
Le Lockheed F-117 Nighthawk a volé en secret de 1981 à 1988, dissimulé par l’US Air Force à Groom Lake. Retour sur un programme militaire opaque.
A l’ombre des satellites et des radars
Le Lockheed F-117 Nighthawk est resté pendant près d’une décennie hors du champ de vision du public et des adversaires potentiels. Mis en service en 1983, il n’a été reconnu officiellement qu’en novembre 1988 par le Pentagone. Durant cette période, son existence, ses vols d’essai, ses sites de production et même son rôle opérationnel ont été intégralement dissimulés. Cette dissimulation n’était pas un simple choix stratégique : elle répondait à une logique de rupture technologique, dans un contexte de guerre froide où la moindre fuite pouvait provoquer une réponse asymétrique.
Les vols d’essai du F-117 ont été réalisés exclusivement de nuit à Groom Lake, dans le Nevada Test and Training Range, plus connu sous le nom de Zone 51. Cette base militaire isolée et classifiée, protégée par des restrictions aériennes et des dispositifs radar complexes, a servi de terrain d’expérimentation à l’un des projets les plus sensibles de l’histoire aéronautique américaine.
Cette opération de camouflage à l’échelle nationale a impliqué non seulement l’US Air Force, mais aussi la CIA, la NSA, et le Department of Defense. Le silence a été maintenu pendant 7 ans, malgré les vols réguliers, la construction d’une flotte de 64 appareils, et leur déploiement dans des installations sécurisées comme Tonopah Test Range.

Le programme Have Blue : une origine technologique dérivée de la recherche soviétique
Une avancée issue d’un article de recherche soviétique
L’histoire secrète du F-117 commence en réalité en 1976, avec le programme Have Blue, un projet de démonstrateur technologique développé par Lockheed Skunk Works. À l’origine de ce programme : un document scientifique soviétique, publié en 1964 par Petr Ufimtsev, qui décrivait comment prédire la réflexion des ondes radar sur des surfaces planes. Ce texte, ignoré en URSS, a été récupéré, traduit, puis exploité aux États-Unis.
Lockheed a appliqué ces calculs à une structure polygonale composée d’arêtes nettes et de surfaces inclinées, créant un engin dont la réflexion radar était réduite de plusieurs ordres de grandeur. Le démonstrateur Have Blue a volé en 1977, prouvant que la furtivité était réalisable, à condition de sacrifier l’aérodynamisme.
Le F-117 qui en a découlé ne devait sa stabilité en vol qu’à un système de contrôle entièrement informatisé à quatre canaux redondants. Sans assistance numérique, l’appareil était instable et impossible à piloter. Son pilotage reposait donc sur une électronique embarquée de précision, ce qui représentait une avancée majeure à la fin des années 1970.
Une dissimulation logistique et opérationnelle à grande échelle
Un appareil invisible, même pour l’administration
Le programme F-117, baptisé “Senior Trend”, a été développé dans un isolement absolu. La production des composants était répartie sur plusieurs sites civils et militaires, avec des acheminements effectués la nuit sous escorte, parfois avec des cargaisons non identifiées pour contourner les contrôles administratifs classiques.
Les pilotes sélectionnés étaient issus des escadrons de chasse les plus expérimentés, puis isolés du reste de la chaîne militaire. Le 4450th Tactical Group, affecté à Tonopah Test Range, a été créé spécialement pour opérer les F-117. Pendant plusieurs années, cette unité volait officiellement sur des A-7 Corsair II en plein jour, tandis que les F-117 décollaient de nuit pour effectuer des missions d’essai et de validation.
Pour éviter toute observation aérienne ou satellitaire, les vols du Nighthawk étaient calés en fonction des orbites des satellites soviétiques. Les horaires étaient planifiés pour éviter toute coïncidence. Une erreur de timing aurait pu entraîner une fuite majeure, ce qui explique la rigueur du cloisonnement mis en place.

Une révélation publique forcée par les circonstances
Une reconnaissance en 1988 dictée par la rumeur
En novembre 1988, le Département de la Défense des États-Unis a fini par officialiser l’existence du F-117, sous la pression croissante de fuites internes, d’observations inexpliquées, et de reportages spéculatifs dans la presse spécialisée. Mais même après cette reconnaissance, aucune image complète de l’appareil n’a été diffusée immédiatement. Le premier cliché de l’avion n’a été publié que le 21 avril 1990.
Cette décision tardive a été motivée par l’augmentation des risques liés aux opérations de vol, et par la nécessité de permettre l’entraînement en plein jour. Plusieurs incidents avaient failli révéler le programme : un crash en 1986 dans le désert du Nevada, et l’observation par des civils d’un appareil étrange en approche de Tonopah.
L’entrée en service opérationnel du F-117 a été annoncée comme un événement stratégique majeur, bien que le public ait ignoré pendant des années qu’une cinquantaine de missions avaient déjà été menées en conditions réelles, notamment au Panama et dans le Golfe Persique.
Un avion conçu pour frapper sans être détecté
Une spécialisation dans la pénétration en profondeur
Le Nighthawk était destiné à frapper des cibles stratégiques derrière les lignes adverses, en évitant les défenses anti-aériennes. Il transportait deux bombes guidées par laser GBU-27 de 910 kg chacune dans une soute interne. L’avion n’était ni supersonique ni agile, avec une vitesse maximale de 1 100 km/h et un plafond de 13 700 mètres. L’absence de radar actif et de canon traduisait une philosophie radicale : ne pas être vu plutôt que de se défendre.
Les matériaux composites, les bords inclinés, la peinture absorbante et la gestion thermique faisaient du F-117 un engin extrêmement discret pour les radars à bande X. Sa signature radar était équivalente à celle d’un oiseau de grande taille selon les documents déclassifiés.
Son efficacité opérationnelle s’est confirmée lors de la guerre du Golfe en 1991, où il a été utilisé en première vague pour neutraliser les centres de commandement irakiens. Aucun appareil n’a été touché lors de ce conflit, ce qui a renforcé l’aura d’invulnérabilité du programme.

Un secret bien gardé, mais temporaire
Le F-117 n’aura pas échappé indéfiniment à la détection. En mars 1999, un exemplaire a été abattu en Serbie par un missile SA-3 Goa tiré à l’aide d’un système radar modifié. Ce tir a mis en lumière les limites des premières générations de furtivité passive, notamment contre des adversaires capables de combiner informations radar et visuelles à basse fréquence.
Aujourd’hui, même si le programme a officiellement pris fin en 2008, plusieurs unités continuent à voler discrètement dans le Nevada pour des essais. Des documents indiquent que certains F-117 servent désormais à entraîner les pilotes à intercepter des cibles furtives.
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