REX opérationnel du Su-57 : ce que la guerre révèle vraiment (2022-2025)

SU-57 Felon REX

Retour d’expérience détaillé sur l’emploi réel du Su-57 Felon en Ukraine : doctrine, succès, limites,EX industriel et leçons tactiques.

En résumé

Entre 2022 et 2025, le Su-57 Felon n’a pas été engagé comme un chasseur de supériorité aérienne classique. La Russie a fait un choix clair : préserver son unique avion de cinquième génération en l’employant comme une plateforme de frappe et de détection à longue distance, loin des défenses aériennes ukrainiennes. Ce retour d’expérience opérationnel révèle une doctrine prudente, presque conservatrice, centrée sur l’engagement hors de portée, l’usage de missiles de croisière furtifs et des tirs air-air à très longue distance. Les rares incidents, notamment au sol, ont mis en lumière des vulnérabilités structurelles qui n’ont rien à voir avec la furtivité en vol. En parallèle, le conflit a servi de laboratoire industriel : montée en cadence sous sanctions, arrivée du moteur de série et tests réels du combat collaboratif avec le drone Okhotnik. Ce bilan nuance fortement le discours marketing initial : le Su-57 n’est ni un échec, ni un équivalent russe du F-35, mais un outil spécialisé, utilisé avec méthode et sans prise de risque inutile.

La logique d’un engagement mesuré dès les premières sorties

Dès les premiers mois du conflit, Moscou a posé une limite nette à l’emploi du Su-57 Felon. Contrairement aux Su-34 et Su-35, engagés quotidiennement à proximité du front, le Su-57 est resté en retrait. Ce choix n’est pas dicté par un manque de confiance, mais par une analyse froide du rapport coût-bénéfice.

La flotte disponible est réduite. Entre 2022 et 2023, elle ne dépasse pas une dizaine d’appareils réellement opérationnels. Perdre un Su-57 au combat aurait eu un impact stratégique, industriel et symbolique disproportionné. La Russie a donc privilégié une doctrine où la valeur ajoutée de l’appareil se situe dans ses capteurs, sa discrétion relative et sa portée, plutôt que dans le combat rapproché.

Cette approche tranche avec les attentes occidentales. Beaucoup anticipaient une démonstration de force ou une utilisation agressive pour valider le concept de cinquième génération russe. Il n’en a rien été. Le Su-57 a été traité comme un actif rare, à employer uniquement là où aucun autre vecteur ne pouvait offrir le même effet.

La doctrine de l’engagement hors de portée

Le refus assumé des bulles A2/AD ukrainiennes

Un fait s’impose dans le retour d’expérience : le Su-57 n’a quasiment jamais pénétré les zones de déni d’accès ukrainiennes. Ces zones, protégées par des systèmes Patriot, S-300 et S-400 hérités, restent extrêmement dangereuses, même pour un avion partiellement furtif.

Contrairement au F-35, conçu pour opérer au cœur de défenses aériennes modernes, le Su-57 n’a jamais été pensé pour absorber des pertes en environnement saturé. Sa furtivité est réelle, mais limitée. Les Russes le savent. Ils ont donc choisi la prudence, en maintenant l’appareil dans l’espace aérien russe ou au-delà de la ligne de contact, tout en exploitant ses capacités de frappe à distance.

Ce choix a été constant sur toute la période 2022-2025. Aucun indice crédible ne montre une pénétration profonde du territoire ukrainien par le Su-57.

Le duo Su-57 / Kh-69 comme outil de frappe stratégique

Le principal succès opérationnel du Su-57 repose sur l’utilisation du missile de croisière furtif Kh-69, emporté en soute interne. Ce point est central. Le missile, d’une portée estimée entre 300 et 400 km (190 à 250 mi), permet de frapper des cibles stratégiques sans exposer le porteur.

Des infrastructures critiques, comme la centrale thermique de Trypilska, ont été touchées dans ce cadre. Le Su-57 agit ici comme un vecteur discret de lancement, réduisant la probabilité de détection précoce par les radars ukrainiens. La combinaison avion furtif + missile furtif multiplie l’effet : la détection devient tardive, et l’interception plus complexe.

Ce mode opératoire confirme une réalité : le Su-57 n’est pas un avion de percée, mais un sniper lointain, conçu pour frapper sans se montrer.

Le rôle de super-radar dans le combat air-air

Autre aspect souvent sous-estimé : l’emploi du Su-57 comme plateforme de détection et de guidage en combat air-air. Plusieurs rapports font état de tirs de missiles R-37M contre des aéronefs ukrainiens à des distances supérieures à 150 km (93 mi).

Dans ce schéma, le Su-57 n’a pas besoin d’approcher. Il utilise ses capteurs, sa fusion de données et sa position en retrait pour détecter et désigner des cibles. Les missiles peuvent être tirés par lui-même ou par d’autres chasseurs, le Su-57 jouant alors le rôle de capteur avancé volant.

Cette fonction correspond parfaitement à sa doctrine réelle. La survivabilité prime. Le combat rapproché est évité. L’avion exploite ce qu’il a de plus précieux : sa capacité à voir avant d’être vu.

Le baptême du feu… au sol

L’incident d’Akhtoubinsk comme électrochoc

Le revers le plus sérieux du programme n’est pas venu du ciel, mais du sol. En juin 2024, la base d’Akhtoubinsk, site clé pour les essais et le stationnement du Su-57, est touchée par une attaque de drones kamikazes ukrainiens.

Au moins un appareil est endommagé, voire détruit selon certaines sources. L’avion était stationné sans protection adéquate, dans une base considérée jusque-là comme hors de portée. L’événement a un impact immédiat : il démontre que la furtivité en vol ne protège pas contre la vulnérabilité au sol.

Les leçons tirées par l’état-major russe

La réaction est rapide. La Russie investit massivement dans des hangars renforcés, des abris durcis et des dispositifs anti-drones pour ses bases dites “de niche”. Ce coût, rarement évoqué, est pourtant une conséquence directe du retour d’expérience.

Cet épisode rappelle une vérité brutale : un avion de cinquième génération est un système global. Sa protection ne se limite pas à ses matériaux ou à sa signature radar. Elle inclut l’infrastructure, la défense périmétrique et la logistique. Sur ce point, le conflit ukrainien a servi de rappel sévère.

SU-57 Felon REX

Le binôme homme-machine à l’épreuve du réel

Le test grandeur nature avec le S-70 Okhotnik

La Russie ne s’est pas contentée d’un emploi conservateur. Elle a aussi utilisé le conflit comme banc d’essai pour le combat collaboratif. En octobre 2024, un incident majeur survient : un Su-57 est contraint d’abattre son propre drone ailier S-70 Okhotnik, après une perte de contrôle au-dessus de l’Ukraine.

L’événement est révélateur. Il prouve que le concept n’est plus théorique. Le binôme pilote-drone est testé en conditions de guerre réelle, sous brouillage et menace constante.

Une maturité encore incomplète

L’analyse est sans complaisance. Si le concept est validé, la liaison de données et l’autonomie décisionnelle du drone montrent leurs limites. Les environnements saturés de guerre électronique restent un défi majeur. La Russie n’a pas cherché à masquer cet échec partiel. Elle l’a intégré dans son cycle de développement.

Ce retour d’expérience rejoint celui observé côté occidental : le combat collaboratif est l’avenir, mais il reste fragile face aux perturbations électromagnétiques lourdes.

Le retour d’expérience industriel et technique

Une production sous contraintes mais continue

Malgré les sanctions sur les composants électroniques, la chaîne de Komsomolsk-sur-Amour a continué à livrer. En 2024 et 2025, plusieurs lots sont sortis d’usine. Fin 2025, la flotte opérationnelle est estimée entre 25 et 30 appareils.

Ce chiffre reste modeste, mais il marque une continuité industrielle que beaucoup jugeaient impossible en 2022. La Russie a contourné une partie des restrictions, au prix d’une standardisation plus lente et d’une dépendance accrue à certains fournisseurs alternatifs.

L’arrivée tardive mais décisive du moteur de série

Un point technique majeur ressort du REX : le passage effectif au moteur AL-51-F1, parfois appelé Izdeliye 30. Les premiers Su-57 volaient avec une motorisation transitoire. Les derniers exemplaires livrés disposent enfin du moteur de série.

Ce changement permet la super-croisière, c’est-à-dire le vol supersonique sans post-combustion, autour de Mach 1,3 à Mach 1,5 (1 600 à 1 850 km/h). Cette capacité était un manque criant. Elle est désormais acquise, même si elle arrive tardivement dans le cycle du programme.

Une furtivité assumée comme compromis

Le retour d’expérience montre aussi que le revêtement furtif du Su-57 est plus robuste et plus simple à entretenir que celui du F-35. En contrepartie, la signature radar est plus élevée. Les Russes acceptent ce compromis.

Le raisonnement est clair : pour des missions de tir lointain et de détection avancée, l’avion est suffisamment furtif, sans générer des coûts de maintenance prohibitifs. Ce choix doctrinal explique l’écart de philosophie entre les deux programmes.

Ce que révèle vraiment le Su-57 en guerre

Le bilan 2022-2025 est plus nuancé que les discours caricaturaux. Le Su-57 n’a pas dominé le ciel ukrainien, mais ce n’était pas son rôle. Il n’a pas été perdu en combat aérien, mais il a révélé des vulnérabilités au sol. Il a validé des concepts, tout en exposant des limites techniques.

Ce retour d’expérience dessine un avenir clair : le Su-57 restera un outil spécialisé, intégré dans un système plus large, et non un chasseur polyvalent engagé massivement. La Russie semble l’avoir compris. La question n’est plus de savoir s’il peut tout faire, mais comment l’utiliser sans l’exposer inutilement, dans un conflit où la technologie ne pardonne aucune erreur.

Sources

Reuters
RUSI
CSIS
The War Zone
TASS
Ukrainian Air Force communiqués
Images satellites commerciales analysées par Maxar
Rapports industriels russes (UAC)

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