Le U.S. Central Command (CENTCOM) lance sa première escadrille de drones d’attaque à sens unique, symbole d’un virage stratégique vers une guerre des drones low cost.
En résumé
Le 3 décembre 2025, CENTCOM a annoncé la création de la Task Force Scorpion Strike (TFSS), première unité américaine entièrement dédiée aux drones d’attaque unidirectionnels dans la zone Moyen-Orient. Cette escadrille déploie des drones baptisés Low-cost Unmanned Combat Attack System (LUCAS), conçus pour des missions kamikazes autonomes. Chaque appareil coûterait environ 35 000 dollars. Ces plateformes sont inspirées des drones iraniens Shahed-136, mais adaptées par l’industrie américaine, afin d’offrir une capacité de frappe rapide, scalable et peu coûteuse. Le but est clair : équilibrer les forces face à des menaces asymétriques, répondre à l’instabilité régionale et offrir aux forces américaines un outil de dissuasion immédiat — tout en marquant une évolution doctrinale vers la saturation par drones.
Le développement récent de la guerre des drones, les lacunes des systèmes traditionnels, le coût réduit des munitions volantes et l’urgence tactique expliquent ce changement de paradigme. Mais la stratégie soulève des questions éthiques, opérationnelles et géopolitiques pour la région.
L’annonce d’une nouvelle ère pour les drones d’attaque
Le 3 décembre 2025, CENTCOM a officialisé la mise sur pied de TFSS, peu après qu’un ordre du secrétaire à la guerre, Pete Hegseth, a exigé d’accélérer l’acquisition et le déploiement de systèmes de drones abordables pour les forces américaines.
La particularité de cette force tient à son concept : un escadron de drones d’attaque “one-way”, jetables, autonomes, prêts à être lancés rapidement. L’unité regroupe des personnels issus des forces spéciales (SOCCENT), de l’armée de l’air, de l’armée de terre et de l’équipe en charge des systèmes sans pilote. Elle fonctionne comme un banc d’essai opérationnel capable de projeter des frappes à bas coût, en masse, avec peu d’infrastructures.
Les responsables du CENTCOM présentent cela comme un tournant : un passage d’une aviation lourde, coûteuse et longue à mobiliser, à une force agile, modulaire, rapide à déployer. Comme l’a déclaré l’amiral Brad Cooper, commandant de CENTCOM, l’objectif est de “mettre l’innovation au service de la dissuasion”.
Le drone LUCAS : caractéristiques, origine, coût
Le système déployé s’appelle LUCAS – Low-cost Unmanned Combat Attack System. Ces drones ont été développés par l’entreprise américaine SpektreWorks, basée en Arizona, à partir de la rétro-ingénierie d’un drone capturé, le Shahed-136 iranien.
Parmi les spécificités techniques : une envergure d’environ 8 pieds (≈ 2,4 m), une architecture simple, une capacité à opérer de façon autonome, une endurance suffisante pour des frappes à longue portée, et une compatibilité avec divers modes de lancement — catapultes, lance-fusées, plateformes mobiles terrestres ou véhiculaires. Cela permet de les engager même en l’absence d’infrastructures aéroportuaires traditionnelles.
Le coût unitaire est modique : ≈ 35 000 dollars par drone, selon un responsable américain.
CENTCOM n’a pas précisé le nombre exact d’unités déployées, affirmant seulement disposer “d’un nombre suffisant pour assurer un niveau significatif de capacité”.
L’intérêt tactique et stratégique au Moyen-Orient
Répondre à des menaces hybrides et asymétriques
Le choix de drones low cost jetables répond à une réalité stratégique : dans les conflits récents — notamment en Ukraine ou au Yémen — les drones kamikazes comme les Shahed ont démontré leur efficacité pour saturer les défenses, frapper des cibles mobiles ou statiques, souvent sans nécessité d’infrastructure lourde.
Pour les États-Unis, qui maintiennent une présence militaire dans de nombreux pays du Moyen-Orient (Irak, Syrie, Golfe, etc.), disposer d’un outil capable de frapper rapidement, discrètement, et à faible coût, constitue un avantage tactique majeur. Le drone LUCAS permet d’agir sans exposer d’éléments pilotés, de multiplier les frappes, et de réagir à des menaces émergentes — milices, groupes armés, menaces asymétriques — avec efficience.
Dissuasion et effet de levier politique
L’annonce de TFSS a aussi un volet clairement politique : il s’agit de montrer que les États-Unis possèdent désormais la capacité de riposte rapide, scalable et économique, ce qui est présenté comme un message de dissuasion aux acteurs hostiles, notamment les groupes soutenus par des États rivaux, ou des milices alignées sur des puissances régionales.
Par ailleurs, en substituant des drones jetables à des avions de chasse coûteux, l’armée américaine peut préserver des budgets plus modulables, limiter les pertes humaines, et conserver une posture flexible — ce qui est un atout dans un contexte géopolitique instable.
Le coût réel et les fournisseurs : ce qu’on sait
Le développement de LUCAS a été conduit par SpektreWorks. Le drone dérive d’un modèle capturé (Shahed-136), conçu pour être peu coûteux, simple, et facilement produisible.
Avec un coût autour de 35 000 dollars l’unité, ces drones sont bien moins chers que les drones habituels type MQ-9 ou que des avions pilotés.
Le budget global alloué à la force n’a pas été communiqué dans le détail. Le commandement indique simplement que le format est “scalable” : le design modulaire et la faible dépendance à l’infrastructure permettent d’ajuster le nombre d’unités déployées selon les besoins.
Cela dit, le pari est clair : un investissement limité, une production rapide, un usage massif. La logique vise à privilégier la quantité et la rapidité sur la longévité d’un système.

Ce que cela change sur le théâtre moyen-oriental
Le Moyen-Orient est depuis longtemps le terrain de jeux de drones de toutes sortes : espions, kamikazes, munitions volantes, etc. L’arrivée d’un escadron américain de drones kamikazes redéfinit les rapports de force et modifie la nature même de la dissuasion.
Les forces américaines peuvent désormais réagir plus vite, frapper sans préavis, neutraliser des cibles avec moins de contraintes logistiques. Elles se donnent une marge de manœuvre que n’offraient ni les drones d’observation classiques ni les frappes aériennes traditionnelles.
De plus, elle envoie un signal fort aux alliés et adversaires : les États-Unis ne comptent pas seulement se défendre contre les drones, ils entendent les dominer. Cela pourrait inciter d’autres puissances ou acteurs régionaux à accélérer leurs propres programmes de drones.
Enfin, ce type de capacité pourrait servir de modèle ailleurs : d’autres theaters d’opérations (Indopacifique, Afrique, etc.) pourraient voir la mise en œuvre de structures analogues, multipliant des “escadrilles kamikazes” destinées à projeter la puissance américaine avec réactivité et coût contrôlé.
Les limites et les risques d’un usage massif de drones « jetables »
Le recours à des drones « one-way » pose plusieurs problèmes. D’abord, leur usage massif peut conduire à des frappes imprecises, surtout si l’autonomie, les senseurs ou les capacités de ciblage sont limités. L’identification fiable des cibles dans un environnement urbain ou dans des zones densément peuplées reste un défi.
Ensuite, l’acceptation politique et médiatique d’une arme jetable — conçue pour un usage unique — peut soulever des questions éthiques, notamment en cas de dommages collatéraux.
Sur le plan militaire, le maintien d’une force crédible avec des drones jetables exige une production constante, des flux logistiques bien organisés, des capacités de rechargement des munitions, des systèmes de contrôle et de maintenance — même si ces drones sont conçus comme « consommables ».
Enfin, ce virage pourrait déclencher une nouvelle course aux drones dans la région, avec des pays adversaires cherchant à développer leurs propres flottes de drones kamikazes, ce qui accentue le risque d’escalade.
Une transformation doctrinale profonde de la guerre aérienne
L’activation de TFSS marque probablement un tournant durable dans la stratégie militaire américaine. Pendant des décennies, l’US military s’appuyait sur des plateformes coûteuses, pilotées ou drones haut de gamme, pour assurer la supériorité aérienne, les frappes de précision ou la surveillance.
Le modèle LUCAS et TFSS privilégie désormais la quantité, la rapidité, la modularité, l’accessibilité de déploiement. Il correspond à une logique où la saturation, l’usure, la surprise et la flexibilité comptent davantage que la furtivité ou la longévité.
Ce changement s’inscrit dans un contexte global d’essor des drones partout dans le monde — conflit en Ukraine, guerre asymétrique, prolifération des technologies. En adoptant officiellement un escadron kamikaze, les États-Unis reconnaissent que la guerre moderne exige des outils nouveaux, plus adaptables, plus économiques.
Les drones LUCAS ne sont pas seulement des munitions volantes à bas coût : ils incarnent une rupture dans la manière de réfléchir la guerre. En misant sur la masse, la rapidité et la modularité, la TFSS pourrait redessiner les conflits à venir. Mais cette stratégie n’est pas sans danger : les incertitudes tactiques, les enjeux éthiques et le risque d’escalade régionale en font un pari risqué autant que fascinant.
Sources
– DefenseScoop : article sur la création par CENTCOM de la Task Force Scorpion Strike et sur le déploiement du premier escadron de drones kamikazes américains.
– The Aviationist : analyse sur l’emploi opérationnel des drones LUCAS et sur leur filiation technique avec les Shahed-136 iraniens.
– Stars and Stripes : reportage sur l’annonce officielle de CENTCOM et les objectifs de ce nouveau concept d’escadrille de drones d’attaque à sens unique.
– Axios : article détaillé sur l’origine industrielle des drones LUCAS, leur coût estimé et leur rôle dans la nouvelle doctrine américaine.
– Anadolu Agency (AA) : dépêche sur l’annonce publique de CENTCOM et les motivations stratégiques du déploiement au Moyen-Orient.
– Defence Industry Europe : analyse du cadre budgétaire, de l’objectif de montée en puissance rapide et du modèle industriel retenu pour la production des drones.
– Army Recognition : décryptage sur la structure de la Task Force, ses moyens de lancement et son intégration avec les forces spéciales américaines.
– The Defense Post : article sur le contexte géopolitique, la montée des menaces asymétriques et l’enjeu de dissuasion dans la région.
– L’Orient-Le-Jour : éclairage sur le coût unitaire des drones et la comparaison avec les systèmes iraniens.
– Wikipedia (Shahed-136) : données techniques de base utilisées pour contextualiser la conception initiale à partir de laquelle les drones LUCAS ont été développés.
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