
Analyse détaillée de la fusion MiG-Sukhoi au sein de l’UAC et ses implications pour l’industrie aéronautique russe.
Le 1er juin 2022, la Russie a officialisé la fusion des deux principaux constructeurs d’avions de chasse, MiG et Sukhoi, au sein de la United Aircraft Corporation (UAC). Cette consolidation marque un tournant stratégique pour l’industrie aéronautique russe, visant à rationaliser les opérations, réduire les coûts et renforcer la compétitivité sur le marché mondial. Cependant, cette décision soulève des questions quant à ses implications économiques, stratégiques et militaires pour la Russie.

L’historique de MiG et Sukhoi
MiG et Sukhoi sont deux piliers de l’industrie aéronautique russe, avec des histoires distinctes et des contributions majeures à la défense nationale.
MiG : un héritage de chasseurs légers
Fondée en 1939, MiG (Mikoyan) s’est spécialisée dans la conception de chasseurs légers et rapides. Parmi ses réalisations notables figurent le MiG-15, utilisé pendant la guerre de Corée, et le MiG-29, un chasseur multirôle introduit dans les années 1980. Cependant, ces dernières années, MiG a connu des difficultés financières et une baisse de commandes, notamment en raison de la concurrence accrue sur le marché international.
Sukhoi : la montée en puissance des chasseurs lourds
Également fondée en 1939, Sukhoi s’est orientée vers la production de chasseurs lourds et de bombardiers. Le Su-27, introduit dans les années 1980, a marqué un tournant avec ses performances supérieures. Plus récemment, le Su-35 et le Su-57 ont renforcé la position de Sukhoi sur le marché des avions de chasse avancés. Contrairement à MiG, Sukhoi a réussi à maintenir une production soutenue et à conclure des contrats d’exportation significatifs.
Le contexte et les raisons de la fusion
La fusion de MiG (Mikoyan) et Sukhoi au sein de la United Aircraft Corporation (UAC) résulte d’une décision stratégique impulsée par l’État russe afin de réorganiser un secteur en perte de vitesse, confronté à des pressions structurelles, financières et géopolitiques croissantes. En regroupant ces deux entités historiques sous une seule direction, Moscou entend rationaliser la production des avions russes et renforcer la viabilité de son complexe militaro-industriel aéronautique.
Rationalisation des ressources
Avant la fusion, MiG et Sukhoi fonctionnaient comme des bureaux d’études distincts, disposant chacun de leurs chaînes de production, de leurs équipes de R\&D et de leur propre stratégie industrielle. Cette structure fragmentée, héritée de l’époque soviétique, générait des inefficiences importantes, notamment des redondances dans le développement des technologies et des infrastructures sous-utilisées. À titre d’exemple, plusieurs projets de chasseurs multirôles ont été développés en parallèle avec peu de synergies, alourdissant les coûts. La fusion permet d’éliminer ces doublons en concentrant les efforts autour de quelques plateformes, tout en homogénéisant les normes industrielles et les processus de production. La réduction des coûts d’ingénierie et de fabrication est un objectif central, dans un contexte de ressources budgétaires limitées.
Réduction des coûts et amélioration de la compétitivité
Sur le marché international des avions de chasse, dominé par les États-Unis, la Chine et l’Union européenne, la Russie perd progressivement des parts de marché. Le Su-57 peine à s’imposer à l’exportation, et le MiG-35, censé succéder au MiG-29, n’a reçu que peu de commandes fermes. L’une des motivations de la fusion est donc de renforcer la capacité de l’UAC à proposer des produits compétitifs, tant sur le plan technique que commercial. En combinant les ressources humaines et technologiques de MiG et Sukhoi, l’État espère créer un pôle capable de répondre aux attentes du marché global : fiabilité, performance, coût de possession et compatibilité avec les systèmes de défense modernes.
Réponse aux sanctions internationales
Depuis 2014, et plus encore depuis 2022, les sanctions occidentales ont profondément affecté l’accès de la Russie à des composants électroniques, logiciels embarqués, matériaux composites et machines-outils de précision. En réponse, l’État mise sur la centralisation des moyens industriels pour favoriser l’émergence de solutions technologiques souveraines. Cette intégration vise à contourner les interdictions d’importation en développant des chaînes d’approvisionnement intégrées et nationales. L’UAC devient ainsi l’instrument d’une politique d’indépendance stratégique dans la production des avions militaires, visant à garantir la continuité opérationnelle malgré l’isolement croissant du pays sur le plan technologique.
La situation actuelle post-fusion
Depuis la finalisation de la fusion en 2022, la United Aircraft Corporation (UAC) a engagé une réorganisation de fond du secteur aéronautique russe. L’objectif affiché est de recentrer les moyens disponibles autour d’un appareil industriel rationalisé, en vue de produire des avions de chasse plus efficaces, moins coûteux et plus attractifs sur le plan commercial. Cette restructuration s’effectue dans un contexte marqué par des tensions géopolitiques et un besoin urgent d’autonomie technologique.
Réorganisation interne
L’intégration des équipes de recherche et développement de MiG et Sukhoi a été l’une des premières mesures prises. Ce rapprochement vise à créer un pôle d’expertise unique capable de concevoir des plateformes communes, d’accélérer les cycles de développement et de limiter les redondances. Cette démarche s’accompagne d’une homogénéisation des standards industriels : méthodes de conception, logiciels de simulation, processus de certification, et contrôle qualité. L’objectif est d’uniformiser les lignes de production, que ce soit dans les sites de Komsomolsk-sur-l’Amour, Irkoutsk ou Lukhovitsy, afin de rendre les chaînes plus flexibles et plus facilement adaptables à différents modèles. Le système de gestion de la production, longtemps jugé obsolète, est en cours de modernisation avec l’introduction d’outils de suivi numérique inspirés du modèle occidental PLM (Product Lifecycle Management).
Développement de nouveaux projets
Avec cette base industrielle consolidée, l’UAC entend relancer sa capacité d’innovation. Des programmes de développement sont en cours pour produire une nouvelle génération d’avions de chasse russes. Deux axes dominent : d’un côté, l’optimisation des plateformes existantes (Su-30SM2, Su-57, MiG-35) avec des systèmes électroniques plus performants et des moteurs modernisés ; de l’autre, la conception de modèles dits de sixième génération. Ces futurs appareils, encore au stade de prototype, intégreraient des capacités d’intelligence artificielle embarquée, une signature radar réduite, une interconnexion en réseau avec d’autres plateformes (guerre en essaim), et potentiellement une motorisation à cycle adaptatif. Bien que les détails soient encore peu documentés, des projets comme le PAK DP (successeur du MiG-31) ou un chasseur léger furtif de type Checkmate sont régulièrement évoqués dans les communiqués officiels.
Maintien des marques MiG et Sukhoi
Malgré la centralisation des structures au sein de l’UAC, les noms MiG et Sukhoi conservent une fonction stratégique sur le plan commercial et diplomatique. Ces marques sont solidement ancrées dans l’esprit des clients étrangers, notamment en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. Leur suppression créerait une rupture inutile avec des partenaires historiques qui continuent d’opérer des MiG-29, Su-27 ou Su-30 dans leurs flottes. L’approche retenue est donc celle d’un maintien symbolique des marques tout en regroupant les bureaux techniques et les lignes d’assemblage. Cela permet à l’UAC de vendre sous la marque Sukhoi ou MiG tout en capitalisant sur les synergies industrielles internes.
L’après-fusion se caractérise par une tentative de redéploiement contrôlé du secteur, mêlant rationalisation interne et relance technologique, tout en conservant une façade commerciale lisible pour les marchés extérieurs.

Les conséquences pratiques, économiques, stratégiques et militaires
La fusion entre MiG et Sukhoi, orchestrée au sein de la United Aircraft Corporation (UAC), a des répercussions majeures sur l’organisation de l’industrie aéronautique russe, sa place sur le marché mondial et la posture militaire de la Fédération de Russie. Elle vise à réorienter les capacités industrielles russes vers un modèle intégré, plus résilient, plus compétitif et mieux aligné avec les impératifs géopolitiques actuels.
Avantages économiques
L’un des principaux objectifs de la fusion est la réduction des coûts structurels. Avant cette restructuration, chaque bureau disposait de son propre réseau de fournisseurs, ses propres lignes de montage et services logistiques. La centralisation permet désormais de générer des économies d’échelle substantielles. Selon les estimations publiées par Rostec, holding de tutelle de l’UAC, la rationalisation pourrait entraîner une baisse de 15 à 20 % des coûts de production globaux à horizon 2026, grâce à la mutualisation des infrastructures, des ingénieries et des achats.
En parallèle, l’UAC peut désormais proposer une gamme unifiée de chasseurs russes, allant du Su-30 au Su-57, en passant par le MiG-35, en répondant à une plus large palette d’exigences clients (poids, rayon d’action, avionique, furtivité, etc.). Cela accroît la compétitivité de l’offre russe face aux constructeurs comme Lockheed Martin (F-16, F-35), Dassault Aviation (Rafale), ou Chengdu Aircraft Corporation (J-10, J-20). L’objectif est aussi d’augmenter les exportations, qui ont connu une baisse sensible depuis 2014. Des contrats export récents vers l’Inde, l’Algérie ou le Vietnam sont directement concernés par cette politique de consolidation industrielle, qui vise à restaurer la fiabilité perçue de l’appareil productif russe.
Impacts stratégiques et militaires
D’un point de vue stratégique, la fusion répond à une nécessité impérieuse : celle de retrouver une autonomie technologique après la rupture des chaînes d’approvisionnement imposée par les sanctions occidentales. En consolidant les compétences au sein de l’UAC, le Kremlin espère accélérer le développement de composants critiques (radars AESA, moteurs, systèmes de guerre électronique) sans recours à des partenaires étrangers. Cela réduit la vulnérabilité du secteur militaire aux mesures de restriction commerciales, notamment en matière de microélectronique.
Sur le plan militaire, la fusion vise également une accélération du renouvellement des flottes. L’armée de l’air russe (VKS) dispose d’un parc vieillissant, composé en grande partie de Su-24, Su-25 et MiG-29, dont la disponibilité opérationnelle est variable. La simplification des chaînes logistiques et l’optimisation industrielle doivent permettre d’accroître le rythme de livraison des nouveaux appareils, notamment les Su-34M, Su-35S, et les premiers lots de Su-57.
Enfin, dans un contexte de confrontation prolongée avec l’OTAN et de militarisation accrue de l’espace aérien, la Russie doit adapter sa doctrine aérienne. La fusion permet une meilleure cohérence doctrinale entre les plateformes existantes, et offre une capacité d’adaptation renforcée face aux systèmes de défense avancés (Patriot PAC-3, SAMP/T, F-35). L’intégration des programmes dans une structure unique autorise une meilleure planification interarmes, une simplification de la maintenance, et une standardisation accrue des équipements embarqués.
Les effets de cette consolidation vont bien au-delà d’une simple réforme administrative : elle redéfinit la façon dont la Russie entend concevoir, produire, vendre et utiliser ses avions de chasse dans un environnement international instable et concurrentiel.
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