Face à la menace croissante des essaims de drones, l’armée américaine développe le système E-HEL, un laser à haute énergie capable de neutraliser plusieurs classes d’engins.
En résumé
L’U.S. Army vient de lancer un appel à l’industrie pour concevoir un laser à haute énergie destiné à intercepter des essaims de drones de petite taille. Ce futur système, baptisé Enduring-High Energy Laser (E-HEL), vise la destruction rapide et silencieuse de cibles aériennes légères, sans recours à des munitions conventionnelles. Avec des intrusions de drones désormais quotidiennes au-dessus de bases militaires et d’infrastructures critiques, la défense antidrone devient prioritaire. Le programme, porté par la Rapid Capabilities and Critical Technologies Office (RCCTO), prévoit la production d’une vingtaine de systèmes d’ici la fin de la décennie. Plusieurs acteurs, dont Lockheed Martin, Raytheon et Northrop Grumman, planchent déjà sur des démonstrateurs laser de 50 à 300 kilowatts. Derrière la technologie, l’enjeu est stratégique : restaurer un avantage défensif dans un ciel saturé de drones autonomes et d’essaims coordonnés.
Un programme pour contrer une menace devenue omniprésente
L’annonce de la RCCTO traduit une réalité opérationnelle : les drones de petite taille constituent aujourd’hui l’une des menaces les plus complexes à neutraliser. Bon marché, discrets et faciles à piloter, ces engins civils ou militaires modifiés peuvent transporter de petites charges explosives ou collecter du renseignement à proximité des troupes.
Les récents conflits — Ukraine, Syrie, Nagorno-Karabakh — ont démontré leur efficacité tactique. Même des quadricoptères de loisir, achetés quelques centaines d’euros, peuvent devenir des armes létales.
Les défenses traditionnelles (missiles sol-air, canons automatiques) sont trop coûteuses ou trop lentes pour répondre à des attaques en essaims. Un tir de missile Stinger à plus de 100 000 $ contre un drone à 1 000 $ est économiquement absurde. C’est dans ce contexte que l’armée américaine cherche des solutions à coût par tir minimal, comme les lasers à haute énergie, capables d’engager plusieurs cibles par minute sans recharger.
Le concept de l’E-HEL : un faisceau pour saturer l’espace proche
Le futur Enduring-High Energy Laser (E-HEL) doit constituer une couche de défense mobile contre trois classes de drones :
- les micro-drones (moins de 9 kg) ;
- les drones tactiques de moyenne portée ;
- et les mini-UAV utilisés pour la reconnaissance ou l’attaque.
L’objectif est de détruire ou de neutraliser ces appareils à des distances comprises entre 500 m et 10 km, selon la puissance du laser. Contrairement à un missile, le rayon lumineux frappe instantanément, à la vitesse de la lumière, sans signature sonore ni onde de choc.
La RCCTO souhaite tester plusieurs architectures : des modules compacts sur véhicules blindés légers (type Stryker), des tourelles fixes pour la protection de bases, et des systèmes déployables pour unités mobiles.
L’avantage est double : autonomie logistique (pas de munitions à stocker) et saturation défensive (capacité d’engager plusieurs cibles successivement sans délai de rechargement).
Les principes techniques d’un laser de combat
Un laser de défense aérienne fonctionne en concentrant un faisceau cohérent d’énergie sur une surface réduite de la cible, jusqu’à provoquer la fusion des matériaux (souvent composites ou polymères).
L’E-HEL s’appuiera sur des lasers à fibre ou à état solide, technologies plus compactes et robustes que les anciens modèles chimiques. Ces lasers sont alimentés par des générateurs électriques couplés à des batteries ou micro-turbines.
Le faisceau est stabilisé par un système optique adaptatif, corrigeant en temps réel la distorsion de l’air. Une tourelle de poursuite électro-optique identifie et suit la cible, guidée par un radar à courte portée. Le tir dure de 2 à 10 secondes, selon la distance et la résistance thermique du drone.
Les défis restent nombreux :
- Production d’énergie suffisante dans un volume réduit ;
- Refroidissement des optiques après plusieurs tirs ;
- Maintien de la précision en conditions atmosphériques dégradées (brouillard, poussière, pluie).
Malgré ces contraintes, les progrès récents permettent d’envisager des armes entre 50 et 300 kilowatts, suffisantes pour brûler ou désintégrer un petit drone en vol.
Les programmes précurseurs déjà en test
L’E-HEL s’inscrit dans la continuité des démonstrateurs existants. Depuis cinq ans, l’U.S. Army teste plusieurs prototypes à énergie dirigée :
- DE M-SHORAD (Directed Energy-Maneuver Short Range Air Defense) : un laser de 50 kW monté sur blindé Stryker, développé par Raytheon et Kord Technologies. Les essais en 2023 ont démontré la destruction de cibles aériennes légères à 2 km.
- HEL-TVD (High Energy Laser-Tactical Vehicle Demonstrator) : système de 100 kW développé par Lockheed Martin et Dynetics, capable de neutraliser des roquettes et des mortiers.
- IFPC-HEL (Indirect Fire Protection Capability) : une architecture de 300 kW, pensée pour la défense de bases, qui pourrait servir de base technologique au futur E-HEL.
L’armée prévoit de combiner ces briques technologiques pour produire un modèle modulaire, adaptable à différents théâtres d’opération.
Le défi des essaims de drones
Les swarms, ou essaims coordonnés, constituent le scénario le plus redouté. En théorie, un groupe de plusieurs dizaines de drones peut saturer un radar et submerger les défenses classiques. Chaque appareil échange des données de position pour adapter sa trajectoire, ce qui complique la neutralisation.
Dans ce contexte, le laser devient une arme de persistance : il peut enchaîner les tirs sans interruption tant que la source d’énergie reste disponible.
Cependant, un laser ne peut traiter qu’une cible à la fois. La gestion de plusieurs menaces simultanées exige des systèmes de poursuite multi-capteurs et une coordination logicielle avancée. Les futurs E-HEL devront donc fonctionner en réseau, reliés à des radars de surveillance ou à des centres de commandement intégrés, capables d’attribuer les cibles à chaque unité.
L’industrie américaine mobilisée autour du concept
Le développement de lasers de combat suscite un intérêt massif chez les grands industriels de défense.
- Lockheed Martin a livré à la Navy un laser de 300 kW, le HELIOS, destiné à être embarqué sur destroyers de classe Arleigh Burke.
- Raytheon teste le Phaser, un système de guerre à micro-ondes visant à neutraliser l’électronique des drones sans les détruire physiquement.
- Northrop Grumman travaille sur des architectures optiques adaptatives pour les lasers de 100 à 250 kW.
- General Atomics explore une voie mixte combinant laser solide et faisceau micro-onde pour contrer des cibles plus résistantes.
La RCCTO compte s’appuyer sur ces avancées pour produire jusqu’à vingt systèmes E-HEL opérationnels, intégrables dans la future défense aérienne courte portée de l’armée américaine.
Un enjeu stratégique pour l’espace OTAN
La multiplication des incursions de drones sur les bases militaires européennes — en Pologne, en Roumanie, ou à proximité de la mer Noire — alerte l’OTAN.
La capacité à neutraliser des drones hostiles sans escalade devient cruciale : un faisceau laser ne laisse ni débris ni trace de missile abattu.
Les États-Unis veulent ainsi doter leurs forces, mais aussi leurs alliés, d’une solution défensive exportable, non létale pour les populations civiles et compatible avec les normes du droit international.
L’E-HEL pourrait être déployé à terme sur les bases avancées de l’OTAN ou sur des plateformes navales, complétant les systèmes de brouillage et les radars à réseau actif. Sa modularité lui permettrait de s’adapter à la défense de zones industrielles, d’aéroports ou de centres logistiques face à des attaques de drones suicides.

Les limites et les défis à surmonter
Malgré les progrès rapides, la technologie laser n’est pas une solution miracle.
Les conditions atmosphériques influencent fortement la puissance effective du faisceau. Une forte humidité ou la poussière peuvent diffuser l’énergie et réduire la portée utile.
L’alimentation électrique demeure un point critique : un laser de 100 kW nécessite plusieurs mégawatts en crête, ce qui impose des générateurs lourds.
Enfin, le coût initial reste élevé : un prototype complet de type HEL-TVD avoisine 60 millions de dollars, hors logistique.
Mais l’enjeu à long terme justifie cet investissement : abaisser le coût par tir à quelques dizaines de dollars seulement, contre des milliers pour une munition guidée.
Une révolution silencieuse de la défense antiaérienne
Le programme E-HEL marque une évolution doctrinale : la défense aérienne passe du missile à l’énergie dirigée.
L’arme laser ne remplace pas les systèmes existants, mais elle complète le spectre : les missiles pour les menaces lourdes, les lasers pour les cibles multiples et économiques.
Cette approche s’inscrit dans une logique de défense de saturation, où chaque type de menace — roquettes, drones, projectiles — appelle une réponse adaptée.
À terme, l’intégration de lasers sur des véhicules blindés, des navires ou des points fixes donnera naissance à une bulle défensive électro-optique, connectée à des systèmes d’intelligence artificielle capables d’identifier, hiérarchiser et frapper les menaces en temps réel.
Une course mondiale déjà engagée
Les États-Unis ne sont pas seuls sur ce créneau.
La Chine a testé dès 2019 le LW-30, un laser de 30 kW destiné à la défense de bases aériennes.
Israël déploie le Iron Beam, un laser de 100 kW qui complète son système Iron Dome contre les roquettes.
L’Allemagne, via Rheinmetall, a démontré en 2023 un laser embarqué de 20 kW sur frégate, et la France expérimente le programme HELMA-P avec Cilas et ArianeGroup.
Cette compétition illustre une tendance lourde : la militarisation de l’énergie dirigée comme réponse à la guerre des drones, qui redéfinit les équilibres du champ de bataille moderne.
Un tournant technologique et doctrinal
Le futur système E-HEL de l’armée américaine ne se limite pas à une innovation d’armement. Il incarne une transition stratégique vers une défense énergétiquement durable, capable de répondre à la multiplication des menaces bon marché.
L’arme laser, autrefois science-fictionnelle, devient un outil concret de la guerre de saturation. Derrière le faisceau invisible, c’est une nouvelle logique militaire qui se dessine : celle d’une supériorité défensive permanente, alimentée par la science et la précision.
Sources
– U.S. Army RCCTO, Request for Information sur le programme E-HEL, octobre 2025.
– Defense News, « Army seeks high-energy laser systems to kill drone swarms », 2025.
– Lockheed Martin, Raytheon, Northrop Grumman : communiqués techniques 2024-2025.
– Center for Strategic and International Studies : « Directed Energy Weapons » (rapport 2024).
– DARPA & GAO : données sur les coûts et les tests HEL-TVD et DE M-SHORAD.
– NATO ACT : études 2024 sur la lutte anti-drone et la défense par énergie dirigée.
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