture à des partenaires extérieurs lorsque les impératifs budgétaires et calendaires priment.
Un choix pragmatique mais révélateur
Le programme Hürjet en Espagne reflète un arbitrage : préserver la compétitivité budgétaire tout en maintenant une base industrielle nationale solide. Il montre aussi que les pays européens, malgré leur volonté d’autonomie stratégique, sont prêts à coopérer avec des partenaires non traditionnels lorsque cela accélère leurs programmes.
Ce choix pourrait également pousser les constructeurs européens à proposer des solutions plus compétitives pour l’entraînement avancé, un segment où l’offre reste limitée et coûteuse. La concurrence accrue pourrait à terme bénéficier à d’autres forces aériennes européennes confrontées au vieillissement de leurs flottes d’instruction.
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