Exercices chinois à tirs réels autour de Taïwan: objectifs militaires, message à Taipei et test de la réaction américaine après une vente d’armes record.
En résumé
Les exercices « Justice Mission 2025 » lancés par Pékin autour de Taïwan mêlent manœuvres navales, patrouilles aériennes et composante missiles, avec des tirs réels et des zones d’exclusion proches des routes civiles. Le signal est double : démontrer qu’un blocus et des frappes coordonnées sont opérationnellement prêts, et rappeler que toute dérive vers une indépendance formelle constitue une ligne rouge. Le calendrier est calculé : l’opération suit l’approbation américaine d’un paquet d’armement record de 11,1 milliards de dollars, présenté comme un soutien à la défense asymétrique taïwanaise. Pékin teste la vitesse, la coordination interarmées et la capacité de coercition graduée, tout en observant la réaction de Washington, de Tokyo et des compagnies aériennes. Taïpei, elle, se place en alerte, met en avant ses moyens de riposte et cherche à éviter la panique économique. Le risque : un incident, une surenchère ou un calcul erroné dans un détroit déjà saturé.
Les contours d’une manœuvre pensée pour encercler sans envahir
La Chine a annoncé une nouvelle séquence d’exercices autour de Taïwan, baptisée Justice Mission 2025, avec une composante à tirs réels et un scénario qui ressemble moins à une démonstration symbolique qu’à une répétition de pression opérationnelle. Le communiqué provient de l’état-major régional chargé du théâtre, l’Eastern Theatre Command, qui coordonne l’activité militaire chinoise sur la façade orientale. Les forces engagées couvrent l’éventail interarmées : armée de terre, marine, aviation, et composante missiles, avec une logique de “système de systèmes” plutôt qu’un simple passage d’avions.
La géographie impose le rythme. Le détroit de Taïwan, au plus étroit, fait environ 130 km (80 mi). C’est peu. Dans cet espace, l’intérêt de Pékin n’est pas d’“envahir” par surprise, mais de montrer qu’il peut saturer, fermer et contrôler. Les zones d’exercice annoncées se déploient autour de l’île, y compris des secteurs au nord et au sud-ouest, et des approches plus larges à l’est. L’effet recherché est celui d’un anneau tactique : pas forcément hermétique en permanence, mais suffisamment menaçant pour compliquer la vie maritime et aérienne, et rappeler que la normalité dépend de la retenue de Pékin.
Autre détail révélateur : les autorités chinoises ont communiqué sur des fenêtres de restrictions temporaires, avec des heures et des secteurs, ce qui suggère un mélange de signal politique et de gestion du risque. On est dans la démonstration contrôlée, pas dans l’acte irréversible. Mais il ne faut pas se tromper : la répétition même de ces séquences crée une nouvelle normalité, où l’activité militaire autour de Taïwan devient un “bruit de fond” permanent, au risque de banaliser la montée d’escalade.
Les forces engagées et la logique interarmées derrière la vitrine
Le point le plus important est la combinaison des composantes. La marine, avec des bâtiments de surface, sert à matérialiser la présence, à simuler le contrôle des axes, et à pratiquer des schémas de blocus ciblé. L’aviation ajoute la capacité de pression, d’alerte, de reconnaissance et de frappe simulée sur mer et sur terre. L’armée de terre peut être impliquée par l’artillerie côtière, la défense aérienne et la préparation amphibie. Et la composante missiles, via la Rocket Force, joue le rôle de “bâton” stratégique : la capacité à frapper loin, vite, et en volume, qui est au cœur de la doctrine chinoise de déni d’accès (A2/AD).
Dans un scénario réaliste, Pékin chercherait d’abord à “voir” avant de “toucher” : repérer, suivre, classer, puis menacer. Les exercices décrits mettent en avant des patrouilles de combat mer-air et des entraînements à la prise de supériorité locale. Cela renvoie à une séquence très concrète : obtenir des fenêtres où la défense taïwanaise est contrainte de se révéler (radars, posture, réactions), pendant que la Chine collecte des données. Chaque alerte taïwanaise devient une opportunité de renseignement.
La partie la plus sensible est la simulation de contrôle des ports et des zones d’accès. Même sans tir réel sur des cibles, le fait d’entraîner la coordination (navires + avions + missiles + guerre électronique) est une répétition de la première phase d’une crise : couper l’île de ses flux. Taïwan dépend de la mer pour l’énergie et une partie de ses approvisionnements. Le vrai levier coercitif n’est pas seulement militaire, il est logistique.
Les objectifs militaires qui dépassent la communication
Dire que ces manœuvres sont “un avertissement” est vrai, mais incomplet. Militairement, l’intérêt est de tester des chaînes de commandement et des délais. Une opération autour de Taïwan exige une coordination fine, car l’espace est petit, saturé, et surveillé. Pékin veut vérifier qu’il peut générer du tempo : lancer, maintenir, puis faire varier l’intensité sans se désorganiser.
Deuxième objectif : entraîner la pression graduée. Pékin cherche une palette d’options entre la paix et la guerre totale. Les exercices à tirs réels, les zones d’exclusion, la présence navale, les inspections ou patrouilles de garde-côtes, tout cela peut servir de cran supplémentaire sans passer immédiatement au conflit ouvert. C’est le cœur de l’escalade contrôlée : pousser l’adversaire à faire un choix coûteux (se montrer, mobiliser, interrompre), tout en restant formellement “en exercice”.
Troisième objectif : rendre crédible la menace de frappes coordonnées. Le message implicite est simple : si crise il y a, les premières heures compteraient. Les infrastructures critiques (ports, bases aériennes, dépôts, nœuds électriques) sont des cibles classiques en doctrine de coercition. Pékin veut démontrer qu’il peut combiner mer, air et missiles, pas seulement “faire peur”.
Enfin, il y a une dimension de test de la réaction internationale. Chaque exercice sert d’étalon : combien de déclarations américaines, quel niveau d’activité navale alliée, quelles consignes aux compagnies aériennes, quel comportement des marchés. C’est un baromètre politique autant qu’un entraînement.
La lecture politique d’un calendrier qui n’a rien d’innocent
Pourquoi maintenant ? D’abord parce que Washington vient d’approuver un U.S. arms package de 11,1 milliards de dollars, présenté comme le plus important jamais annoncé pour Taïwan. Les détails cités incluent des capacités typiques de défense “asymétrique” : HIMARS, artillerie, missiles antichars, drones de type munitions rôdeuses, et des pièces ou soutiens associés. Pékin a immédiatement dénoncé une atteinte à sa souveraineté et a aussi annoncé des sanctions contre des entreprises américaines de défense. Dans cette séquence, les exercices servent de réponse visible : ils coûtent moins politiquement qu’un acte de force, mais marquent davantage qu’une simple protestation diplomatique.
Ensuite, Pékin s’adresse à plusieurs publics à la fois : Taïwan, les États-Unis, mais aussi sa propre opinion et ses institutions. Montrer une posture ferme permet de verrouiller le récit interne : “nous agissons, nous dissuadons, nous contrôlons”. Cela compte dans un système où la crédibilité politique est associée à la capacité à tenir une ligne sur l’intégrité territoriale.
Enfin, il y a une logique de fenêtre politique. Pékin observe les débats américains, les signaux japonais, et la dynamique politique à Taïpei. Plus l’architecture de soutien à Taïwan paraît solide, plus la Chine a intérêt à tester les seuils, pour éviter d’être surprise plus tard. Le paradoxe est cruel : plus Taïwan se renforce, plus Pékin peut accélérer la pression, non pas parce que l’invasion est imminente, mais parce que la coercition devient, à ses yeux, “nécessaire” pour empêcher la consolidation durable.

La réponse de Taïpei entre démonstration, prudence et gestion du risque
Côté taïwanais, la première obligation est de montrer que l’État voit, suit et réagit. D’où la mise en alerte, les exercices de réponse rapide et les communications destinées à rassurer. Taïpei sait qu’une réaction trop faible nourrit le narratif chinois, mais qu’une réaction trop nerveuse peut produire l’incident que Pékin n’a pas besoin de déclencher lui-même.
Sur le plan capacitaire, Taïwan met en avant ses armes “anti-accès” et sa capacité à frapper les concentrations de forces. Le symbole le plus parlant est le HIMARS, souvent présenté comme un outil mobile, difficile à neutraliser, et potentiellement capable de frapper des objectifs sur la côte chinoise selon la munition. Les portées exactes varient fortement : environ 70 km (43 mi) avec des roquettes standards, et jusqu’à environ 300 km (186 mi) avec certains missiles, lorsque fournis et autorisés. Le message taïwanais est clair : un blocus ou une préparation amphibie exposerait aussi la Chine à un coût.
Mais Taïpei est aussi contrainte par l’économie. Une crise prolongée, même sans tir, perturberait les routes commerciales, l’assurance maritime, et les décisions industrielles. Les autorités cherchent donc à compartimenter : montrer la fermeté militaire tout en évitant la panique. Le fait que les marchés restent relativement stables lors de certains épisodes est un indicateur : la société taïwanaise s’habitue à vivre sous pression. C’est une résilience réelle, mais aussi un danger, car l’habituation peut réduire la perception du risque.
La réaction américaine, cible réelle du test chinois
L’intitulé même, et le cadrage “tester la réponse”, mettent Washington au centre. Pékin veut observer si les États-Unis réagissent par des mouvements militaires visibles (navires, avions, surveillance), par des déclarations politiques fortes, ou par une gestion prudente pour éviter l’escalade. Chaque option a un prix : trop de retenue peut être lue comme un doute ; trop de démonstration peut justifier un cran chinois supplémentaire.
Le paquet d’armes est, lui aussi, un message. En misant sur des systèmes mobiles, des munitions, et des capacités de défense distribuée, Washington encourage Taïwan à rendre l’option militaire chinoise plus coûteuse. Cela ne “garantit” rien. Mais cela modifie les calculs : Pékin doit intégrer davantage de friction, de pertes possibles, et de durée. C’est précisément ce que la Chine cherche à contrebalancer par des exercices qui simulent la fermeture rapide de l’espace autour de l’île.
La variable japonaise pèse aussi. Tokyo a laissé entendre, à plusieurs reprises, que la stabilité autour de Taïwan touche directement la sécurité japonaise, notamment dans le sud-ouest. Pour Pékin, la question n’est pas seulement “les États-Unis interviendront-ils ?”, mais “dans quel cadre allié, et avec quel tempo ?”. D’où l’intérêt de tester, par séquences, les réflexes de coalition.
Les scénarios plausibles et le vrai danger d’un exercice à répétition
Militairement, l’exercice peut servir trois scénarios crédibles. Le premier est le scénario de zone d’exclusion progressive : multiplier les secteurs “réservés”, perturber les flux, et habituer la région à une présence chinoise renforcée. Le deuxième est le scénario de coercition ciblée : démontrer la capacité de frapper un point névralgique, sans occuper l’île, pour forcer une concession politique. Le troisième est le scénario de blocus partiel : contrôler certains axes et ports, pas tous, pour ménager une sortie de crise tout en imposant un coût immédiat.
Le danger, lui, est moins spectaculaire mais plus probable : l’incident. Plus l’espace est saturé de navires, d’avions, de radars, de brouillage et de communications tendues, plus le risque d’erreur augmente. Un avion qui s’approche trop, une collision, un tir mal interprété, un radar illuminé, et la mécanique d’escalade peut s’enclencher alors que personne ne “voulait” la guerre ce jour-là.
Il faut être franc : Pékin cherche à réduire la marge de manœuvre de Taïwan par la pression continue. Ce n’est pas un simple théâtre. C’est une stratégie d’usure, conçue pour convaincre, au fil des années, que la résistance politique coûte trop cher. La question pour Taïpei et ses partenaires n’est pas seulement de “tenir” un exercice, mais de tenir une décennie de signaux, tout en évitant l’accident qui transformerait la pression en rupture.
Les sources
Reuters, “China launches war games around Taiwan as island vows to defend democracy”, 29 décembre 2025.
Reuters, “US approves $11.1 billion arms package for Taiwan, largest ever”, 18 décembre 2025.
Financial Times, “China launches military drills around Taiwan”, 29 décembre 2025.
Associated Press, “Chinese military stages drills around Taiwan…”, 29 décembre 2025.
The Guardian, “China launches live-fire drills around Taiwan…”, 29 décembre 2025.
France 24, “China conducts large-scale Taiwan drills amid rising tensions”, 29 décembre 2025.
Focus Taiwan (CNA), “China’s live-fire drill around Taiwan ‘unilateral provocation’”, 29 décembre 2025.
South China Morning Post, “PLA holds drill near Taiwan… dubbed Justice Mission 2025”, 29 décembre 2025.
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