L’Espagne signe un contrat de €3,12 milliards pour 45 HÜRJET turcs

Hurjet Trainer aircraft

Madrid conclut un accord majeur avec la Turquie pour 45 avions HÜRJET de formation et d’attaque légère, marquant un tournant pour l’OTAN, Ankara et l’industrie européenne.

En résumé

L’Espagne a approuvé fin octobre 2025 un contrat de 3,12 milliards d’euros portant sur l’acquisition de 45 avions avancés de formation et d’attaque légère HÜRJET, développés par Turkish Aerospace Industries (TAI). L’accord, qui inclut une plate-forme complète de formation (simulateurs, soutien logistique, systèmes au sol), remplace la flotte vieillissante de F-5/AE.09 de l’Ejército del Aire y del Espacio. Les livraisons doivent débuter en 2028, avec entrée en service autour de 2029-2030. Pour la Turquie cet accord représente sa plus importante exportation dans un pays membre de l’OTAN à ce jour. Pour l’Espagne, c’est une étape vers l’autonomie de formation des pilotes et vers une coopération industrielle avec Airbus et des entreprises espagnoles. Au niveau européen et OTAN, le contrat interroge l’équilibre industriel, la standardisation de l’entraînement des pilotes de chasse, et la stratégie de défense commune.

Le détail du contrat signé

Le 28 octobre 2025, le Conseil des ministres espagnol a validé le programme nommé “Integrated Training System-Spain (ITS-C)”, fondé sur l’avion HÜRJET de TAI. Le montant de 3,12 milliards d’euros couvre l’achat de 45 appareils, mais aussi un ensemble comprenant des simulateurs de vol, des stations d’instruction assistée par ordinateur, la formation des instructeurs, le soutien logistique initial et l’intégration au sein de la structure espagnole.

Selon les documents, ce contrat remplace les F-5 (désignés AE.09 en version d’entraînement) encore en service comme avions de transition vers les chasseurs modernes. Le calendrier prévoit les premières livraisons à partir de 2028, avec mise en service pour les cours de pilotage en 2029-2030.

Le détail industriel est également notable : la fabrication initiale aura lieu en Turquie dans les usines de TAI, mais une part significative des équipements (avionique, communications, composants structurels) sera adaptée en Espagne via Airbus Defence and Space España et un consortium d’environ 15 entreprises espagnoles (Indra, Aernnova, Aciturri, GMV, Sener). Cela permet à Madrid de garantir une participation à l’industrie nationale.

Autre point : le contrat court jusqu’au 30 novembre 2035 sans possibilité d’extension, ce qui fixe un cadre précis pour la mise en œuvre et la fin de la rénovation du système.

Pourquoi 45 avions et quelle portée pour l’Espagne ?

La quantité de 45 appareils peut paraître élevée pour un avion de formation et d’attaque légère, mais l’enjeu pour l’Espagne est multiple. D’abord, l’Escadre de formation de l’air et de l’espace (~ Ala 79 à Talavera la Real-Badajoz) doit absorber le renouvellement complet des entraînements vers les futurs chasseurs (Eurofighter Typhoon, etc.). Le nombre élevé permet d’assurer une flotte d’entraînement suffisante pour un grand nombre de pilotes et de missions de transition.

Ensuite, l’aspect dual de l’avion (entraînement avancé + attaque légère) donne à Madrid une capacité flexible d’utilisation. Le HÜRJET peut être utilisé pour former les pilotes, mais aussi dans des scénarios de « light combat » ou de soutien, ce qui justifie une flotte plus large.

Enfin, l’Espagne cherche à optimiser les coûts via un effet d’échelle, et à créer un standard national pour la formation avancée compatible OTAN. Le programme ITS-C vise à couvrir toutes les phases de formation, jusqu’à l’intégration dans un escadron de chasse moderne.

Pour l’industrie espagnole, le programme est aussi un levier de souveraineté : par la personnalisation du HÜRJET aux spécificités espagnoles via Airbus, Madrid renforce son industrie aéronautique et ses capacités d’ingénierie.

Ce que cela change pour la Turquie et l’industrie turque

Pour la Turquie, cet accord constitue une victoire industrielle majeure : un pays de l’Union européenne membre de l’OTAN achète un avion développé en Turquie. C’est la plus importante exportation à ce jour pour TAI dans un pays européen.

Cela valide la montée en compétence de l’aviation turque et la capacité de TAI à produire une plateforme moderne (HÜRJET) capable de concurrencer des appareils occidentaux sur le marché de l’entraînement et de l’attaque légère. Le HÜRJET est équipé du moteur GE F404-GE-102 (États-Unis) mais intègre des systèmes propres turcs et maintenant des composants espagnols.

Pour l’industrie turque, le contrat permet également d’accroître les cadences de production, d’élargir la gamme des clients potentiels, et de pérenniser le développement futur vers des variantes export ou multirôles. Il renforce la position de la Turquie sur le marché mondial de l’aéronautique militaire.

Politiquement, l’accord améliore les liens Turquie-Espagne et, plus largement, Turquie-Union européenne dans le domaine de la défense. Il peut ouvrir à d’autres coopérations dans l’espace OTAN et européen.

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Implications pour l’OTAN et l’Europe

L’achat du HÜRJET par l’Espagne suscite plusieurs réflexions stratégiques au sein de l’OTAN et de l’Europe. D’abord, pour l’OTAN, c’est un signal que les capacités d’entraînement peuvent être standardisées mais aussi diversifiées. Un avion turc dans une force aérienne européenne peut alourdir les questions de compatibilité, de maintenance et d’interopérabilité. Ce point est mentionné dans la documentation du programme : les appareils espagnols seront adaptés aux normes locales via Airbus.

Au niveau européen, cet accord pose la question de l’industrie aéronautique communautaire et de ses priorités. Tandis que des programmes comme le FCAS (France/Allemagne/Espagne) ou le Tempest (Royaume-Uni) avancent, choisir un avion non européen (mais turc) peut interroger sur la cohésion industrielle, la chaîne de valeur européenne et la souveraineté stratégique.

Pour l’Espagne, néanmoins, l’accord reprend la logique d’une modernisation rapide à coûts contrôlés, tout en impliquant l’industrie espagnole. Il permet à Madrid d’équiper ses forces avec un système moderne dès 2029-2030, au lieu d’attendre un programme européen peut-être plus long.

Enfin, l’accord renforce la formation avancée des pilotes européens, car l’ITS-C intégrera des simulateurs modernes, des outils numériques et des plateformes compatibles avec l’OTAN. Il peut devenir un modèle régional d’entraînement partagé.

Les leviers industriels et les risques attachés

Le contrat de 3,12 milliards d’euros ne couvre pas uniquement les avions, mais tout l’écosystème de formation. Le coût initial estimé à ~1,75 milliards avait été plus tard porté à 3,12 milliards, en raison de l’élargissement à 45 appareils et de l’inclusion des simulateurs, de l’instruction et du soutien logistique.

L’un des leviers stratégiques est la transfert de technologie vers l’industrie espagnole via Airbus et les entreprises européennes. Cela permet de sécuriser des compétences en avionique, structure légère et systèmes de formation.

Cependant, des risques existent :

  • le calendrier serré (livraisons dès 2028) peut engendrer des retards ou des coûts supplémentaires
  • la dépendance initiale à la Turquie pour la production peut poser des questions logistiques ou politiques
  • l’intégration dans la flotte espagnole et l’interopérabilité OTAN nécessitent que le HÜRJET satisfasse tous les standards de formation avancée
  • la montée en puissance de la maintenance et des pièces de rechange devra être assurée pour que la disponibilité opérationnelle soit satisfaisante

Un regard vers l’avenir

À l’horizon 2030 et au-delà, ce type d’accord contribue à redéfinir les chaînes d’approvisionnement de défense en Europe. Pour l’Espagne, l’entrée en service du HÜRJET ouvrira la voie à des générations de pilotes formés sur un standard moderne, ce qui préparera mieux l’intégration des futurs chasseurs de 6ᵉ génération.

Pour la Turquie, c’est une avancée qui peut débloquer de nouveaux marchés export et qui renforce sa capacité à proposer des plateformes compétitives.

Pour l’OTAN, l’accord renforce la diversité des fournisseurs et des technologies, mais exige aussi une coordination accrue pour garantir l’interopérabilité et le soutien mutuel.

Un contrat de cette ampleur change la donne à plusieurs niveaux : technique, industriel, stratégique. Il fait converger les intérêts d’un pays européen (Espagne), d’un acteur émergent (Turquie) et d’un cadre collectif (OTAN). Le véritable défi sera dans la mise en œuvre, la livraison conforme, et l’assimilation dans un système d’entraînement européen homogène. Si tout se passe comme prévu, ce deal pourrait devenir un modèle de coopération trans-euro-turque ; sinon, il pourrait illustrer les difficultés de l’exportation d’équipements militaires modernes dans un contexte allié.

Sources
– DefenseMirror.com, « Spain Approves €3.12 B Deal for 45 Turkish Hurjet Trainer Aircraft », 30 octobre 2025.
– Turkish Minute, « Spain approves €3.12 bln deal to buy 45 Turkish-made HÜRJET trainer jets », 31 octobre 2025.
– Daily Sabah, « Spanish govt approves acquisition of Turkish Hürjet aircraft », 30 octobre 2025.
– AerospaceGlobalNews, « Spain signs for up to 45 HÜRJET trainer aircraft », 30 octobre 2025.

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