Le coût du SCAF explose les repères : budgets, phases, production, dérives possibles et arbitrages. Jusqu’où l’Europe peut-elle payer ?
En résumé
Le SCAF (Système de combat aérien du futur) est devenu un test de réalité budgétaire autant qu’un programme d’armement. Les montants cités publiquement divergent, car ils mélangent parfois recherche, développement, démonstrateurs, industrialisation et production sur plusieurs décennies. Un jalon clair existe : 3,2 milliards d’euros pour la phase 1B attribués fin 2022 pour environ trois ans et demi, centrés sur la conception et les démonstrations. À l’échelle du programme complet, la presse et des analyses parlementaires évoquent désormais une enveloppe 80 à 100 milliards d’euros sur la durée. Le problème n’est pas seulement “le chiffre”, mais la dynamique : inflation longue, gouvernance tripartite, règles d’exportation, empilement technologique (avion, drones, cloud), et concurrence directe avec d’autres priorités (dissuasion, munitions, Rafale F5, PA-NG). La faisabilité dépendra d’arbitrages durs : périmètre technique, calendrier, volume commandé et capacité à éviter les doublons nationaux.
Le budget du SCAF, un objet comptable difficile à cadrer
Parler du “coût du SCAF” sans préciser le périmètre revient à additionner des pommes et des plans d’ingénierie. Le programme agrège un avion de nouvelle génération, des drones d’accompagnement, des capteurs, des armes, des simulateurs, une architecture de communication et un système de mission. Chaque sous-ensemble a ses propres cycles, ses propres essais, ses propres obsolescences.
Dans les chiffres publics, on retrouve trois couches qui se superposent souvent.
D’abord, le budget de recherche et de maturation technologique. Il finance des briques qui peuvent parfois profiter à d’autres programmes. Ensuite, le budget de développement des démonstrateurs, avec des prototypes, des essais en vol, des bancs d’intégration, et de la validation système. Enfin, le budget industriel, celui qui coûte vraiment “en masse” : outillages, chaînes, qualification de production, achats longs, formation, soutien initial.
Le résultat est mécanique : une estimation “programme complet” ne peut pas être comparée à une enveloppe “phase de démonstration”. Et c’est précisément là que la communication devient ambiguë, parfois volontairement. Un programme peut sembler “tenable” tant qu’on reste sur la R&D et les démonstrateurs. Il devient un autre animal quand on parle production et maintien en condition.
La phase 1B, le seul chiffre solide et officiel
Le jalon le plus robuste, documenté noir sur blanc, est le contrat de phase 1B notifié fin 2022 : 3,2 milliards d’euros pour environ trois ans et demi, portant sur la R&T et la conception globale des démonstrateurs. Ce montant est important, mais il reste une marche intermédiaire : il ne finance pas une flotte opérationnelle, ni une industrialisation complète, ni un cycle de soutien.
Il montre cependant deux choses très concrètes.
La première : le SCAF n’est plus un “concept”. Il consomme déjà des milliards, avec une organisation industrielle par piliers (moteur, capteurs, cloud, furtivité, etc.). La seconde : dès cette phase, le programme porte une complexité de coordination énorme, car chaque pilier implique des maîtres d’œuvre et des partenaires, avec des interfaces critiques.
Un point mérite d’être dit franchement. À ce stade, un dérapage calendrier n’est pas un “retard neutre”. Dans l’aéronautique de combat, retarder, c’est payer deux fois : on rallonge les équipes d’ingénierie, et on doit prolonger les flottes existantes avec des standards coûteux.
Le coût estimé à long terme, un ordre de grandeur qui fait peur
Sur la durée, les estimations publiques se sont durcies. On voit revenir une fourchette 80 à 100 milliards d’euros comme ordre de grandeur global. Même si ce chiffre agrège plusieurs décennies et plusieurs composantes, il a une conséquence politique immédiate : il place le SCAF dans une catégorie comparable aux plus grands programmes européens, mais avec une dépendance plus forte à la cohérence entre partenaires.
Il faut aussi comprendre le “pourquoi” de cette inflation structurelle. Un chasseur de nouvelle génération coûte plus cher qu’un avion des années 1990, non pas parce que “tout augmente”, mais parce que la valeur s’est déplacée vers l’intégration : fusion de données, cyberdurcissement, guerre électronique, connectivité, traitement temps réel. Le SCAF ajoute une couche : la coordination avec des drones et un combat cloud.
C’est une promesse opérationnelle, mais c’est aussi une facture de logiciels, de validation, de sécurité, de redondance. Et ce type de coût dérive vite, parce qu’il est difficile à figer tôt sans brider les performances.
Le financement du SCAF face à la réalité des budgets militaires
Le SCAF ne sera pas financé “dans le vide”. En France, la LPM 2024-2030 fixe une trajectoire globale de 413,3 milliards d’euros. Cela paraît massif, mais cette enveloppe doit couvrir simultanément des hausses de munitions, la modernisation de capacités majeures, et des programmes stratégiques.
Or, plusieurs signaux budgétaires récents montrent que la programmation est calibrée au plus juste, avec des tensions sur l’exécution, des charges reportées et des restes à payer élevés. Dans ce contexte, le budget militaire consacré au SCAF devient un sujet de concurrence directe avec des priorités très visibles politiquement.
C’est là que la faisabilité budgétaire se joue : pas sur la capacité à signer un chèque de démonstrateur, mais sur la capacité à tenir une dépense continue sur quinze à vingt ans, sans casser d’autres segments critiques. Un programme comme le SCAF exige une constance que les cycles politiques et les aléas stratégiques attaquent en permanence.
Le partage du budget entre partenaires, la vraie zone de fragilité
Le partage du budget du SCAF entre la France, l’Allemagne et l’Espagne est souvent présenté comme une évidence : “on mutualise, donc c’est plus facile”. C’est parfois vrai. Mais il existe une contrepartie : chaque euro mutualisé ajoute de la négociation, des compromis industriels, des clauses d’exportation, et une gouvernance plus lente.
La logique industrielle du best athlete est censée limiter cette dérive : confier chaque domaine à celui qui sait faire au meilleur niveau, au lieu d’imposer des répartitions artificielles. Dans la pratique, la coopération européenne souffre quand la logique politique prend le dessus sur l’efficacité technique.
Et il faut être lucide : si la gouvernance ralentit, le coût grimpe. Ce n’est pas une opinion, c’est une mécanique de programme complexe.
Autre point sensible : les restrictions nationales à l’export. Un système conçu à trois devient plus difficile à exporter si un partenaire peut bloquer une vente. Or l’export est souvent l’argument implicite qui rend “supportable” le coût unitaire, parce qu’il augmente le volume et amortit l’industrialisation.
Le coût de développement, le coût de production, et le piège du volume
Le coût du programme SCAF se décompose en deux masses : développer et produire. Le développement est lourd, mais on peut le lisser. La production, elle, dépend d’une variable brutale : le nombre d’appareils et de systèmes commandés.
Si les flottes prévues sont réduites, le coût unitaire explose, parce que les coûts fixes restent.
C’est un piège classique. Le Rafale a montré qu’un programme peut devenir économiquement tendu si le volume national baisse, même si l’avion est ensuite exporté. À l’inverse, un programme européen peut devenir “abordable” si les partenaires s’engagent sur un volume crédible et stable.
La question qui fâche est donc simple : combien d’avions de chasse du futur seront réellement achetés, à quel rythme, et avec quelles versions ? Sans réponse, parler du futur coût unitaire reste de la spéculation.

Le financement européen, utile mais marginal à cette échelle
On entend souvent “l’Europe va financer”. Oui, il existe des instruments, dont le Fonds européen de défense, qui mobilise des centaines de millions par an. Mais soyons clairs : à l’échelle d’un programme chiffré en dizaines de milliards, ces enveloppes sont un appoint, pas une jambe principale.
Le financement public du SCAF restera majoritairement national, via des budgets de défense. Le “financement européen” sert surtout à encourager la coopération, à stimuler des briques technologiques, et à structurer une base industrielle. Il ne remplacera pas un engagement budgétaire ferme des États.
Autrement dit, espérer “faire payer Bruxelles” est un récit politique confortable, mais une solution budgétaire faible.
Le budget du SCAF à l’horizon 2040, une équation à inconnues multiples
Le SCAF vise un horizon autour de 2040 pour l’entrée en service, selon les trajectoires souvent citées. À cette date, trois variables pèseront lourd.
La première, c’est l’inflation longue sur les programmes de haute technologie. Même à inflation modérée, quinze ans de développement changent la facture. La seconde, ce sont les exigences opérationnelles qui peuvent évoluer : menace drone, défense sol-air, guerre électronique, saturation. Chaque exigence ajoutée tardivement coûte cher.
La troisième, c’est le risque de doublon : si chaque pays finance en parallèle des solutions transitoires trop ambitieuses (standards nationaux, drones séparés, clouds non compatibles), le SCAF devient une “couche en plus” au lieu d’un remplacement.
C’est pour cela que la question de faisabilité budgétaire n’est pas “peut-on payer 3 milliards ?”, mais “peut-on éviter d’en payer 100 mal répartis, mal gouvernés, et trop tard ?”.
Les retombées industrielles, un argument valable mais pas magique
Le budget du SCAF et les retombées industrielles sont souvent présentés comme une justification : emplois, souveraineté technologique, compétences critiques. Cet argument est réel. Perdre la capacité à concevoir un chasseur de nouvelle génération en Europe aurait un coût stratégique immense.
Mais il ne faut pas se raconter d’histoires : les retombées n’annulent pas la facture. Elles déplacent une partie de la dépense vers l’économie, mais l’argent sort quand même du budget défense.
La vraie question est donc l’efficacité de la dépense : est-ce que chaque milliard investi produit une capacité militaire crédible, exportable, soutenable, et livrée à temps ? C’est ici que la gouvernance, les arbitrages de périmètre, et la discipline de calendrier sont décisifs.
La question qui dérange, payer plus ou réduire l’ambition
Si l’enveloppe globale se confirme autour de 80 à 100 milliards d’euros, les États auront trois options, aucune confortable.
Payer plus, en acceptant que le SCAF prenne davantage de place dans les dépenses de défense. Réduire l’ambition, en gelant certaines briques ou en livrant par incréments, au risque d’un système moins différenciant. Ou étaler, ce qui est souvent la pire solution : cela augmente le coût total et repousse l’entrée en service, donc oblige à financer des prolongations.
Le débat doit être posé proprement : le SCAF est-il un programme pensé pour être réellement finançable, ou un programme pensé pour être idéal sur le papier ? La ligne de crête, c’est la souveraineté européenne. Si le SCAF échoue par manque de discipline budgétaire et politique, l’Europe achètera ailleurs, et la facture stratégique sera bien plus lourde que la facture comptable.
Sources
- Communiqué conjoint Dassault Aviation / Airbus / Indra / EUMET, attribution du contrat de phase 1B (16 décembre 2022).
- Loi n° 2023-703 relative à la programmation militaire 2024-2030 (LPM).
- Ministère des Armées, présentation de la LPM 2024-2030 (413 Md€).
- Sénat, “2040, l’odyssée du SCAF” (rapport d’information, éléments de contexte et de gouvernance).
- Le Monde, estimation de coût total et analyse des tensions industrielles (28 octobre 2025).
- Reuters, point sur les blocages fin 2025 et ordre de grandeur “jusqu’à 100 Md€” (11 décembre 2025).
- Commission européenne, Fonds européen de défense : 910 M€ mobilisés (8 mai 2025).
- Le Monde, alerte sénatoriale sur la soutenabilité et les reports de charges dans l’exécution budgétaire (15 mai 2025).
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