
Le Su-57 intègre la chaîne L402 Himalayas au sein du Sh-121 : antennes L-band, brouillage actif et passif, leurres programmés, impacts opérationnels réels.
En résumé
Le Su-57 Felon associe son complexe avionique Sh-121 à la chaîne de guerre électronique L402 Himalayas. L’ensemble marie radar N036 Byelka en bande X, antennes L-band intégrées aux bords d’attaque, récepteurs d’alerte, brouilleurs et leurres programmés. L’idée clé est la fusion de données : détecter tôt les émissions adverses, dégrader leurs radars par brouillage actif (puissance dirigée, techniques DRFM) et brouillage passif (leurrage, chaff/flairs), tout en guidant le pilote via des aides tactiques claires. Sur le papier, la suite prétend repérer des radars à basse fréquence, cueillir le Byelka pour une poursuite fine, et automatiser les réponses d’autoprotection jusqu’au tir séquencé de contremesures. En pratique, l’emploi récent du Su-57 privilégie des tirs à distance de sécurité ; un appareil a été endommagé sur base en 2024, et la flotte demeure limitée. L’Himalayas améliore la survivabilité, mais sa valeur réelle face à une défense multicouche moderne reste conditionnée à l’intégration, aux tactiques d’emploi et au nombre d’appareils disponibles.
Le système Sh-121 et l’architecture intégrée
Le cœur du dispositif est le Sh-121, complexe radioélectronique multifonction qui regroupe capteurs, guerre électronique et liaisons de données autour d’une logique d’intégration et de fusion temps réel. Le radar N036 Byelka constitue le capteur principal : antenne AESA en bande X dans le nez (environ 1 500 modules T/R), deux antennes latérales (environ 400 modules chacune) pour étendre la couverture azimutale, et interfaces avec des capteurs électro-optiques 101KS. L’intérêt, pour le pilote, est double : une image tactique unifiée et des aides à la décision qui hiérarchisent les menaces, réduisent la charge cognitive et automatisent des tâches (filtrage d’échos, priorisation des pistes, déclenchement d’autoprotection).
La chaîne L402 Himalayas n’est pas un « boîtier » isolé ; elle s’insère dans le Sh-121 via des antennes propres (dont une implantation dorsale) et en mutualisant certaines surfaces émettrices/réceptrices avec le Byelka. Cette mutualisation réduit les saillies, limite la pénalisation furtive et permet d’exploiter la directivité et l’agilité de fréquence des réseaux AESA pour brouiller ou leurrer sans interrompre la veille.
Les antennes L-band intégrées et leurs usages
Particularité du Su-57 : des antennes L-band (≈ 1–2 GHz) intégrées dans les bords d’attaque. À ces fréquences, la résolution angulaire est moindre qu’en bande X, mais la sensibilité aux formes optimisées contre l’X-band peut augmenter. L’usage est donc d’abord celui d’un « filet large » : détection/alerte à basse fréquence, détection des radars de veille lointaine, appui à l’identification ami/ennemi et fonctions de guerre électronique.
Concrètement, une alerte L-band peut « cueillir » le Byelka : l’avion pivote, la piste est affinée en X-band, puis corrélée avec l’IRST et les bibliothèques ESM. La L-band sert aussi de support d’émission pour certaines techniques de brouillage (large bande, bruit déporté) contre des radars sol-air ou aéroportés opérant hors de l’X-band. Limite importante : la L-band ne « voit » pas finement un chasseur discret à moyenne distance ; elle sert surtout d’alerte et de guidage, pas de poursuite de tir.
Le brouillage actif et passif : principes et effets
L’Himalayas combine brouillage actif et brouillage passif.
– Actif : génération de puissance RF dirigée, techniques DRFM (Digital Radio Frequency Memory) pour renvoyer des échos modifiés (décalages Doppler, délais, fausses distances), bruit intelligent et spot/sweep contre les lobes d’antenne adverses. Appui de la directivité AESA pour concentrer l’énergie tout en gardant un lobe discret.
– Passif : emploi de réflecteurs dipolaires (chaff) et de leurres infrarouges, gestion de signature (angles, revêtements), masquage par géométrie et par le terrain.
Sur un profil pénétration à moyenne altitude, un DRFM bien réglé peut dégrader un radar d’engagement et forcer une perte de poursuite ; sur un profil basse altitude, le masquage terrain combiné à un bruit large bande réduit la fenêtre de détection. Le revers est la dépense énergétique et la « trahison » électromagnétique : une émission trop appuyée s’expose aux récepteurs passifs adverses. D’où l’intérêt de sauts de fréquence rapides et d’une gestion fine des cycles d’émission.

La détection des radars adverses et l’alerte pilote
La chaîne RWR/ESM du Su-57 recherche en continu les émissions : fréquence, PRF, modulation, gabarit d’impulsions. Les bibliothèques de menaces associent ces signatures à des familles de radars (veille, acquisition, tir). Une fois l’algorithme confiant, l’interface pilote annote la situation : secteur, type, gamme de distance estimée, probabilité de poursuite.
Cette détection des radars déclenche des logiques : changement d’axe, présentation d’évitement, proposition d’angle optimal de brouillage, bascule vers un profil de pénétration (altitude, vitesse), ou lancement d’un missile antiradar si la ROE l’autorise. L’important est la réactivité : une latence de quelques secondes suffit à sortir d’un lobe d’illumination et à « casser » un calcul de tir semi-actif. Là encore, l’intégration Sh-121/Himalayas évite le conflit entre capteurs (le radar n’aveugle pas le récepteur ESM, la L-band reste exploitable).
Les leurres et les « coups programmés »
Le Su-57 dispose de paniers internes pour chaff/flares et d’un système DIRCM 101KS-O contre missiles IR courte portée. L’interface d’autoprotection propose des leurres programmés : séquences prédéfinies (par exemple 2-3 salves de 2–4 flares à 0,3–0,5 s d’intervalle) couplées à un break et à un masquage moteur. En bande RF, des « cuffs » de chaff peuvent être libérés au moment où l’Himalayas injecte un paquet DRFM, afin de superposer échos parasites et cibles fictives.
Les contremesures sont comptées ; l’on parle d’environ quarante cartouches à bord selon les variantes observées, ce qui impose une discipline d’emploi et une programmation adaptée au théâtre. Le point fort est la coordination : MAWS/UV détecte l’arrivée d’un missile IR, le DIRCM pointe et illumine la tête chercheuse, tandis qu’une courte salve de flares finalise l’évasion. Sur radars, l’enchaînement DRFM + chaff, synchronisé avec un virage hors plan, peut faire décrocher un suivi monopulse.
Les capacités en vol et l’aide au pilote de chasse
Au cockpit, l’apport se voit en trois volets :
- Aides prédictives : zones « interdites » affichées en temps réel à partir de l’antenne de tir estimée, préconisations d’altitude/vitesse pour minimiser l’illumination, calcul d’angle optimal pour un lobe de brouillage.
- Automatismes : bascule automatique de tables DRFM selon la menace identifiée, timing des séquences de leurres programmés, gestion énergétique des émetteurs pour réduire la probabilité d’interception.
- Exploitation multi-capteurs : corrélation L-band/X-band/IRST et liaison de données pour confirmer la nature d’un contact.
Dans un engagement air-air, ces outils permettent de prolonger l’avion de chasse en mode silent (radar passif, IRST prioritaire), puis d’illuminer brièvement pour un tir, tout en gardant des fenêtres de brouillage réactives contre un radar AESA adverse.
Les impacts sur les missions et la réalité opérationnelle
Sur missions de pénétration, l’Himalayas vise à ouvrir une « bulle » locale de dégradation de capteurs pour franchir une portion d’IADS, poser une arme stand-off puis ressortir. En air-air, il aide à casser la cinématique d’un Fox-3 adverse au moment critique (mi-cours ou terminal). En escorte, il protège un groupe en concentrant la puissance sur l’axe menacé.
Dans la réalité récente, la Russie a employé le Su-57 surtout en tir stand-off depuis l’espace aérien ami, ce qui limite l’exposition de la cellule et… la démonstration de la suite EW face à une défense multicouche moderne. Un Su-57 a été endommagé sur sa base en 2024, soulignant la vulnérabilité au sol et la valeur stratégique de chaque cellule. Tant que les volumes livrés restent modestes, l’emploi restera prudent : l’Himalayas est un multiplicateur d’efficacité, pas un bouclier invulnérable.
Les limites techniques et les parades adverses
Plusieurs limites s’imposent. D’abord, la physique : la L-band alerte mais ne remplace pas une poursuite de qualité en X-band ; à longue distance, la précision angulaire reste médiocre. Ensuite, la guerre électronique est interactive : face à un AESA moderne, l’adversaire peut nuller le brouillage, changer d’onde, diversifier les formes d’impulsions. Un DRFM mal réglé devient détectable et contra-déjouable.
Côté défense sol-air, la tendance est à des réseaux multi-bande, capteurs passifs et corrélations multi-plateformes. Cela réduit l’effet d’un brouillage isolé et impose des profils coordonnés (temps, azimuts, altitudes). Enfin, l’autoprotection consomme beaucoup : énergie électrique, chaleur, munitions de leurrage. Un combat prolongé peut épuiser les consommables et dégrader la signature thermique. Les équipages doivent donc gérer la dépense de contremesures comme un stock critique, au même titre que le carburant.
La trajectoire d’évolution et l’enjeu capacitaire
Les axes probables d’évolution portent sur la puissance émissive (technologies GaN), la densité de modules, l’agilité de fréquence et la fusion de données encore plus poussée avec l’Okhotnik-B. L’objectif : élargir la portée de détection ESM, améliorer la sélectivité du DRFM et automatiser davantage la gestion des fenêtres d’émission pour réduire la signature électromagnétique « nette » de l’avion.
Reste l’enjeu capacitaire : une suite EW sophistiquée révèle son plein potentiel dans la masse, avec des profils coordonnés et des relais de brouillage. Quelques cellules isolées ne satureront pas une IADS cohérente. La valeur du L402 Himalayas se mesurera donc moins à des fiches techniques qu’au couple doctrines/volumes : entraînement, bibliothèques de menaces à jour, discipline EMCON, et retours d’expérience accumulés en opérations réelles.
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